L’attaque de la préfecture de police a révélé nos failles face aux cas avérés de radicalisation. Lourdeurs administratives, refus de la délation et peurs des représailles affaiblissent notre combat contre le séparatisme islamique, ferment idéologique du djihadisme.
La tragique attaque islamiste de la préfecture de police (PP) de Paris, le 3 octobre dernier, a focalisé les projecteurs sur l’épineuse question de la radicalisation des membres des forces régaliennes : police, gendarmerie, armées, mais aussi douanes ou administration pénitentiaire. C’est que les forces régaliennes ne sont pas – et c’est heureux – un État dans l’État, mais l’émanation de notre société. Une émanation particulière, avec des spécificités nombreuses, mais une émanation tout de même. Elles sont donc touchées elles aussi par les évolutions de la France. En l’occurrence, la préfecture de police en a été une illustration paroxystique : quelles que soient les mesures techniques que l’on prenne, la banalisation du communautarisme islamique, les injonctions paradoxales au plan juridique et la peur d’être accusé d’islamophobie sont nos principales failles sécuritaires.
Définissons la radicalité
J’ai déjà évoqué l’attaque islamiste du 3 octobre. Toutefois, je préfère désormais parler d’attaque : le terme « attentat » suppose une conscience politique qui en l’occurrence n’a rien d’évident. Islamiste : le tueur de la PP était ce que l’on appelle couramment un islamiste, c’est-à-dire un adepte de l’islam littéraliste théocratique. Attaque islamiste : perpétrés après une nuit de délire mystique, les quatre meurtres ont bien été inspirés par une idéologie avant tout religieuse, transcription sans fard dans les actes de l’idéal islamiste. On parle donc de radicalisation. Mais qu’est-ce que la radicalité ?
Est-elle l’intensité d’une conviction ou d’une pratique, différence donc de degré, mais non de nature avec ce qui n’est pas radical ? Et dans ce cas, où placer la limite, et comment ne pas voir – ce que pourtant beaucoup s’obstinent à nier – qu’il y a un continuum évident entre la non-radicalité et la radicalité ?
Est-ce au contraire une approche spécifique de l’idéologie – religieuse en l’occurrence, et plus précisément islamique –, ce qui suppose une différence de nature par rapport à d’autres approches, et pas seulement une différence de degré ? Mais dans ce cas, « islamisme » est un mot piégé, car il ne définit pas laquelle ou lesquelles, parmi les approches possibles de l’islam, sont visées par le terme de « radicalisation ».
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Pour l’instant, le lecteur me permettra de parler de « radicalisation islamiste », à l’image de la communication officielle.
Cela peut sembler paradoxal de le dire après le 3 octobre, mais les forces régaliennes sont relativement épargnées par cette radicalisation. Il n’y a naturellement pas de données chiffrées vérifiables, mais on peut affirmer que la nature même des missions de ces forces les positionne comme adversaires affichés des islamistes. Bras armé de l’État, et donc perçues comme des ennemis par ceux qui refusent la légitimité de l’autorité de l’État. Non que l’infiltration soit impossible, bien entendu. Mais à moins d’une radicalisation se voulant dès le départ secrète, un agent, fonctionnaire ou militaire islamiste sera détecté. Ce fut d’ailleurs le cas du tueur de la PP : ce qui a fait défaut n’est clairement pas la détection de sa radicalisation, mais la réaction à cette détection.
Quels sont les signes ? Pratique religieuse ostentatoire, et surtout choix de privilégier les exigences de la pratique religieuse sur les impératifs professionnels. Attitude vis-à-vis des femmes : mauvaise volonté face à une supérieure hiérarchique (pour un homme), refus de serrer la main des collègues du sexe opposé, recherche de non-mixité (lieux de repos distincts pour les hommes et les femmes, ou zones distinctes dans la même pièce) et ainsi de suite. Communautarisme : attitude préférentielle envers les « sœurs » et les « frères » en religion, discours victimaire. Antisémitisme, évidemment. Adhésion plus ou moins marquée aux théories du complot visant à dédouaner la religion et la « communauté musulmane » de leurs responsabilités dans les crimes commis au nom de l’islam. De telles opinions et de tels comportements entrant en contradiction directe avec la « culture d’entreprise » des forces régaliennes, ils seront remarqués par les collègues.
Rien à déclarer
Pour autant, il y a en effet des obstacles forts à une prise en compte efficace de la radicalisation. D’abord la culture très française du refus d’être une « balance ». Dénoncer, c’est mal, et on l’apprend dès l’école. Personne n’a envie de se sentir dans la peau du schtroumpf à lunettes avec son insupportable « je le dirai au grand schtroumpf » ! Indispensable à la bonne tenue des forces régaliennes, leur esprit de corps amplifie ce phénomène.
Les lourdeurs administratives, ensuite. Vous signalez un fait troublant ? C’est très bien, faites un rapport. Il sera transmis à votre chef qui le transmettra à son chef, qui répondra… plus tard. Ne caricaturons pas, mais ne nous faisons pas d’illusions !
Enfin, la peur des représailles. Le collègue que je dénonce finira probablement par savoir qui l’a dénoncé, ne serait-ce que par l’intermédiaire de son avocat en cas de licenciement ou de poursuites pénales.
Ce sont des freins, mais des freins que l’on sait traiter. Jusque-là, la situation n’est pas très différente de la lutte contre les « ripoux ». Si elle est imparfaite, et présente des disparités d’une institution à l’autre, elle est plutôt efficace.
Cependant, les forces régaliennes sont aussi confrontées à des difficultés qui relèvent non de problèmes internes, mais de l’état global de notre société. J’en vois essentiellement sept : l’absence de définition claire de l’ennemi, la banalisation de l’islamisme et du communautarisme islamique, les contraintes juridiques, la peur du stigmate social de l’« islamophobie », la haine de soi de l’Occident, la poétisation de la violence révolutionnaire et, enfin, l’entrisme systématique des groupes islamistes dans les instances représentatives du culte musulman.
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Quel est l’ennemi ? Quand un ministre de l’Intérieur est capable de dire devant le Sénat « chacun ici sait que personne ne fait de lien entre la religion musulmane et le terrorisme, ni même entre la religion musulmane, la radicalisation et le terrorisme », on voit que les mots de « déni » et d’« incompétence » sont encore très en dessous de la réalité. « Personne ne fait de lien » entre la religion musulmane et des gens qui hurlent « Allah akbar » au moment de mourir ? Qui justifient chacun de leurs actes en se référant au Coran, aux hadiths, à la sunna, à la charia ? Qui tous, sans exception, se disent musulmans – on n’a bizarrement encore jamais vu de djihadiste se déclarant chrétien, juif, bouddhiste, shinto, agnostique ou athée ?
Comment ne pas comprendre une certaine démotivation des personnels de la fonction publique confrontés à la radicalisation d’un des leurs, lorsque de tels propos les convainquent qu’il est inutile de lutter, puisque en l’absence de volonté politique, aucune décision significative ne sera prise pour enrayer la propagation du mal ?
Attaquer le mal à la racine
La première chose à faire est donc de prendre enfin en compte ce que nous disent depuis des décennies les universitaires sérieux (je pense notamment à Gabriel Martinez-Gros), les enquêteurs de terrain (comme David Thomson) et plus encore les musulmans humanistes et les personnes de culture musulmane opposées à l’islam théocratique. Abdelwahab Meddeb, qui alertait : « l’islamisme est la maladie de l’islam, mais les germes du mal sont dans le texte » ; Abdennour Bidar et sa remarquable « lettre ouverte au monde musulman » ; Yadh Ben Achour, Zineb El Rhazoui, Mohamed Louizi, Boualem Sansal, Salman Rushdie, Lydia Guirous, Fatiha Boudjahlat et tant d’autres.
Il est impossible de lutter contre la « radicalisation djihadiste » sans d’abord assécher l’idéologie qui la nourrit : l’islam littéraliste théocratique. Tant qu’il y aura des gens pour proclamer que l’islam est la religion parfaite, il y en aura qui considéreront qu’il est légitime d’employer la violence pour sauver le monde en lui imposant cette perfection. Tant qu’il y aura des gens pour enseigner que le Coran est la parole de Dieu à la virgule près, dictée, éternelle, incréée, il y en aura qui voudront fort logiquement appliquer strictement ce qui y est écrit, y compris les versets conquérants et violents.
Et tant qu’il y aura des gens pour répéter ad nauseam que les musulmans sont forcément, toujours et partout, des victimes des « méchants Occidentaux », des « méchants Blancs », de la « France islamophobe », il y en aura pour trouver légitime de prendre la défense de ces « victimes » les armes à la main. Ou pour rendre les « méchants » ainsi désignés responsables de leurs frustrations, et tomber dans les bras faussement compatissants des islamistes. Sun Tzu a tout dit sur l’art de retourner à son profit des soldats ennemis en recrutant parmi les arrivistes, les aigris et les médiocres persuadés d’être des génies incompris. C’est là bien sûr qu’interviennent la haine revancharde et/ou la culpabilisation permanente de l’Occident, propagées par une certaine intelligentsia, et la poétisation de la violence révolutionnaire, l’une et l’autre héritées d’une gauche plus soucieuse de penser à la place du peuple que de penser avec le peuple. André Versaille en a dit l’essentiel dans Les Musulmans ne sont pas des bébés phoques, et on en trouve une description factuelle et glaçante dans Histoire de l’islamisation française, 1979-2019.
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La banalisation de la radicalisation idéologique est un autre facteur. Quand la SNCF a le courage d’écrire une circulaire interdisant « le refus de serrer la main aux personnes de sexe opposé », que de levées de boucliers ! Et le concert des bien-pensants de hurler à l’« islamophobie » (notion inventée par les islamistes, rappelons-le), alors qu’on imagine à peine leur indignation si quelqu’un refusait, par exemple, de serrer la main à ses collègues musulmans. Ou à ses collègues maghrébins. Ou noirs. La banalisation des comportements islamistes et/ou communautaristes empêche évidemment leur prise en compte : à force d’« accommodements raisonnables » (pris comme des marques de faiblesse, et qui ne font qu’encourager les revendications les plus extrêmes), à force de renoncements et de petites lâchetés, on s’habitue.
En 2016, une étude de l’Institut Montaigne considérait 28 % des musulmans en France comme « sécessionnistes et autoritaires ». En septembre 2019, c’est la Fondation Jean-Jaurès qui montrait que 27 % des musulmans en France considèrent que la charia devrait s’imposer par rapport aux lois de la République, chiffre montant à 37 % chez les plus jeunes. Ceux-là ne sont pas forcément djihadistes, mais à tout le moins partagent en partie leurs objectifs, même s’ils ne partagent pas leurs méthodes.
Or, on considère que les musulmans représentent un peu moins de 8 % de la population en France. Toutes choses égales par ailleurs, il serait donc logique que chaque corps de métier soit composé de 8 % de musulmans, dont un quart de radicalisés, c’est-à-dire 2 % de l’effectif total. En d’autres termes, « toutes choses égales par ailleurs », il devrait y avoir 3 000 policiers radicalisés, 2 000 gendarmes, 4 000 militaires des autres armées, et ainsi de suite.
Discrimination, islamophobie & auto-victimisation
La lutte contre les discriminations à l’embauche érigée en absolu ne peut qu’aboutir aux chiffres que j’évoque ci-dessus. Alors que la lutte contre la radicalisation islamiste devrait avoir comme résultat qu’il n’y ait aucun policier radicalisé, aucun gendarme, aucun militaire dans aucune de nos forces armées. Injonction paradoxale, rendue plus difficile à surmonter encore par des prud’hommes, qui désavouent facilement l’administration. C’est que les islamistes sont passés maîtres dans l’art pervers d’instrumentaliser la lettre de la loi pour en détruire l’esprit.
Bien évidemment, il est parfaitement possible de recruter des musulmans d’une loyauté sans faille envers la République ! D’ailleurs, beaucoup de nos concitoyens musulmans qui font le choix d’une carrière dans la police ou dans l’armée, en particulier la gendarmerie, le font justement pour échapper à un milieu très religieux ou communautaire dans lequel ils étouffent. Ceux-là sont des lanceurs d’alerte précieux, ainsi que des gardiens déterminés de nos principes. Ils sont les « loyalistes autochtones » indispensables à toute opération de contre-insurrection. Je renvoie le lecteur curieux aux travaux de David Galula sur le sujet, ainsi qu’aux excellents articles de Driss Ghali – dans Causeur, bien sûr !
Mais recruter des musulmans républicains tout en refusant les islamistes suppose d’oser dire la différence entre les deux, et d’oser rejeter les islamistes. Ce qui expose inévitablement à l’accusation d’islamophobie, d’ailleurs de plus en plus utilisée par les islamistes contre les musulmans humanistes et réformateurs, tels ceux que j’évoquais plus haut. C’est un cas particulier de l’accusation de « discrimination », dont Mohamed Sifaoui dénonçait l’usage pervers en écrivant au sujet du tueur islamiste de la PP : « Imaginons dix jours avant le passage à l’acte la polémique qui serait née de l’information suivante : Michaël, un Martiniquais, malentendant, est licencié de la préfecture de police après sa conversion à l’islam. »
Il y a, enfin, la question de l’infiltration des réseaux islamistes dans les représentations officielles du culte musulman en France – mais peut-on parler d’infiltration lorsqu’ils ne font qu’emprunter une porte qui leur est grande ouverte ? Frères musulmans, wahhabites, agents d’Erdogan, ils s’installent dans toutes ces instances rendues vulnérables du fait même de leur volonté de centralisation.
Bien sûr, l’État rêverait d’un « consistoire islamique », sur le modèle du Consistoire central israélite. Un interlocuteur unique et fiable, quelle simplicité ! Seulement voilà. L’islam, en France comme ailleurs, est pluriel. Et les islamistes disposent d’une force de frappe financière, médiatique, diplomatique aussi, que les musulmans humanistes n’ont malheureusement pas. De ce fait, toute structure unique sera identifiée comme une cible de choix par les tenants de l’islam littéral, et vouée à passer plus ou moins rapidement sous leur contrôle.
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Ainsi, on voit trop souvent des proches des islamistes (Frères musulmans, Ligue islamique mondiale de l’Arabie saoudite, réseaux d’Erdogan, etc.) officier comme aumôniers militaires, aumôniers dans les hôpitaux, aumôniers de prison (même s’il y a aussi d’excellents aumôniers). Au contact d’une population vulnérable et influençable, bénéficiant de la caution de l’État et donc d’une moindre vigilance des administrations locales, certains d’entre eux représentent un danger à ne pas négliger.
Alors que faire ?
D’abord, tendre la main honnêtement aux apostats de l’islam et aux musulmans humanistes. Parce qu’ils viennent d’un monde où elles ne sont pas des évidences, ni des acquis, ils savent véritablement la valeur des libertés que trop de Français « de souche » banalisent, voire dédaignent. Ils savent la valeur de la France et des principes qui ont fleuri sur son sol. Tous ceux qui sont sincèrement attachés à la République, à la France, à la République française, doivent comprendre, dire et montrer que les humanistes musulmans et issus du monde musulman sont plus que nos alliés : ils sont des nôtres. Ils sont « nous ».
Simultanément, rejeter sans faiblesse les adeptes de l’islam littéraliste, l’islam théocratique. Refuser le piège de la notion d’« islamophobie ». Réaffirmer que la critique des religions est un droit, et même un devoir. Imposer la critique de l’islam. Non la haine aveugle ou le rejet mécanique, mais la critique : théologique, philosophique, historique, rationnelle et surtout éthique. Et tenir bon sur un principe simple : l’inspiration religieuse d’un comportement ne constitue en rien un passe-droit pour s’affranchir des règles communes. La religion et les injonctions religieuses ne sont ni au-dessus des lois ni au-dessus du sens moral.
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