Il avait interviewé Martin Luther King, Malcom X, Lech Walesa, Yasser Arafat, Fidel Castro, Norodom Sihanouk, la Princesse Grace, Jimmy Carter, etc. Il avait dénudé Marylin, BB, Bettie Page, Anita Ekberg, Jayne Mansfield, Bo Derek, Raquel Welch, Catherine Deneuve, Madonna, Farrah Fawcett, Sharon Stone, Pamela Anderson et des centaines de « filles d’à côté ». Il avait publié des textes de John Updike, Ian Fleming, Ray Bradbury, Jack Kerouac, Truman Capote, Henry Miller, Woody Allen, Philip Roth… Il avait fait appel aux plus grands illustrateurs américains. Il avait soutenu le jazz en créant un festival dès 1959 où tout le gratin se donna rendez-vous (Miles Davis, Count Basie, Duke Ellington, Nina Simone, Dizzy Gillespie, Louis Armstrong, Oscar Peterson, etc…).
Et Hefner créa la playmate
Il vantait une société de consommation hédoniste : voitures de sport, architecture, mode, libération sexuelle, clubs, cocktails, jet privé à l’effigie du Bunny et destinations de rêve. Il avait inventé la playmate qui se déplie en trois parties (1956). Il avait multiplié les éditions étrangères de sa revue. Il avait même édité un numéro en braille. Il avait vendu en novembre 1972 plus de 7 millions d’exemplaires. Il était entré en Bourse. En somme, il a favorisé l’apprentissage de la lecture des baby-boomers qui viennent de prendre leur retraite. En 2013, Playboy avait fêté ses 60 ans d’existence. Dans son premier éditorial, Hugh Hefner écrivait : « Si nous pouvons procurer à l’homme américain quelques éclats de rire et lui faire oublier momentanément les angoisses de l’ère atomique, alors nous aurons justifié notre existence ».
Pari gagné Mr Hefner même si la mythologie Playboy s’est détraquée à la fin des années 1970. Vous nous avez offert le magazine idéal, des tribunes libres, une maquette artistique, le dessin humoristique cochon, une large place accordée aux grands écrivains, des angles « politiquement incorrects », un catalogue d’objets les plus innovants et bien évidemment des filles pas bégueules, qui laissaient tomber le maillot, histoire de nous renseigner sur l’obscure et non moins désirable anatomie féminine.
Playboy a propagé le rêve américain
Depuis 1953, vous avez fait notre éducation aussi bien sexuelle que politique. N’avez-vous pas dit que « la playmate du mois fut, au sens propre du terme, une proclamation politique » ? On aimerait que les hommes politiques vous écoutent plus souvent. Si les ministres avaient l’aplomb de Kaya Christian (Miss novembre 1967) ou la force de conviction de Michelle Hamilton (Miss mars 1968), nous serions nombreux à prendre notre carte en marche ou en courant. Croyez-vous sincèrement que si Julia Lyndon (Miss août 1977) se présentait demain à une législative partielle, nous nous abstiendrons de voter. Avec son faux air de Clio Goldsmith, elle avouait aimer la littérature japonaise, les films de Truffaut et de Buñuel, on sut plus tard qu’elle était la sœur de l’actrice Sydne Rome. A elle seule, cette Creezy girl remédierait à la crise de légitimité de toute la classe politique française. Plus qu’un magazine pour hommes, Playboy a propagé le rêve américain quand il avait encore un peu de consistance.
Marilyn nue
Aujourd’hui, tout ça semble si loin à l’heure des réseaux sociaux. Cet érotisme à la papa, ce bon vieux Hugh emmitouflé dans sa robe de chambre en satin, ses multiples concubines, les pin-up d’Alberto Vargas carrossées comme des Corsair, cette Mansion, faux manoir anglais et vrai lieu de frivolité, l’apparition de la première playmate noire Jennifer Jackson en 1965 ou des poils pubiens ceux de Liv Lindeland en 1971, vous incarniez toute une époque, les vieilles légendes d’Hollywood (Groucho Marx, Sinatra, Mae West, Brando, le Dr. Ruth, etc.), la presse comme quatrième pouvoir et la réussite financière d’une entreprise reposant sur la légèreté. Quand Hugh Hefner acheta les droits de reproduction de Marilyn nue pour 500 dollars en 1953, il effectua « le meilleur investissement de toute l’histoire de l’édition » et lança la meilleure arme de propagation massive. Au moment où la presse écrite semble à court d’idées, les préceptes de Hugh n’ont pas pris une ride : des textes brillants, des interviews chocs, de l’humour, un bel objet papier avec une iconographie soignée, une vraie ouverture d’esprit et des filles accortes. Que demander de plus ?
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