Triste constat du géographe Michel Lussault : les grandes villes n’appartiennent plus à ceux qui les habitent. Une série documentaire à suivre à partir de lundi 3 juin, sur France 5.
Dans les années 1990 le géographe bien connu Michel Lussault (64 ans) forge un concept qu’il développera dans un livre publié aux éditions du Seuil en 1997 : Hyper-Lieux, les nouvelles géographies de la mondialisation.
L’idée est la suivante : à l’avènement accompli de ce que Lussault nomme « le Monde » (avec une majuscule sur le M), les caractéristiques des lieux urbains » sont « en quelque sorte exaspérées par les effets de la mondialisation » : ‘’hyper’’ renvoie au « constat empirique du surcumul incessant, en un endroit donné, de réalités spatiales, matérielles ou immatérielles, variées : personnes, objets, flux, données numériques, richesses capitalisées, production de valeur ajoutée ». Ensuite, selon Lussault, lesdits ‘’hyper-lieux’’ participent du processus d’individualisation à l’œuvre dans la société contemporaine – le lieu comme expérience personnelle ou collective, procédant d’un espace mis en tension par l’espace numérique, ce qui conduit à déjouer radicalement, dit-il, « les anciennes hiérarchies entre la taille des espaces ». Lesquels se dilatent à travers « une pratique spatiale et sociale ubiquitaire ». Celle-ci relève de ce qu’on pourrait appeler une « affinité au lieu », volontairement partagée, mais étroitement corrélée à la mondialisation : malls, gares, aéroports, stades, forum, quartiers d’affaire, etc. en figurent les places fortes… Michel Lussault, pour qui « la géographie d’une société doit se penser à partir des spatialités humaines plus qu’à partir de l’observation des formes dans l’espace », en arrive tout de même à penser « que tous les lieux d’aujourd’hui s’avèrent, d’une manière ou d’une autre, peu ou prou, des hyper-lieux ». Pas faux.
De fait, à quelques encâblures de la collision qui s’annonce, l’arraisonnement de la capitale française dans sa globalité par les troupes d’Occupation des Jeux Olympiques (et par le probable Exode concomitant des autochtones) rend la réflexion du géographe singulièrement pertinente. Paris n’est déjà plus le « Grand Paris ». C’est le « Paris-Monde » : un hyper-lieu, à l’échelle entière de la métropole.
Dans ce contexte, voilà que France 5/ France TV a l’idée de mettre en scène notre géographe, dans une série de 6X26 minutes, épisodes confiés à un panel de documentaristes éprouvés dans le secteur de l’architecture et de l’urbanisme (mais pas seulement) : de Stan Neumann à Juliette Garcias, en passant par Sylvain Bergère et Floriane Devigne. La diffusion de Hyper-Lieux démarre le 3 juin.
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Veste noire et lunettes à monture noire, chemise blanche et cheveux blancs, l’homme qui a dirigé l’Ecole urbaine de Lyon et dont on peut visionner sur YouTube un cours public sur la théorie du ‘’care’’, objet d’un livre en préparation, professe donc ici son analyse à partir de quelques hyper-lieux emblématiques (dont certains figuraient déjà dans l’ouvrage susmentionné) : Time Square, à New-York ; la Place Saint-Marc, à Venise ; Dubaï ; l’aéroport de Francfort ; les Champs-Elysées ; Le Quartier européen de Bruxelles. A l’évidence, on aurait pu multiplier à l’infini les sites qui, sur la planète, ressortissent à cette problématique.
Coproduction Les Films d’ici/ Track, la série paraît hésiter un peu entre, d’une part, l’exigence de bonne tenue intellectuelle dont Lussault, épaulé par les réalisateurs émérites Stan Neumann et Hendrick Dusollier, incarne le garant et le dispensateur ; et d’autre part l’impératif d’agrémenter le propos, par nature assez subtil et élaboré, d’un emballage ludique propre à séduire cet improbable téléspectateur lambda que le service public se met opiniâtrement en devoir d’infantiliser : d’où le placage de cette animation particulièrement niaise (signée Luciano Lepinay) et de cet exercice de clownerie vaguement consternant auquel Michel Lussault semble néanmoins se prêter de bonne grâce – sans qu’on voie l’utilité d’un tel habillage.
Cette réserve faite, le tour d’horizon proposé, sur des typologies urbaines (ou péri-urbaines) si diverses en apparence – quoi de commun entre Dubaï et Venise ? – mais envisagées au prisme du concept de l’ ‘’hyper – lieu’’, laisse au bout du compte l’impression glaçante que la page est bel et bien tournée : irrévocablement, la Ville n’appartient plus à celui qui y habite ; elle n’est plus, pour reprendre une expression de Lussault, qu’une « scène close, chorégraphie de la globalisation » : le lieu proprement invivable de l’ ‘’hyperscalarité’’ – soit la coexistence désordonnée des échelles, s’agissant des espaces tout autant que des fonctions, des activités, des gens, pris dans l’atroce désenchantement du flux mondialisé. Voilà ce qui est devant nous.
Hyper-lieux: Les nouvelles géographies de la mondialisation
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Hyperlieux. De et avec Michel Lussault. En collaboration avec Stan Neumann et Hendrick Dusollier. 6 x 26mn. À partir du 3 juin à 13.00 sur France 5 et sur le site france.tv
3 juin : Time Square. Réalisation Sylvain Bergère
4 juin : La place Saint-Marc. Réalisation Sylvain Bergère
5 juin : Dubaï Mall. Réalisation Juliette Garcias.
6 juin : L’Aéroport de Francfort. Floriane Devigne
7 juin : Les Champs-Elysées. Réalisation Juliette Garcias et Stan Neumann
10 juin : Le Quartier européen de Bruxelles. Réalisation Floriane Devigne.