Un décret du président algérien, Abdelmadjid Tebboune, promulgué le 24 mai, est venu modifier l’hymne national en y réintroduisant un couplet antifrançais. Notre ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, vient de faire deux observations ; il s’agit selon elle d’un couplet “daté”, et elle a regretté une décision “à contre-temps”. L’analyse de Driss Ghali.
L’Algérie ne parvient pas à oublier la France, elle rêve d’elle jour et nuit. Soixante ans après l’indépendance, elle continue à lui adresser doléances et reproches. Cette fois, la remontrance est transmise dans l’hymne national algérien où le président Tebboune a fait réintroduire un couplet spécifiquement adressé à la France. Habité par les souvenirs de la guerre de libération, ce couplet énonce : Ô France ! Voici venu le jour où il te faut rendre des comptes.
Un pays qui cite un autre dans son hymne national, c’est une première. Il ne manquerait plus que l’Algérie introduise le bleu, le blanc et le rouge dans son drapeau ! Comme si l’Algérie avait besoin de la France pour se définir et dire au monde qui elle est et ce qu’elle est venue faire. Comme si l’Algérie avait besoin de crier son acte de naissance à la face de la Terre : Ô France ! je suis ta fille !
En effet, l’Algérie est la fille de la France
L’Algérie avant la France était un assemblage de tribus et de fédérations tribales qui vivaient à couteaux tirés : une Kabylie indépendante de l’océan arabe qui l’entoure, des oasis autonomes et repliés sur leurs particularismes, des confréries religieuses concurrentes et antagonistes, des villes « civilisées » tournant le dos à des campagnes dangereuses, des populations enracinées dans un territoire et pas dans une nation. La France a, avec ses gros doigts maladroits, réuni les Algériens dans un même ensemble politico-administratif. Elle leur a donné le Sahara. Immense cadeau car le Sahara n’a jamais été algérien, il a toujours été en dissidence. Elle leur a donné également quelques cadeaux empoisonnés comme le jacobinisme, leur apprenant le culte de l’État tout-puissant et la religion de la centralisation. À l’indépendance, au lieu de décoloniser leurs esprits, les Algériens ont construit une administration et une armée, inspirées du « modèle » français. Et le peuple, malgré les campagnes d’arabisation de l’enseignement, a continué à utiliser la langue française, s’y accrochant comme on s’accroche à un outil utile et indispensable. À ce jour, l’Algérien, comme le Marocain d’ailleurs, accède à la science et au savoir en général en langue française de préférence.
L’Algérie est la fille de la France. Sauf qu’elle est née d’une césarienne sanglante qui a traumatisé le nouveau-né et l’a fait venir au monde dans les pires conditions qui soient. L’Algérie à l’indépendance en juillet 1962 a la gueule cassée. Elle a perdu ses pieds noirs qui représentaient l’essentiel de son économie, elle n’a plus de vie paysanne puisque les Français ont regroupé par milliers les paysans dans des villages artificiels où ils pouvaient les surveiller plus facilement pendant les combats, elle a connu l’hyperviolence à la face de la Terre pratiquée par l’armée française et portée à des degrés élevés de perversité par les maquisards qui ont torturé et exterminé nombres d’Algériens innocents. Durant la guerre, le FLN s’est acharné sur les indépendantistes modérés et sur les civils algériens qui ne voulaient pas payer l’impôt révolutionnaire : il a tué 30 000 musulmans contre « à peine » 3 000 européens environ.
Les Asiatiques la ramènent moins
D’autres peuples ont recouvré la liberté dans des conditions similaires. Parmi eux, le Vietnam, martyrisé par l’armée française puis brûlé au napalm par l’armée américaine : double peine. Le Vietnam, lui, a tourné la page. Il ne lui traverserait pas l’esprit d’écrire un poème à la France, il a d’autres choses à faire, il est occupé à travailler, à s’enrichir et à devenir une nation qui compte. L’Algérie, elle, s’est perdue en route. En soixante ans d’indépendance, elle n’a pas atteint le développement qu’elle mérite, en dépit de ses ressources pétrolières. Elle souffre et quand on souffre on a tendance à chercher les responsabilités de son malheur chez autrui. La France est le coupable idéal. Si elle n’existait pas, si elle n’avait pas croisé le chemin de l’Afrique du Nord, il n’y aurait jamais eu d’Algérie donc jamais eu de souffrance…
Aussi, n’est-il pas étonnant que l’hymne algérien ignore complètement la colonisation turque de l’Algérie qui a duré 300 ans et s’est soldé par un bilan désastreux. Monsieur Tebboune n’a aucune doléance à adresser à Monsieur Erdogan, car la demande algérienne est de l’ordre de l’émotion, pas de la raison. Monsieur Tebboune veut se faire entendre de sa maman, la France, et l’on n’a qu’une seule maman dans ce monde, pas deux, ni trois !
Une décision ridicule
Bien entendu, Monsieur Tebboune est intelligent, il sait qu’il peut manipuler l’opinion algérienne en attisant le sentiment antifrançais. Mais, il n’est pas si fin que ça puisqu’il s’est couvert de ridicule aux yeux du monde en mettant en scène sa dépendance émotionnelle envers la France. Le monde et surtout le tiers-monde regardent avec condescendance ce président qui n’a rien de mieux à faire que de composer un pamphlet anticolonial alors que les enjeux du présent sont aussi prégnants que vertigineux : la chute de l’Occident, l’affirmation de la Chine, le changement du climat, le transhumanisme, l’irruption de l’intelligence artificielle…
Ce que Monsieur Macron ne comprend pas ou ne veut pas comprendre, c’est que la cause est perdue. Il n’y a rien à faire pour se réconcilier avec la rive sud. Il faut qu’elle fasse le ménage d’abord dans ses émotions et ses fantasmes avant de s’asseoir à la table des négociations. Personne ne peut faire ce travail à la place des Algériens.
Mais, naïf ou bien masochiste, Monsieur Macron devrait continuer à courir après une impossible réconciliation franco-algérienne. Dans trente ou quarante ans, le sujet n’aura plus aucune importance, si l’on écoute les nationalistes identitaires français. La France pourrait être devenue un pays arabe ou africain ou bien les deux en même temps. Les descendants de Monsieur Tebboune n’auraient alors plus d’interlocuteur à interpeller car la France, leur mère, aurait disparu…
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