Hubert de Givenchy, l’un des grands couturiers de l’âge d’or de la mode française, est décédé ce samedi. Une dernière leçon de style pour une époque qui n’en a plus.
L’actualité de ces dernières heures a quelque chose de terrifiant et d’abyssal. Des informations se percutent et nous plongent dans un abîme de perplexité. Notre société de la transparence et de l’affaissement culturel atteint des sommets indicibles. Des crêtes d’ignorance.
Les mots nous manquent parfois pour décrire notre état d’hébétude face à cette machine qui engloutit tout sur son passage. Elle anéantira la moindre parcelle de beauté et de poésie. Elle finira par salir nos âmes endolories. Elle ne s’arrêtera donc jamais comme si la vulgarité avait envahi tout l’espace. Nous asphyxions de tant de veulerie esthétique et d’approximations artistiques. L’harmonie, l’allure, l’élégance, le bon goût seraient-ils devenus des insultes dans un monde hystérique qui avance par mode, par faiblesse et par cupidité ?
Givenchy, entre deux flots
Nos yeux fatigués par les écrans publicitaires ont oublié le sens des proportions, ce style classique qui exprimait sa quintessence sans jouer les apprentis architectes du corps. Le froissé d’un tissu, le respect des matières, la symphonie des couleurs, quand l’œil n’était pas agressé, gangréné par la facilité et la bêtise. Quand les designers et autres sorciers de la fripe ne voulaient pas tout révolutionner, tout renverser dans l’espoir de heurter le bourgeois, plus souvent par conformisme intellectuel que par provocation.
Ce week-end, les réseaux sociaux relayaient l’étrange initiative du Palais de Tokyo de proposer prochainement une visite réservée aux naturistes. Lorsqu’une annonce comme celle-ci tombe sur votre ordinateur, vous êtes saisi d’un malaise, d’un rire nerveux et d’un profond sentiment de lassitude, voire des trois sensations à la fois. Et cet après-midi, nous venons d’apprendre la disparition du couturier Hubert de Givenchy à l’âge de 91 ans. Deux infos aux antipodes qui seront bientôt noyées par le flot, le flux, la crue des médias, ces sprinters de l’éphémère.
Un prince des années 1950
Qu’aurait pensé le disciple de Balenciaga, l’aristo beauvaisien à la crinière argentée, le propriétaire du manoir du Jonchet, ce gentleman de l’âge d’or d’Hollywood ? Nous ne préférons pas le savoir. Laissons ce seigneur reposer en paix. Evitons-lui ces attaques incessantes dont la laideur est le seul moteur. Cet homme-là avait connu une autre époque où le smoking n’était pas une tenue de pingouin, où les robes de soirée scintillaient sur les marches de l’Opéra de Paris ou à l’entrée du Carnegie Hall et où les actrices ne singeaient pas démagogiquement la ménagère par petites combines mercantiles.
Ce prince des années 1950 habillait les femmes du gotha avec suavité et rigueur, sans jamais brusquer leur silhouette, en ayant toujours l’audace du détail qui charme, qui émeut aussi.
Avec Givenchy, les trente glorieuses gardaient la tête haute et aussi une certaine féérie « Grand Siècle ». Cet immense couturier ne se fourvoyait pas dans une maison en fusion prompte à se donner au premier maquignon. Ses supportrices s’appelaient Greta, Marlène, Lauren ou Grace. En ce temps-là, il existait une variété infinie de tenues pour le bal, le cocktail, le grand soir, etc. On faisait l’effort de se vêtir pour sortir. Cette vieille politesse française, bienséance désuète et splendide, était probablement le meilleur témoignage de notre humanité triomphante.
L’éternel témoin de nos relâchements
Avec Givenchy, notre contrat social ne se fissurait pas sur l’autel du crasseux et du spectaculaire. Femmes du monde et femmes du peuple regardaient ces tenues de rêve avec la même envie. Ce grand couturier ne faisait pas dans le divertissement et le grotesque. Ses créations intimistes et brillantes ne juraient pas. Il avait trop de respect pour son métier et pour ses fidèles clientes que de se risquer dans la confection de vêtements hasardeux et blessants.
Alors cet après-midi, pour apprécier le talent de ce créateur, il suffit de regarder quelques images de lui sur le net. Ce n’est pas la peine d’être un spécialiste de l’organdi ou de la soie sauvage pour s’émerveiller d’une classe naturelle. Givenchy était un maître. Il faut le voir se promener sur les quais de Seine avec son amie Audrey Hepburn, on se dit que notre société a vrillé à un moment. On est ébloui par ce tableau hors du temps. Ils sont uniques, lui en costume, elle en trench-coat, ils évoquent une parenthèse enchantée.
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