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La loi du désir

"I’am your Man" de Maria Schrader le 29 juin, "Clara sola" de Nathalie Alvarez Mesen le 1er juin


La loi du désir
Clara Sola (2022), film de Nathalie Álvarez Mesén, sortie en France le 1er juin 2022 © Epicentre Films

Deux films de femmes, Maria Schrader et Nathalie Álvarez Mesén, explorent la sexualité sans s’enfermer dans le néoféminisme.


Les Germains des jeunes générations étant très majoritairement polyglottes, on ne s’étonnera pas que le nouvel opus de la réalisatrice, comédienne et scénariste allemande Maria Schrader conserve son titre en anglais, « I’m your Man », pour sa sortie en France, de préférence à « Ich bin dein Mensch ». « Je suis ton homme » eût été encore plus plat –  si c’est Dieu possible.  

I’m your man de Maria Schrader, en salles le 29 juin 2022 © Haut et court Christine Fenzl

Priape du troisième type

À Maria Schrader l’on doit, entre autres, en 2016 le film « Stefan Zweig, adieu l’Europe » et, en 2019, une série à succès sur Netflix :  « Unorthodox » –  tropisme judaïque affirmé ! Cette fois, rien à voir.  Alma (Maren Eggert), chercheuse berlinoise entre deux âges d’aspect quelque peu frigide, se voit recrutée par Terrareca, une entreprise high tech qui a développé un prototype de robot humanoïde, pour se prêter, à ses heures perdues trois semaines durant, à une expérience de couple avec Tom (campé par l’acteur britannique – mais parfaitement bilingue anglais-allemand – Dan Stevens), prototype d’automate programmé pour être l’amant idéal. Elle devra rendre son rapport. Le calcul algorithmique inspirant au séducteur de fabrication artificielle ce genre de compliments : « Tes yeux sont deux lacs alpins où je veux me noyer », on comprend que le courant passe mal avec Alma, rapidement excédée par la perfection cybernétique de ce Golem ultra sophistiqué, serviteur multitâches à l’aménité tête-à-claques, doté de méninges si performantes qu’il bande à la demande tel un Priape du troisième type.

S’être gardé de la tentation dystopique pour choisir, sur un registre de comédie légère, de maintenir l’action dans le cadre concret d’une métropole contemporaine, est une excellente idée. La fable y gagne en piquant et en véracité. Morale de l’histoire : à l’heure du sexe virtuel et du développement exponentiel de l’intelligence artificielle, autant étancher sa légitime lubricité dans une créature faillible, mais bien réelle.  Si la machine a ses règles, le désir a sa loi : celle d’un corps fait de chair. Qu’on le veuille ou non.   

Clara et les sales types

La chair ?  Elle traverse « Clara sola », autre film que le dossier de presse résume ainsi : « dans un village reculé du Costa-Rica, une femme de quarante ans renfermée sur elle-même entreprend de se libérer des conventions religieuses et sociales qui ont dominé sa vie, la menant à un éveil sexuel et spiritue». On croirait lire une brochure de propagande féministe !

© Epicentre Films

À dire vrai, ce premier long métrage d’une réalisatrice à moitié Suédoise, née au Costa-Rica d’un père Uruguayen, et qui a fait toutes ses classes en Europe, est bien plus riche, étrange et ambigu que ne le laisse supposer cet énoncé performatif. Le film a été tourné à Vara Blanca, à 1500 mètres d’altitude – paysages fantastiques. Site idéal pour un trip exotique dans cette jungle rurale hors du temps. Clara, vieille fille un peu simplette, guérisseuse à ses heures sous les auspices de la Sainte Vierge, et vénérée comme une madone par les autochtones confits en dévotion, parle aux plantes, aux insectes et à sa superbe jument de robe blanche. Dans ce village reculé où, la nuit, vacillent les lucioles, elle partage avec sa sœur adolescente une maison de bric et de broc que régente une grand-mère follement castratrice –  allez donc vous masturber avec les doigts imbibés de purée de piment !

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Affligée d’une déformation des cervicales, Clara, infirme de corps et d’esprit au comportement imprévisible ne voit pas sans envie sa ravissante petite sœur nubile, qui va sur ses quinze ans, folâtrer avec un jeune fermier (le seul mâle du film), par ailleurs bienveillant avec elle jusqu’à l’abnégation. Se palucher à outrance ne sera jamais pour personne un exutoire à la frustration libidinale. Tenaillée par la chair, Clara tentera (sans succès) de violer le viril campesino qui sous son regard empale à loisir sa jeune sœur : par une crise d’hystérie, elle en gâchera la grandiose fête d’anniversaire. Bref, en fait d’éveil sexuel et spirituel, le parcours solitaire de Clara « sola » n’est pas de tout repos, ni pour elle, ni pour les autres.

Présenté à la Quinzaine des réalisateurs l’an passé, ce récit singulier, traversé de bout en bout par ce qu’il est convenu de baptiser du nom de « réalisme magique », captive par une sorte de primitivisme sensoriel. Ce qui en fait une œuvre curieusement habitée. Faut-il à tout prix lui coller une étiquette « féministe » pour avoir le droit d’en dire du bien ?

I’am your Man. Film de Maria Schrader, avec Dan Stevens, Maren Eggert. Allemagne, couleur, 2021.  Durée : 2h01. En salles le 29 juin. 

Clara sola. Film de Nathalie Alvarez Mesen. Avec Wendy Chinchilla Araya, Daniel Castaneda Rincon.  Suède/Costa Rica/ Belgique/ Allemagne/ Espagne. Couleur, 2021. Durée : 1h46. En salles le 1er juin.  



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