Ice Bucket Challenge : la démocratie se jette à l’eau


Ice Bucket Challenge : la démocratie se jette à l’eau

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Qui aurait pu penser que se verser un seau d’eau en plein visage pouvait rapporter 70 millions de dollars ? Sûrement pas l’ALS (Amyotrophic lateral sclerosis), cette association américaine luttant contre la maladie de Charcot à l’origine de ce « phénomène » : le « Ice Bucket Challenge ». Une idée marketing de génie qui pose quand même une question : pourquoi les grands de ce monde ne se filment-ils pas en train de signer un gros chèque avant de mettre au défi trois autres méga-riches à faire de même, voir plus ? Pourquoi sont-ils prêts à se ridiculiser devant la planète entière ?

Tout simplement parce que cela les arrange de donner l’impression d’être « Monsieur tout le monde ». Dans une société fondée sur l’idée d’une ascension sociale toujours possible entre humbles et puissants, le « Ice bucket challenge » joue un rôle beaucoup plus important qu’un simple « gadget »  pour soutenir une bonne cause. Il y a mille ans, Adalbéron, évêque de Laon, avait décrit la société de son temps, dans un poème dédicacé au roi Robert, comme étant composée de trois ordres : ceux qui travaillent, ceux qui font la guerre et ceux qui prient. C’était un mythe. En 1789, nous avons changé de mythe : la société, démocratique, serait désormais fondée sur la mobilité sociale entre personnes égales. Ce mythe n’admet ni différences de catégories ni inégalités de qualités entre ses membres. Les gens sont différents pour ce qu’ils ont et non plus pour ce qu’ils sont.

Au quotidien, cette égalité théorique a du mal à se matérialiser, surtout depuis quelques années. C’est là que le monde virtuel vient à notre rescousse. Après tout, on peut être un « follower » de Rihanna  sur Instagram, la voir le matin dans son « intimité » ou encore réagir directement aux « tweets » des célébrités et des politiques comme si on échangeait avec nos copains. Une « proximité web » en décalage avec un réel où les écarts sont de plus en plus grands.

C’est alors que l’Ice Bucket Challenge prend tout son sens. Le geste d’un Gates, un Zuckerberg ou un Rimaldi dégage une « vertu symbolique » qui efface toute distance entre eux et nous. Cette image attendrissante rend faussement abordable un milieu, celui des « ultra-riches » qui ne l’est pas (et ne le sera jamais ?) par la plupart des terriens.

Autrement dit, ce petit jeu du seau d’eau affirme l’idée d’une société démocratique et uniforme, sans ordres ni catégories sociales fermées. Un Shylock contemporain dirait certainement  « Un milliardaire de la Silicon Valley n’a-t-il pas froid quand on lui verse un tête un seau d’eau glacée ? Un prince monégasque n’a t-il pas un petit bide ? Et si on les mouille, n’ont-ils pas l’air d’un misérable petit chiot sorti de l’eau ? S’ils sont semblables à nous en tout cela, ils nous ressembleront pour le reste aussi ».

photo : BOISIERE/SIPA.00691750_000005



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