Le thème de l’identité s’est invité dans la campagne des primaires de la droite. Comme on pouvait s’y attendre, la résurgence de cette thématique a immédiatement suscité une levée de boucliers parmi le Saint-Office de la bien-pensance, qui s’arroge le droit de décider des sujets susceptibles de constituer l’ordre du jour des débats publics, et de recaler ceux qui doivent rester « tabous ». Des commentateurs de la vie politique ont cru déceler là une preuve flagrante de démagogie, ou de « populisme », de la part des candidats qui ramènent ce sujet, longtemps occulté, sur le tapis. Ces observateurs seraient pourtant mieux avisés de discerner dans le retour en grâce de cette notion, le signe d’une inquiétude qui se fait jour dans l’opinion au sujet de l’avenir de notre pays. Car l’identité regarde autant le futur que le passé et le présent.
Répliques de la déconstruction
Il est indéniable que la modernité a longtemps snobé cette thématique. Selon elle, l’identité, c’était la guerre, le repliement sur soi, le refus de l’ouverture à l’autre (ou l’Autre avec une majuscule). Cette suspicion, à laquelle l’école française de la déconstruction a essayé en son temps de donner des lettres de noblesse conceptuelle (Derrida, Foucault, Deleuze et leurs épigones), est passée dans l’idéologie dominante. Celle-ci, en se mettant en peine de vulgariser les thèses souvent abstruses des maîtres, a fait par contre-coup la part belle au cosmopolitisme, à l’antiracisme caricatural (antiracisme qui tient lieu à certains tout à la fois d’étendard idéologique, de système de pensée et de morale), au multiculturalisme. Il fallait désormais se méfier de tout ce qui gravitait autour des concepts de substance, d’identité, de ce qui évoquait, de près ou de loin, la permanence, la tradition. Bref, il s’agissait de liquider la métaphysique, et avec elle, ce qui relevait de la solidité de l’être.
Pour les petits-enfants de Michel Foucault, l’identité, c’est trop solide, trop pérenne, trop historique, trop affirmé, pour une époque qui baigne dans le liquide, l’immédiateté, les échanges décousus sur les réseaux sociaux, les « AG » spontanées et les palabres inféconds de « Nuit debout ». Notre « moment historique », ou plutôt la partie médiatique émergée de celui-ci, qui croit avoir congédié l’histoire pour accoster sur les rivages d’un monde enfin réconcilié, un monde d’où toute raideur serait enfin bannie, associe toujours, en un indécrottable réflexe pavlovien, l’idée d’identité à l’extrémisme de droite.
Qu’est-ce qu’une personne attachée à l’identité, vue d’une métropole ultra-connectée, où se mélangent tous les modes de vie, toutes les cultures, au sein de laquelle toutes les religions, toutes les sectes se valent, sinon un zombie, un survivant d’une période glaciaire ? Si, en plus d’être attaché à l’identité de votre pays, vous êtes de surcroît rural et catholique, votre cas s’aggrave dans des proportions inquiétantes. Vous voilà désigné, dénoncé, comme le descendant des anciens maîtres de la France ! Et que dire si pour vous le mariage représente l’union d’un homme et d’une femme ! Votre cas est alors irrécupérable, votre dossier, définitivement non plaidable.
Un conservatisme à l’aise avec l’altérité
Malheureusement pour nos petits maîtres médiatiques, la majorité des Français continuent à en pincer pour l’identité. Pour la raison toute simple qu’ils désirent persévérer dans leur être, que leur culture, leurs mœurs, et tout ce qui constitue leur fierté, ne disparaissent pas. Sont-ils devenus pour autant plus obtus que leurs devanciers ? Encore faudrait-il faire la preuve que le conservatisme va de pair avec le raidissement et le refus des autres. Et si c’était tout le contraire ?
Est-ce si sûr en effet que rester attaché à son identité représente une source d’intolérance, de fermeture ? Ce serait plutôt l’inverse. Les personnes les plus ouvertes sont généralement celles qui sont à l’aise avec leur être propre. Je serai d’autant plus réceptif en échangeant avec celui qui pense différemment que moi, celui qui vient d’une autre culture que la mienne, que je serai fier de mon appartenance. Entre nous deux, il ne sera pas question de suprématie, ou de lutte pour la reconnaissance. Assumant tous les deux nos identités respectives, le respect sera tout de suite au rendez-vous, sans qu’il soit besoin de le formuler au préalable par des pétitions de principe.
Au contraire, une personne qui doute de ce qu’elle est, qui ne possède plus de culture spécifique, à laquelle on a omis de transmettre les richesses du passé de sa collectivité, sera dans l’obligation de se bâtir une identité de substitution. Pour ce faire, elle devra s’affirmer contre. Contre sa culture originelle, si mal connue, ou bien contre toute autre façon de penser que sa nouvelle secte lui aura désignée comme ce dont il faut se démarquer afin de rester dans le « droit chemin ». Ainsi, les thuriféraires de « la marche en avant » frénétique et de la tabula rasa, sont-ils souvent plus dogmatiques et butés que les tenants des traditions, qui respectent les cultures des autres, sans rougir de la leur.
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