Le poème du dimanche
Joris-Karl Huysmans n’a eu son édition en Pléiade qu’en 2019 et c’est bien tard quand on voit certains de ceux qui ont eu ce privilège avant lui. Ce maître de la littérature fin-de-siècle a un itinéraire esthétique et spirituel qui l’a conduit du naturalisme à la Zola à une forme de mysticisme occultiste. Cela lui fera écrire des vies de saintes, lui qui avait commencé par décrire celle des prostituées. Il est aussi le symbole, avec A Rebours, son roman le plus connu, de cette sensibilité décadente, qui confond voluptueusement la beauté, la pourriture et la mort dans des extases raffinées.
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C’est à un autre genre d’extase, sarcastique, que l’on vous invite aujourd’hui avec un Huysmans poète. C’est en effet comme poète que Huysmans entre en littérature en 1874 avec Le Drageoir aux épices. Il s’inscrit avec ce recueil dans la riche tradition française du poème en prose du XIXème siècle qui compte Aloysius Bertrand et son romantisme gothique ou Baudelaire et son Spleen de Paris où le poème en prose est aussi un moyen de peindre une modernité cruelle et ridicule, belle et monstrueuse.
C’est incontestablement au Baudelaire du Spleen de Paris que Huysmans songe dans le Drageoir aux épices, en y rajoutant une touche de sordide qui n’appartient qu’à lui.
L’extase
La nuit était venue, la lune émergeait de l’horizon, étalant sur le pavé bleu du ciel sa robe couleur soufre.
J’étais assis près de ma bien-aimée, oh ! bien près ! Je serrais ses mains, j’aspirais la tiède senteur de son cou, le souffle enivrant de sa bouche, je me serrais contre son épaule, j’avais envie de pleurer ; l’extase me tenait palpitant, éperdu, mon âme volait à tire d’aile sur la mer de l’infini.
Tout à coup elle se leva, dégagea sa main, disparut dans la charmoie, et j’entendis comme un crépitement de pluie dans la feuillée.
Le rêve délicieux s’évanouit… ; je retombais sur la terre, sur l’ignoble terre. Ô mon Dieu ! c’était donc vrai, elle, la divine aimée, elle était, comme les autres, l’esclave de vulgaires besoins !
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