S’il avait été un peu plus soigneux, Tommy Robinson, le Fabrice Robert britannique dont il était l’invité personnel, aurait pu jouer les guest-stars aux « Assises internationales contre l’islamisation ». Mais Tommy-tête-en-l’air avait perdu son passeport et fut donc privé du plaisir d’expliquer aux participants les « méthodes d’action » de son mouvement l’English defence league (EDL).
Pas de Tommy à Charenton donc, et c’est bien dommage. Parce que Tommy avait beaucoup de choses à dire, et des plus intéressantes. Alors que Fabrice Robert se contente pour le moment de constater et de déplorer une situation de « confrontation avec l’Islam qui est une question de vie ou de mort, un enjeu civilisationnel », avec la tentation incantatoire qu’induit l’inaction forcée (on pense en particulier à sa conclusion « Comme à Poitiers et à Vienne, nous vaincrons »), Tommy Robinson est passé immédiatement de la théorie à la pratique. Avec une appréciable longueur d’avance, il nous offre une projection concrète du discours encore virtuel du Bloc identitaire. On ne va pas bouder notre plaisir, d’autant que c’est gratuit. Il suffit d’écouter et de regarder. Discours et méthode.
Sur le papier un mouvement bien sous tous rapports
Formée en juin 2009 sur les décombres d’un communautarisme qui a surtout abouti aux attentats de Londres en juillet 2005, l’EDL entend dénoncer l’Islam radical de façon pacifique et ne perd pas une occasion pour préciser qu’elle n’est pas raciste. Elle ne déteste pas les musulmans mais uniquement les extrémistes. « Les autres sont nos amis », affirme Tommy, dont le porte-parole est un sikh débonnaire. Les homosexuels et les femmes y sont représentés et les drapeaux israéliens sont systématiquement de sortie à chaque manifestation publique. Fasciste, vous avez dit fasciste ? Anti-intégriste mais officiellement multiraciale, surfant efficacement sur la crise économique, la Ligue est en passe de marginaliser le BNP, le British National Party. Avec sa centaine de « divisions », un site Facebook toujours plus visité, elle fait recette chez les hommes jeunes, blancs, issus de la working class et inquiets des dérives d’une communauté musulmane mal intégrée. Le BNP ne s’y est pas trompé. Après quelques appels du pied, il a dénoncé l’EDL comme un mouvement provocateur et interdit à ses membres d’y adhérer sous peine d’exclusion. On ne saurait être plus clair. Et l’on repense au Bloc identitaire qui s’est transformé en parti politique et marche ouvertement sur les plates-bandes du FN, refusant désormais l’étiquette « extrême droite », dénonçant l’exploitation des travailleurs par « le grand actionnariat international » ou la mondialisation. Il est loin le temps où Fabrice Robert était condamné pour un tract ouvertement révisionniste dans les années 90. Le Bloc a des pudeurs de jeune fille dès qu’on lui parle de sionisme.
Sur le terrain, gros bras et petits cerveaux
Sur le terrain, l’invité spécial montre un visage nettement moins convivial. Sa fameuse méthode d’action, celle qu’il venait exposer à Paris, se résume aux plus traditionnelles des bastonnades et autres bagarres de rues classiques. Du brutal. Dans toutes les grandes villes anglaises à forte présence musulmane, le scénario est immuable. Avertis par le site Facebook SIOE (stop islamisation of Europe), des bus déversent les sympathisants dûment cagoulés dans les centres-villes dont ils prennent possession sous la surveillance étroite de la police qui doit empêcher les contacts rapprochés avec les associations musulmanes. Sans pouvoir toujours éviter quelques dérapages malheureux. Le gros des bataillons de la Ligue est recruté parmi les hooligans, les tristement célèbres supporters du foot anglais connus pour leurs aptitudes remarquables à l’échauffourée, et autres skinheads de Combat 18 ou British freedom fighters. Du bien beau linge. Pour s’assurer d’une forte mobilisation, les premières manifestations publiques étaient d’ailleurs organisées les jours de match à proximité des stades.
Spécificité anglaise ? Sans doute. Les militants du Bloc identitaire sont plus politisés et n’ont pas besoin des tape-dur de la tribune Boulogne pour convaincre. Contrairement à l’EDL, ils ont fait le choix des élections et donc du jeu démocratique. Mais ils courent le risque du « Qui se ressemble s’assemble ». En déroulant le tapis rouge devant un gros bras dont la dernière comparution pour coups et blessure remonte au 22 novembre 2010, Fabrice Robert démontre qu’il n’a pas encore tout fait viré sa cutie ligueuse ni rompu avec certaines pratiques douteuses qui permettent de se poser quelques questions sur la qualité de l’eau qu’il a versée dans son vin islamophobe.
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