La France aime la rigolade. Elle aime se poiler et les humoristes y sont bien vus. De là à faire d’eux les maîtres-penseurs de la République, il n’y avait qu’un pas qui est désormais franchi. Voilà pourquoi il faut se réjouir de la publication du pamphlet de François L’Yvonnet. Ce prof de philo, proche de Jean Baudrillard, y pique une colère salutaire contre la gondolade généralisée qui s’est abattue sur notre pays.
Orchestrée par ceux qu’il appelle les néo-humoristes, celle-ci inflige le rire dès l’aube, à la radio, à la télé, le rend obligatoire : « Qui ne rit pas est moralement coupable et se voit aussitôt soupçonné de complaisance à l’endroit des puissants, car les humoristes du jour élèvent une incroyable prétention à la subversion. »[access capability= »lire_inedits »] En vérité, l’homo comicus prêche une morale tout ce qu’il y a de consensuelle – à gauche toute, évidemment ! − qui le place d’emblée sur l’axe du Bien où il forme avec ses congénères un chœur assourdissant de conformisme, la manécanterie d’un prêchi-prêcha articulé sur trois ou quatre mots-clés : « Ils sont anti-racistes, anti-fascistes, anti-antisémites, anti-méchants.
Ils célèbrent le Bien et luttent contre le Mal. » Ils n’argumentent pas, ils tonnent ; tonnent contre la dictature qui nous gouverne. On n’a rien à leur rétorquer : le rire qu’ils assènent pèse comme une censure. Leur ton furibard et indigné est le garant de leur sincérité. Quant à leurs propos blessants, leurs attaques ad hominem et au physique, ils ne leur coûteront rien, placés qu’ils sont sous la haute protection de la liberté d’expression. Car s’il fut un temps où l’impertinence condamnait à quelques tracas (ce qui lui donnait du prix), aujourd’hui nos guérilleros de la marrade sont assurés tous risques. La dérision pépère, l’outrage en charentaises !
Mais attention, quand l’assurance vient à faillir, il faut écouter un Guillon, viré de France-Inter : c’est Voltaire qu’on bâillonne, rien de moins (son éviction de cette radio du service public eut pour effet de nous priver de cinq minutes de haine quotidienne et à sens unique dont on se passe assez facilement). Mais bref, le grand rire subversif est mort, déplore L’Yvonnet, assassiné par une basse-cour de bouffons qui caquettent leur couplet politiquement correct. Avec leurs airs importants de philosophes moralistes, ces petits professeurs de maintien ramenards et suffisants nous débitent les lieux communs d’une doxa qu’hélas nous connaissons trop bien.[/access]
Homo comicus ou l’intégrisme de la rigolade, par François L’Yvonnet (Mille et une nuits).
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