« Jupiter » n’est pas minoritaire mais il est seul. Faute d’une majorité suffisante, le parti du président Macron devra obtenir de nouvelles alliances et réinventer le Parlement – c’est mal parti !
Jusqu’ ici la vie politique dans ce pays semblait inepte, vulgaire, ennuyeuse au possible, elle reste un peu vulgaire mais elle devient passionnante, vous ne trouvez pas ? On ne mesure pas encore dans toute leur ampleur les effets du scrutin du 19 juin sur la destinée des Français, mais pourquoi se le cacher ? Si « Jupiter », seul sur son nuage, a toutes raisons de s’affliger, on ne peut que se réjouir que l’Assemblée nationale reflète enfin les bigarrures de l’opinion.
Pire qu’un désaveu, pour le président Macron, c’est une réprimande, un blâme – en français d’aujourd’hui : une claque. Le président doit s’en mordre les doigts, il l’a bien cherché. Il devait être un rempart contre les extrêmes, les Français ont fini par tomber, hélas, du côté où ils penchent. Ce qui provoque une sombre excitation à marcher en aveugle devant ce qui nous est promis : le grand bazar.
Cela contraint le président, décharmé de ses ambitions, à méditer avant d’agir (mais pas trop longtemps, s’il vous plaît) sur le sens d’un mot qu’il chérit : absolu. Se dit de ce qui est pur et séparé, élyséen, sans mélange, par exemple un pouvoir, une victoire, une majorité parlementaire. S’oppose à : relatif.
Ce ne sera pas simple.
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Par une dévotion outrée à leurs doctrines, les partis d’opposition font flèche de tout bois : LR croit revivre, le RN exulte, la Nupes divague. On fait semblant d’être unis. On vitupère pour exister. On promet la lune. On se durcit pour ne pas disparaître. On se hisse. On compte ses billes. On se fiche de l’avenir et des Français comme de l’an quarante, et l’on spécule avec zèle sur l’échec de cette mandature. Le réchauffement climatique, de quoi me parlez-vous ?…
On dirait que l’urgence des réformes qui s’imposent au pays – santé, école, fiscalité, climat, retraites, services publics – flatte dans ces apprentis législateurs moins le besoin d’agir que le plaisir d’avoir raison tout seuls, na ! Les tactiques biaisées, les diatribes incessantes des élus coalisés contre le gouvernement d’Élisabeth Borne ne font qu’exaspérer les Français qui se sentent abandonnés – et déjà trahis. Est-ce une surprise ?
À la Chambre, l’intransigeance est désormais le plus honoré des vices, et l’obstruction, un devoir sacré. Dans les médias, on n’entend plus que des mécontents, des emmerdeurs et des revanchards, rivés aveuglément à leur catéchisme, leurs colères et leurs contradictions louches tandis que les Marie-Louise de LREM – pauvre Macron, veuf de ses grognards Castaner et Ferrand ! – balbutient des excuses ou des promesses dans un français incertain.
Pendant ce temps, Mélenchon éliminé, hors-jeu, joue à qui-perd-gagne. Jusqu’à quand ? Que fait la police ?… Il y a dans le courroux permanent de ce vieux tromblon – mitré par un conclave de la Nupes, grisé de sa fiction théologique et pénétré de son importance – je ne sais quoi de risible – l’idée d’un affront, d’une offense, d’une lèse-majesté qui l’étouffe. Quand va-t-il enfin apprendre à se taire, ce sacristain fulminant, lui qui n’est ni député ni ministre ?
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Que le résultat des élections législatives rectifie sérieusement sans l’annuler le verdict flatteur de la présidentielle, ce ne serait pas si grave si nous étions mieux disposés au compromis, oui plus responsables, plus habiles aussi. Plus allemands ? Non, moins cons.
« Ne soyez ni obstinés dans le maintien de ce qui s’écroule, ni trop pressés dans l’établissement de ce qui semble s’annoncer », disait Benjamin Constant, toujours précurseur (et opportuniste), oscillant entre les caresses de Mme de Staël, la gloire de l’Empire et les faveurs de la Restauration. Nous y sommes presque. La coque du vieux bâtiment craque, le capitaine semble perdu, panique à bord !
Faut-il rappeler quelques principes ?
La souveraineté est nécessairement populaire – c’est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple –, mais elle ne saurait être absolue, et si l’on veut que les libertés soient garanties, elle doit être limitée. Sauf que le pouvoir du président en France, fût-il légitime, n’est ni neutre ni vénérable, comme celui d’Elizabeth II d’Angleterre. Comment Macron, ligoté par son demi-succès, serait-il capable de siffler la fin de la récréation ? Jusqu’à quand son ami Édouard Philippe, le maire du Havre, va-t-il chanter Maman, les p’tits bateaux avant de hisser les voiles et d’ouvrir les sabords ? Et Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, vous croyez qu’il joue des cymbales à Bercy pour le roi de Prusse ?…
Ce qu’on a perdu : la confiance, qui est un degré de la foi et permet d’espérer. Le goût de la vérité, qui exclut la feinte et le détour – on rêverait aujourd’hui d’une sincérité présidentielle qui soit pure, brutale, churchillienne ! L’équité : « Tu fais les parts et je choisis, ou bien je fais les parts et tu choisis. » L’idée de la justice, en somme.
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Ce qui prévaut : les petites phrases, la polémique et le chacun-pour-soi.
Ce qu’on attend : un miracle.
On aimerait que les politiques – qui ne sont ni sages ni sots – soient plus hardis, et plus nobles, qu’ils soient capables de s’élever au-dessus des partis, devoirs, dogmes, allégeances auxquels ils obéissent et de les subordonner à l’intérêt général. C’est le souhait un peu fou qu’ont exprimé les Français le 19 avril – y compris les abstentionnistes ! Ils ne font que murmurer moins ce qu’ils veulent que ce qu’ils ne veulent plus.
Un gouvernement d’union nationale, ha ! un doux rêve ! Reste le référendum mais, quand le peuple est fâché, c’est le non qui l’emporte. Macron va-t-il consentir à voir ce qu’il a refusé de voir – ce qu’il a voulu oublier ? On l’accuse déjà de n’être qu’une girouette agrippée à son clocher présidentiel. À moins qu’il ne ruse et temporise avant la dissolution ! Après quoi, fatigué de vaincre sans convaincre, il devra se soumettre ou se démettre[1].
[1] Comme le maréchal Mac-Mahon sous la IIIe République, à l’injonction de Gambetta.