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Hugo, adolescent, menacé de mort pour une blague sur l’islam

Le délit de blasphème a-t-il été restauré en France?


Hugo, adolescent, menacé de mort pour une blague sur l’islam
Capture d'écran Twitter

Le délit de blasphème a-t-il été restauré en France ? La mésaventure connue ce week-end par un adolescent sur Twitter laisse songeur: Hugo a été menacé de mort par une horde d’internautes… pour une simple blague sur La Mecque.


Plus de 4 ans après la tuerie islamiste qui a décimé la rédaction de Charlie Hebdo, la liberté d’expression et notamment de caricature ou d’humour au sujet de l’islam ne semble pas avoir beaucoup progressé en France et dans le monde, loin s’en faut.

On se souvient de l’esprit paranormal du 11 janvier au cours duquel s’étaient rassemblés autour de François Hollande tant de Français émus mais aussi tant de responsables politiques qui n’avaient, aux responsabilités, rien fait pour endiguer un phénomène aisément prévisible depuis des années et contre lequel de nombreux lanceurs d’alerte étaient alors systématiquement traités de Cassandre et de fascistes.

Sur les cendres de Charlie

Paradoxalement, la tuerie de Charlie, au lieu de marquer une prise de conscience durable,  autoritaire et volontariste du problème posé à la société démocratique et à ses libertés fondamentales au premier rang desquelles se trouve la liberté d’expression, a marqué un tournant de régression sur ce sujet.

Après les « Je suis Charlie » consensuels et émus sont très vite venus les « oui mais ». Oui mais ils l’avaient bien cherché. Oui mais on heurte la sensibilité des croyants et cela, c’est mal. Oui mais on ne peut pas rire de tout et pas avec n’importe qui. Oui mais on ne peut pas offenser sans risquer sa vie.

Puis sont arrivés, très vite et sans vergogne, les pervers « Je ne suis pas Charlie », dont on sait très bien quelles accointances et quels accommodements idéologiques leur déclaration venait révéler.

L’islam victime, forcément victime…

Curieusement, après chaque attentat islamiste, le curseur bienpensant a été mis non pas sur le danger représenté par une conception fondamentaliste,  hystérique et vindicative de la religion au nom de laquelle ces crimes étaient systématiquement commis, mais sur le fait que ces attentats allaient aboutir à stigmatiser la communauté musulmane dans son ensemble. C’était en somme encore l’islam la victime.

Pourtant non. La victime c’est la démocratie occidentale et en l’occurrence française.

A lire aussi: Nous, musulmans, sommes les victimes de toutes et tous

Un ami iranien, Hamid Reza-Vassaf, dessinateur de talent et exilé en France, auteur du magnifique roman graphique Au pays des Mollahs, me confiait en 2015 ses craintes devant la cécité des Français face au phénomène en cours. Il tentait alors de faire publier une bande dessinée sur le prophète Mahomet. Me confiait ses difficultés, l’autocensure à laquelle il se confrontait, les refus, les peurs, les lâchetés, les pudibonderies. Il me disait que si nous ne réagissions pas immédiatement, ce serait bientôt trop tard.

Hugo et la boîte noire de l’islam

Nous voici en 2019 avec un jeune adolescent blagueur sur Twitter, plutôt drôle, faisant une plaisanterie amusante sur une image du pèlerinage à La Mecque et la circumambulation qui la caractérise autour de la Kaaba, en la rapportant à un jeu de la chaîne de télévision pour enfants Gulli, « In Ze Boîte », dont la partie finale se déroule dans une boîte noire.

Cette blague n’est même pas méchante, elle est juste drôle. Et quand on est ado, on aime rire car l’on n’a pas encore tout à fait conscience qu’on ne vit plus en temps de paix.

Aussitôt sont arrivées les insultes, les menaces de mort, les dénonciations de son lieu de scolarité. Bref, toute la petite panoplie du harceleur en meute que tous les esprits libres d’Occident se coltinent comme des boulets plus ou moins dangereux jour après jour.

Officiellement, « le blasphème n’existe pas »

La réaction de la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et des Discriminations Marlène Schiappa a été tout à fait claire et tranchée en soutien au jeune homme : « La France est une république laïque où chacun peut critiquer et se moquer des religions sans être menacé de mort pour cela ! Le blasphème n’existe pas. En revanche, le cyberharcèlement en meute est puni depuis cet été par la loi. »

Le jeune homme a ensuite publié un tweet dans lequel il demande le droit de rire et qu’on le « laisse en vie » (nous sommes donc en France, en 2019, et un jeune homme demande le droit de rester en vie pour avoir fait une blague sur l’islam : nous en sommes là).

Officiellement, en effet, le délit de blasphème n’existe plus. Mais cette liberté formelle d’expression et de caricature religieuse est devenue un trompe l’œil tant les attaques et l’entrisme islamistes sont virulents, à l’affût de toute forme d’offense qui servira de prétexte. Car, face au droit positif, s’oppose de plus en plus le paradigme anglo-saxon et victimaire de l’offense. Celui au nom duquel on asphyxie la démocratie. Donc, certes, sur le papier, on a le droit de blasphémer et de caricaturer, mais dans les faits, si quelque communauté que ce soit se sent offensée, c’est la prise en compte de ce ressenti qui sera valorisée, au détriment d’une liberté qui se réduit sous l’effet de la terreur à peau de chagrin.

Tout est haram

Une forme dessinée sur du papier toilette chez Marks & Spencer ? Qu’à cela ne tienne, c’est une injure blasphématoire ! Une blague sur un pèlerinage ? Une insupportable offense ! Les émois deviennent parfois si grotesques que, si des vies n’étaient pas en danger, on ne pourrait qu’en rire à gorge déployée. Tout est prétexte à semer la terreur et à faire pression pour étouffer le regard critique, qu’il soit analytique ou ironique, sur une religion dont de nombreux adeptes activistes ne semblent pas avoir compris l’indispensable nécessité du second degré, qui est le contraire du pied de la lettre, et qui seul permet d’éviter l’hystérie religieuse. L’exégèse comme l’humour est ce qui sauve les religions contre elles-mêmes. Toutes doivent l’accepter, sous peine de basculer dans le ridicule ou le totalitarisme, ou les deux, ce que le Tartuffe de Molière manifestait avec génie et humour…

L’invocation incessante du concept fumeux d’islamophobie et le djihad des tribunaux qui se  livre aussitôt que l’occasion en est fournie par quelque prétexte aussi oiseux que grotesque et à tout propos, revient, de fait, à réimposer le délit de blasphème dans la sphère publique française.

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Les pouvoirs publics ne pourront pas se voiler indéfiniment la face sur ce sujet en tournant éternellement autour du pot comme d’autres autour d’une boîte noire fût-elle sacrée.

Il serait bon de se souvenir que le Chevalier de la Barre, brûlé puis décapité pour blasphème et sacrilège en 1766 et dont Voltaire prit plus tard la défense ne fût pas mort pour rien. Car c’est comme cela, aussi, que la France s’est construite : en bâtissant des cathédrales, en châtiant les blasphémateurs puis en libérant les esprits et la parole de toute forme d’intervention religieuse.

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Chroniqueuse et essayiste. Auteur de "Liberté d'inexpression, des formes contemporaines de la censure", aux éditions de l'Artilleur, septembre 2020.

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