On ne plaisante pas avec le règlement. En tout cas, pas chez les Suisses. Le Comité international de la Croix Rouge s’est vivement ému que l’un des officiers colombiens qui participait à la libération d’Ingrid Bétancourt ait porté un brassard de l’organisation humanitaire – sans doute destiné à berner les valeureux guérilléros des FARC. Et le plus intéressant de l’affaire est que le président Uribe, plutôt penaud, a présenté des excuses.
Outre qu’il offre au public la dose de polémique sans laquelle la fête des otages libérés n’en aurait pas vraiment été une, cet incident reflète l’absurdité de ce qu’on n’appelle plus le droit de la guerre, dans un monde où les conflits armés impliquent de plus en plus souvent des groupes dont tout laisse penser qu’ils ne sont guère obsédés par les conventions de Genève – ou des Etats tout aussi peu scrupuleux, comme l’observe Rony Brauman ici même. Dans ces conditions, l’idée que, même dans la guerre, des règles humanitaires minimales doivent être respectées, est certes généreuse, mais incantatoire.
L’argument du CICR est légitime en pratique et en droit. Pour accomplir sa mission de « gardien des Conventions de Genève », il a besoin de la confiance de tous, d’où une scrupuleuse neutralité qui lui impose de traiter identiquement des tueurs fanatiques et des armées (malgré tout) démocratiques. Si son emblème devient une arme de guerre utilisée par les « parties », comme le dit élégamment le jargon du droit international, il perdra ce statut de l’interlocuteur de tous qui ne se mêle des affaires de personne.
Seulement, ces beaux principes se révèlent d’un usage politique difficile, en particulier quand la marche du monde et de la guerre produit de fâcheuses collisions. Au moment même où il gourmandait le président Uribe pour avoir utilisé (illégalement, répétons-le) son sigle dans une opération destinée à libérer des otages détenus dans des conditions inhumaines depuis des années, le CICR était en charge de l’échange organisé entre Israël et le Liban : et là, il n’a rien trouvé à redire au fait que le Hezbollah joue de façon minable avec les nerfs de familles qui, jusqu’au bout, ont conservé l’espoir de revoir leurs fils vivants.
On me dira qu’il n’entre pas dans les attributions du CICR de se prononcer sur les agissements des « parties » ni sur les accords dont il est seulement chargé d’assurer la mise en œuvre, et on aura raison. Reste qu’il est le gardien du droit dit « humanitaire » et qu’on a le droit de trouver fort peu « humanitaire » le sadisme du Hezbollah – sachant que le gouvernement israélien n’avait nullement posé comme condition à l’échange le fait que ses soldats soient vivants et qu’il avait l’intention de rendre au peuple libanais son héroïque tueur moustachu. Soit. Peut-être que la neutralité impose de ménager les tueurs et d’engueuler les libérateurs. Le règlement, c’est le règlement.
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