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Il était Iain fois…


Il était Iain fois…

 Iain M Banks

C’est peut-être passé inaperçu en France mais le grand écrivain écossais Iain M. Banks est décédé des suites d’un cancer le 9 juin 2013 à l’âge de 59 ans. Banks fut pour moi, comme pour beaucoup d’amateurs de science-fiction, une référence en la matière. Auteur prolifique – il écrivit 29 livres en 30 ans de carrière – Banks fut considéré en 2008 comme l’un des 50 plus grands auteurs britanniques depuis 1945 par le quotidien The Times, avec cette particularité d’avoir contribué aux deux genres : la science-fiction et la littérature générale. Pour l’anecdote, il signait ses romans ordinaires du nom d’Iain Banks et il rajoutait le « M » (de son vrai nom Menzies) pour ses œuvres de SF.

Banks est surtout connu pour avoir créé « la Culture », vaste société interstellaire, hédoniste et anarchique dans laquelle des êtres humanoïdes vivent en symbiose avec les machines à bord de vaisseaux gigantesques, voire des « orbitales » (anneaux recouverts d’une atmosphère artificielle), réalisant ainsi ce vieux rêve marxiste d’une société idéale où l’argent n’existe plus et où chacun vit comme il l’entend, sans tabou, sans dieu et sans mort. Le cycle de la Culture comprend 9 romans (plus quelques nouvelles) publiés entre 1987 et 2012 et qui peuvent se lire indépendamment. Toutefois, il est préférable de suivre l’ordre chronologique de publication anglaise – contrairement à l’édition française qui place notamment le premier roman (Une forme de guerre) en troisième position. On pourrait diviser ce cycle en deux périodes : la première, qui va de 1987 à 2000 et qui est sans doute la plus riche, et la seconde, moins inspirée, qui va de 2008 à 2012. Pour la première période on retiendra d’abord Une forme de guerre (Consider Phlebas, 1987) qui commence par une citation du Coran au lieu de la traditionnelle citation biblique. Ce roman à l’intrigue relativement simple – des mercenaires cherchent à récupérer une intelligence artificielle perdue par la Culture avant que les ennemis de cette dernière ne s’en emparent – est un space opera dans la plus pure tradition du genre. L’originalité du livre vient du fait que l’on suit un héros pas tout à fait humain puisqu’il s’avère être un Métamorphe.

Avec L’homme des jeux (The Player of Games, 1988), Banks nous plonge alors au cœur du cycle de la Culture, puisqu’il s’agit d’un roman entièrement centré sur cette société intersidérale qui envoie un « joueur de jeux » contacter l’Empire d’Azad afin de déterminer si ce nouveau monde découvert peut être intégré ou non à la Culture. La particularité de cet empire est l’organisation d’un grand jeu dont le vainqueur devient empereur. Les descriptions du monde d’Azad sont magnifiques et le final sur une planète constamment détruite par une vague de feu qui en fait tout le tour se révèle digne des plus grands films de science-fiction (Les Chroniques de Riddick sorti en 2004 lui doit beaucoup). On sent que Banks a pris du plaisir à écrire cette histoire (ce fut son livre le plus facile et le plus rapide à rédiger, selon lui). Les dialogues sont très réalistes (Banks va même jusqu’à croiser deux dialogues dans une même scène où figurent quatre personnages ; du grand art). Et même si l’intrigue se montre cousue de fil blanc, le suspense est incroyable et la tournure que prend la partie finale, la stratégie employée par l’empereur, sa vision du jeu tel qu’il doit être joué est très originale, une sorte de mise en abyme des deux mondes (Azad et Culture) créés par Banks.

L’usage des armes (Use of Weapons, 1990) explore un peu plus ce que Banks appelle les Circonstances Spéciales, c’est-à-dire le bras armé de la section Contact, auquel la Culture – malgré son idéal pacifique – fait appel dans le cas où un monde contacté se révèlerait hostile. À travers ce roman atypique au niveau de la forme – il a en effet la particularité de pouvoir être lu dans deux sens différents, et c’est là probablement le seul intérêt du livre (ce qui fait penser un peu à Memento de Nolan sorti en 2000) – on suit l’itinéraire d’un certain Zakalwe, mercenaire à la solde de la Culture qui détient un secret que personne ne pourrait deviner… Moins réussi que les deux précédents – on lui reprochera notamment l’absence d’une véritable intrigue – on pourrait se demander, une fois arrivé à la fin, pourquoi ce livre figure dans la catégorie science-fiction. C’est un peu comme un film avec des effets spéciaux qui ne servent à rien.

Si vous avez l’occasion, lisez plutôt L’état de l’art (The State of the Art, 1991) [la nouvelle traduction s’intitule L’essence de l’art] longue nouvelle dans laquelle on retrouve Sma – personnage féminin précédemment rencontré dans L’usage des armes – et dont la fin est assez surprenante pour un écrivain athée convaincu… Avec Excession (néologisme de l’auteur) (Excession, 1996) Banks donne une ébauche, une sorte d’avant-première, de ce que sera le second cycle de la Culture (2008-2012), c’est-à-dire des romans sans âme ni intrigue au bout desquels on réalise que l’on a perdu son argent et de précieuses heures de sa vie. Il est tout simplement à éviter ! Inversions (Inversions, 1998) marque un tournant dans la série puisque à première vue il s’agit d’un livre de « fantasy » (le seul de Banks) mais à y regarder de plus près les choses ne sont pas aussi simples… Bien que ce ne soit pas officiellement un roman du fameux cycle le lecteur averti saura reconnaître que les deux mystérieux protagonistes sont en fait des agents de la Culture. D’autres détails comme un journal intime rédigé dans une langue inconnue (en fait en Marain, la langue intersidérale de la Culture) ou encore des termes utilisés dans l’épilogue comme « circonstances spéciales » (sans majuscules cette fois) devraient convaincre tout connaisseur de l’œuvre de Banks. Ce roman est un vrai régal et reste, à ce jour, mon préféré. Pour terminer, Banks nous invite à une sorte de suite au premier roman avec Le sens du vent (Look to Windward, 2000) qu’il dédie aux vétérans de la Guerre du Golfe. Entre un compositeur extra-terrestre qui doit commémorer un événement tragique de la guerre Idirans-Culture et un assassin qui communique avec une autre conscience implantée dans sa tête (on pense nécessairement à Un Crime dans la tête, que ce soit avec Frank Sinatra ou Denzel Washington), on aurait pu se dire que l’idée était prometteuse. Hélas Banks perd son temps dans des intrigues secondaires sans rapport avec le fil conducteur et on se demande si l’inspiration ne commencerait pas à lui manquer… On remarquera par ailleurs qu’il n’écrivit plus de roman de SF pendant quelques années, considérant lui-même qu’il était à bout d’idées. Voilà, Banks s’en est allé. Il a rejoint quelques grands écrivains du genre comme Asimov, Bradbury ou Clarke.

Son œuvre peut aujourd’hui être comparée avec celle des plus grands. Fondation, Dune et Hypérion n’ont rien à envier à L’homme des jeux ou Inversions. On pourrait même dire que l’écriture de Banks, son style incomparable, ses personnages plus vrais que nature, dépassent largement ceux des œuvres précédemment citées en comparaison. (Asimov n’avait que 19 ans lorsqu’il commença le cycle de Fondation et cela se ressent aujourd’hui.) On sait que Banks admirait Dan Simmons, mais pas particulièrement Philip K. Dick, ni même Tolkien Dans la vie, Banks était un humaniste. Et son œuvre le reflète parfaitement. Mais on ne sera pas forcément tous d’accord avec ses prises de position qu’elles soient politiques, éthiques, philosophiques ou religieuses. Et même si, comme moi, on est en désaccord avec l’idéologie de Banks, on peut lui reconnaître un exceptionnel talent de conteur…

*Photo : Iguana Jo.



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