Après la publication du rapport des agences américaines sur l’Iran, les partisans de frappes sur ce pays (en France et aux Etats-Unis) paraissent en mauvaise posture, tandis que les défenseurs d’une politique conciliante avec Téhéran triomphent. Faut-il, selon vous, changer totalement de pied par rapport à l’Iran ?
La politique occidentale (américaine, européenne, française) des dernières années à l’égard de l’Iran mériterait un véritable examen, à la lumière de l’évaluation convergente des seize agences de renseignements américaines et de ses résultats d’ensemble. Il existe en effet pour nous deux façons d’appréhender les affaires iraniennes et pas une seule. La première est la ligne américaine des dernières années : isoler l’Iran, refuser toute relation, le diaboliser, rechercher le « regime change », essayer l’asphyxie économique, ligne qui, il me semble, renforce à Téhéran le clan le plus dur. En France même, cette ligne compte de nombreux partisans qui présentent comme inéluctables et nécessaires des frappes contre l’Iran. Mais le rapport des agences américaines leur coupe l’herbe sous le pied en ruinant la thèse du « danger imminent ». Cela devrait être l’occasion de tout remettre à plat et d’essayer une autre politique même si les tenants de la ligne la plus dure se sont précipités pour dire que cela ne changerait rien.
Et quelle serait la bonne politique ?
L’annonce par les Etats-Unis qu’ils sont prêts à ouvrir une vaste négociation avec l’Iran, sans renoncer à aucune de nos exigences concernant le respect du TNP et la sécurité d’Israël, mais sans préalable. Cette politique permettrait de modifier le jeu intérieur iranien et de redonner du poids au clan réaliste alors que la politique occidentale des dernières années fait plutôt le jeu d’Ahmadinejad.
Pensez-vous que beaucoup de gens soient sur cette ligne ?
Oui, il y a pas mal de personnalités américaines de premier plan qui préconisent cette approche. Les Etats-Unis ont raté le coche, notamment avec Khatami, mais justement, le rapport des agences américaines crée une nouvelle opportunité. Aux Etats-Unis, il y a un débat sur ce rapport des agences de renseignement. L’option « dure » – celle des frappes – qui était défendue entre autres par Dick Cheney ne semble plus possible politiquement. En Europe, nombre de gouvernements qui étaient mal à l’aise avec la perspective de frappes sont rassurés mais ils ne sont pas pour autant en mesure de formuler une autre politique. Je suis pourtant convaincu qu’un tournant stratégique est possible et que les Etats-Unis pourraient réaliser avec l’Iran ce que Kissinger a fait avec la Chine en 1972 : l’ouverture de discussions sans condition préalable pour faire bouger les lignes. Quand on pose des préalables, c’est qu’on ne veut pas discuter. Il n’est pas exclu que l’administration Bush saisisse cette occasion. Elle a évolué, notamment du fait de Mrs. Rice, sur la question du Proche Orient, elle peut bouger sur l’Iran. Ce serait son intérêt.
Ce qui signifie que la France pourrait être plus bushiste que Bush. Du reste, le suivisme français en matière diplomatique n’est-il pas étrange ? Faut-il être si empressé vis-à-vis d’une Administration qui est en assez mauvaise posture ?
Qu’un nouveau président français aille aux Etats-Unis est parfaitement normal d’autant que l’administration Bush est encore là pour un an. Peut-être pense-t-il que dans cette période où l’Administration sortante est très isolée, il pourra obtenir des concessions ? Le président Sarkozy a fait l’impasse sur le Proche Orient, l’Irak et l’Iran, mais il a formulé quelques critiques sur le dollar et l’environnement et exprimé des attentes concernant la politique américaine à l’égard de la défense européenne. Donc, ne faisons pas de procès d’intention. Attendons de savoir ce qu’il entend par « Alliance atlantique rénovée » et par « pilier européen de la défense » et voyons ce qu’il obtiendra, peut-être, du président Bush sur ces sujets. Sur l’Iran, on peut comprendre le souci français de maintenir la pression des sanctions mais c’est une politique incomplète.
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