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Retour à Camus

Hubert Védrine publie "Camus, notre rempart" (Plon, 2024)



« À quoi bon des poètes en temps de détresse ? », s’est interrogé Hölderlin. On pourrait remplacer poète par écrivain. On chercherait alors une grande figure intellectuelle capable de nous indiquer la voie à suivre pour endiguer la dévastation générale qui menace de tout emporter. On répondrait du même coup à sa question. Nous sommes confrontés, dans une sorte de brouhaha permanent et faussement festif, à la plus violente mise en question de l’homme que l’Occident ait affronté depuis la Réforme luthérienne. Du reste, ce n’est pas un hasard si l’origine du wokisme est « une névrose protestante américaine », comme le souligne Hubert Védrine dans son essai intitulé : Camus, notre rempart.

Hubert Védrine a longtemps été membre du Parti socialiste. Il a travaillé avec le président François Mitterrand comme conseiller diplomatique, puis Secrétaire général de l’Élysée. Sous la présidence de Jacques Chirac, il est devenu ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de Lionel Jospin, de 1997 à 2002. C’est-à-dire qu’il a dû être doublement diplomate. Dans cet essai, court et saisissant, assez autobiographique, il raconte ce qu’il doit à Camus. À treize ans à peine, il se souvient du flash spécial interrompant l’émission « Salut les copains », sur Europe 1, qui annonce la mort de l’écrivain dans un accident de la route, le 4 janvier 1960. Il ne sait presque rien de lui, mais un lien invisible va l’arrimer définitivement à l’auteur de L’Étranger. C’est l’un des intérêts de ce livre : le chamboulement qu’un écrivain produit dans votre vie ; cet accompagnement silencieux qui jamais ne cesse. Hubert Védrine est tellement sous le charme de Camus, en particulier avec les textes Noces et L’Été, qu’il décide de se rendre à Tipasa. Nous sommes en 1965, il est en préparatoire à Sciences-Po Paris. Védrine raconte : « Je flâne une journée entière. Je m’enivre de beauté, de lumière, d’odeurs, de midi, de Méditerranée. » Il ajoute : « C’est ce Camus-là qui m’a saisi, adolescent. » On ne peut rêver mieux comme éveilleur de sens. Puis le lien se distend, mais il ne rompt pas. Avec le temps, et l’adversité, il aurait même tendance à se renforcer. Hubert Védrine relit l’œuvre entière du prix Nobel 1957. Le regard qu’il porte sur elle est assez rafraîchissant. Il avoue avoir un faible pour Le Premier Homme, roman posthume et inachevé, paru en 1994, pendant la cohabitation Mitterrand-Balladur. « Accaparé de tous côtés, écrit-il, je n’en dévore pas moins le livre si bouleversant sur sa mère, la clef de Camus. »

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À propos de l’engagement de l’intellectuel, Hubert Védrine rappelle que tout artiste est « embarqué », selon l’expression de Camus lui-même. « Pas engagé, au sens progressiste, obligatoire, mais embarqué », précise Védrine. Mais d’autres, contemporains de Camus, n’ont pas hésité, eux, à s’engager ; à devenir voix de la Résistance et à devenir ministre. À chacun son écrivain révéré.

Hubert Védrine, au pas de charge, nous rappelle les temps forts de la vie de Camus : le journaliste courageux avec son reportage sur la misère kabyle, pour Alger-Républicain, où il stigmatise « l’esprit colon » ; ses articles à partir de 1944 pour Combat, ses éditos où il ferraille contre les communistes, et dénonce les camps de concentration soviétiques ; sa rupture avec Sartre ; ses amours incendiaires, en particulier avec Maria Casarès ; sa maison de Lourmarin. Il évoque également sa tombe couverte de fleurs sauvages, à son image.

Pour l’ancien ministre de François Mitterrand, Camus est donc un rempart contre notre effacement programmé. Il écrit : « Je vois Camus comme une grande référence et une lumière dans le brouillard. » Pour ma part, je pense que seul l’ordre de la nuit pourra infléchir le destin, une nouvelle fois fuligineux, de la France. Les ombres défigurées de nos ancêtres guettent notre capacité à réagir.

Hubert Védrine, Camus, notre rempart, Plon.

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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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