Un secrétariat d’Etat aux Droits de l’Homme peut-il être autre chose qu’un gadget ?
L’intitulé même du poste ne peut que placer le ou la titulaire dans une situation intenable.
Faut-il mener une politique de la compassion (« il faut tout faire pour sauver Ingrid Betancourt » ou « il faut tout faire pour libérer les infirmières bulgares ») ? Et s’il le faut, peut-on s’offusquer ensuite que l’on reçoive Chavez ou Khadafi ?)
Tout est une question de proportion. A l’époque du cannibalisme médiatique, si on laisse croire que la politique a pour principale fonction de répondre à toutes les exigences compassionnelles, on se condamne à la surenchère et avec un risque élevé d’échec. Cela dit, dans l’éventail des actions politiques et diplomatiques, il y a à l’évidence une place pour les actions individuelles et la compassion. A l’époque de François Mitterrand, nous avons souvent fait sortir des gens de prison. Mais je le répète, on ne peut pas dire que c’est le cœur d’une politique étrangère. Et, se focaliser là-dessus c’est risquer de passer à côté des véritables enjeux.
Que sont-ils ?
Il s’agit de savoir si, dans vingt ou trente ans, la civilisation européenne sera capable de peser suffisamment dans la nouvelle configuration mondiale, d’assurer sa sécurité et la pérennité de ses valeurs. Les Européens ont beaucoup de désaccords entre eux mais ils sont très attachés à leur mode de vie. Et ce mode de vie risque d’être malmené. Avec la redistribution des forces, nous sommes plutôt sur la défensive, et plus en posture de faire la leçon au monde entier. Il faudra que nous parvenions à un rapport de forces intelligent entre l’Europe, les Chinois, les Russes, le monde arabe, et c’est lié, que nous ayons suffisamment de points d’accord entre nous, Européens, pour réussir à avoir de l’influence à Washington. En plus, il faut réussir la transformation écologique !
Pouvons-nous y arriver à l’intérieur de la machinerie européenne ?
Cela ne se fera ni seulement en dehors de la « machinerie européenne », ni seulement à l’intérieur. Il faut agir aux deux niveaux. Il est maintenant clair qu’on ne construira pas une Europe forte avec des Etats faibles.
Pensez-vous que le Traité simplifié aurait dû être ratifié par référendum ?
Non. Déjà après l’échec de Nice, nous nous sommes lancés dans une fuite en avant qui nous a fait perdre des années. Il était évident que nous n’allions pas fabriquer un peuple européen par le haut. Qualifier un traité de « Constitution » nous condamnait à un référendum perdu d’avance : je vous rappelle que Maastricht a été ratifié de justesse par les Français alors même que François Mitterrand s’était engagé. Nous avons passé des années à nous bagarrer sur des questions théoriques et institutionnelles, alors que nous aurions pu élaborer de nouvelles politiques communes, nous concentrer sur le contenu. C’est ce que nous allons faire maintenant. Tant mieux.
En somme, il faut arrêter de nous demander si nous sommes ou pas, si nous voulons ou pas, et agir. Mais avons-nous les dirigeants pour cela ?
Oui. Les Européens actuels sont tous des pragmatiques, je dirais des pragmatiques-utilitaristes. Il n’y a plus de fédéralistes, ni d’anti-européens parce qu’ils savent que c’est impraticable. Tout le monde est disponible pour agir.
Vous êtes un optimiste raisonné, comme toujours.
Cela dépend des dossiers. Sur l’Europe, oui, je crois que nous allons dans le bons sens. Sur l’Iran, les choses restent ouvertes. Une autre politique est possible. Sur le Proche Orient, tout le monde connaît la solution, si ce n’est le chemin.
Et le Kosovo ?
Dommage qu’il n’y ait plus d’autre solution qu’une indépendance dans des conditions contestables. Je ne suis pas convaincu que ce processus ait été suffisamment pensé dans un cadre régional qui est celui de l’ensemble de l’avenir des Balkans occidentaux par rapport à l’Europe. Le cas du Kosovo peut être contagieux même s’il est aussi assez particulier. Cela pourrait avoir des conséquences en Bosnie, en Macédoine ou ailleurs. Fallait-il se placer sous le coup d’une urgence un peu artificielle ? Il faut maintenant encadrer la suite…
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