En France, l’essayiste « indigéniste » a publié le très polémique et critiqué Les Blancs, les Juifs et nous. Dans les universités américaines, la sulfureuse militante bénéficie d’un bon accueil.
Le 14 décembre dernier, le Islamophobia Research and Documentation Project (IRDP) de la University of California Berkeley a pris part à un événement au cœur de Paris s’intitulant “Islam et Politique: la Grande Discorde” aux côtés du Parti des Indigènes de la République (PIR) ainsi que du Comité Contre l’Islamophobie en France.
Le directeur de l’IRDP est un certain Hatem Bazian, bien connu outre-Atlantique pour son antisémitisme ainsi que ses liens avec les réseaux américain du Hamas et autres islamistes. Cet événement représente un jalon sur le chemin de l’inquiétant rapprochement transatlantique des islamistes et de leurs partisans. Ce rapprochement s’opère sous l’œil bienveillant de certains intellectuels américains comme en témoigne la trajectoire de Houria Bouteldja, cofondatrice et porte-parole du PIR, qui jouit de liens privilégiés avec la sphère universitaire américaine malgré son image écornée en France.
Aux Etats-Unis, Bouteldja est encensée
Le livre polémique de Bouteldja, Les Blancs, les Juifs et nous, publié en 2016, a en effet été reçu par un déluge de condamnations provenant de tous bords. Pourtant, ce même ouvrage a été traduit vers l’anglais et publié aux Etats-Unis où, au lieu de s’attirer des critiques amplement justifiées, il a été encensé par des professeurs, vendu sur le site internet du prestigieux Massachusetts Institute of Technology, et présenté comme un admirable défi intellectuel lancé à un Occident en plein déclin. Un engouement qui dure: il y a peine quelque mois, la non moins prestigieuse université de Brown invitait Bouteldja à s’exprimer sur son livre lors d’un séminaire portant sur les droits de l’homme.
Il est consternant de constater que Houria Bouteldja, dont la crédibilité est à juste titre bien endommagée en France, soit reçue telle une admirable militante aux Etats-Unis, invitée par des universités renommées et son livre loué comme une prouesse d’avant-garde…
Fuyant les critiques françaises acérées, c’est à l’étranger que Bouteldja peut se targuer d’être respectée comme d’autres avant elle, tel Tariq Ramadan. Que Bouteldja se soit donc réincarnée en une figure de proue de la lutte antiraciste, prêchant l’amour révolutionnaire à travers son livre tout en guidant le peuple à grand renforts d’antisémitisme et d’incohérences est donc malheureusement plus révoltant que réellement étonnant.
Mais l’on peut tout de même hausser un sourcil face aux louanges et autres analyses flatteuses de son œuvre que les universitaires américains se sont empressées d’offrir à Bouteldja. En effet, la préface élogieuse de son livre a été rédigée par Dr. Cornel West, diplômé de l’Université de Princeton, enseignant la philosophie à Harvard et se décrivant comme étant un « intellectuel provocateur ». Il semblerait que son enthousiasme pour le texte de Bouteldja soit donc une tentative plus ou moins réussie de prouver son titre de provocateur à défaut de confirmer celui d’intellectuel !
Cette révolution indigène qui couve
Selon ce Dr. West, ce livre est un acte « courageux et controversé d’amour révolutionnaire ». Plus encore, un argument intellectuel percutant s’élevant contre « l’innocence impérialiste », un émouvant « cri du cœur appelant à une politique de révolution indigène » tout en évoquant des questions faisant appel au meilleur de nous-mêmes. Bouteldja qualifie cette préface de « significative » car confirmant, encore d’après l’intéressée, que le monde académique anglo-saxon la considère comme une « voix qu’il faut respecter ». Il s’agit ici non de respect mais d’une servilité la plus totale, empreinte d’un lyrisme assez incongru, qui serait impensable en France, et pour cause!
Ce livre a été reçu par de sévères critiques lors de sa publication française mais ce léger détail qui détonnerait fâcheusement parmi cette pluie d’éloges est soigneusement omis par tous ces admirateurs. D’autant plus que Les Blancs, les Juifs, et Nous est même au programme de certains cours universitaires, tel celui de Benjamin Claude Brower de la University of Texas à Austin. Il est permis de douter du bien-fondé de l’image de l’Europe « postcoloniale» que le professeur Brower transmettra à ses étudiants à travers Bouteldja.
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Loin d’être une politique d’amour révolutionnaire, comme Bouteldja se plaît à décrire son texte, il s’agit plutôt d’un appel à la division. Il faut reconnaître que si l’on peut critiquer l’auteur pour ses nombreuses erreurs et son raisonnement parfois incompréhensible, l’on peut difficilement l’accuser de pécher par son manque de provocation. Entre son admiration non feinte pour un Ahmedinejad niant l’existence d’homosexuels en Iran et la Shoah qui serait heureusement « moins qu’un « détail » de l’Histoire dans le Sud, on peine à comprendre l’emballement pour Bouteldja outre-Atlantique.
« Hégémonie de la laïcité et sa racialisation dédaigneuse du religieux »
Bouteldja a aussi reçu le soutien enthousiaste d’un doctorant de la University of California de Los Angeles qui lui offrit une critique encenseuse dans la Los Angeles Review of Books. Selon Ben Ratskoff, Bouteldja a raison d’affirmer que les musulmans français seraient perçus comme une menace par leur compatriotes « blancs » car connaissant quelque chose qui échappe à la « raison blanche ». Le raisonnement est justement pour le moins douteux, les Français non-musulmans seraient donc incapable de fournir l’effort nécessaire pour comprendre les fondements d’une religion monothéiste?
Mais Ratskoff va plus loin encore: selon lui, les lecteurs qui éprouveraient une certaine gêne face au potentiel soit disant radical d’une soumission devant Dieu tel que présenté par Bouteldja révéleraient par là même leur propre soumission à « l’hégémonie de la laïcité et sa racialisation dédaigneuse du religieux ».
Il conclut qu’il faut avoir « la patience d’écouter, la ténacité de défier, et l’humilité d’apprendre du travail de cette femme colonisée»… Il y aurait tant à redire sur l’analyse – ou les élucubrations – de Ratskoff mais constatons simplement qu’une fois de plus Bouteldja reçoit un appui absolu sans la moindre réelle remise en question de ses affirmations.
Ce même Ratskoff a récemment traduit ses propos vers l’anglais, Bouteldja annonçant avec fierté que ces derniers étaient désormais disponibles «in English»! On apprend que lors de ses conférences à des universités américaines ainsi qu’à celle de Naples, Bouteldja affirmait que les attaques terroristes perpétrées en France étaient «le produit, à l’extérieur, des interventions occidentales (avec notamment la destruction de l’Afghanistan et de l’Irak) et d’une compétition entre grandes puissances internationales et régionales, et en interne, des effets du racisme en général et de l’islamophobie en particulier». Bien entendu, aucune évocation de l’islamisme ne figure dans son explication.
Les Américains n’ont pas encore perçu le racialisme étriqué de la prose de Bouteldja
En mars 2019, c’était au tour de la célèbre université de Brown de recevoir Bouteldja au sein de leur Pembroke Center for Teaching and Research on Women pour une conférence s’appuyant sur ce même livre. Le Pembroke Center a été ainsi nommé en l’honneur des efforts fourni par des femmes qui se sont battues pour accéder aux études supérieures. Et pourtant, quelques décennies plus tard, voilà que le centre invite une femme qui applaudit la mutilation de petites filles comme étant une déclaration de victoire décoloniale. En effet, dans son livre, Bouteldja raconte que lors d’un rite patriarcal pratiqué pendant son enfance, une lame de rasoir a laissé des traces indélébiles sur ses cuisses. Elle loue ce symbole corporel d’appartenance “à l’Algérie, à l’Islam” et félicite ses ancêtres d’avoir gagné cette partie contre la France, accusée de vouloir coloniser son corps. Ce rite misogyne qui se déroule encore dans certains endroits de l’Algérie n’a aucun lien avec l’Islam et est farouchement condamné par la majorité des femmes algériennes.
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En 2014, Bouteldja avait déjà été invitée par l’université de Berkeley à s’exprimer sur l’islamophobie lors d’une conférence dédiée à ce sujet. Finissant son discours, elle s’était empressée de remercier le susmentionné Bazian pour « son dévouement et son engagement auprès du parti des Indigènes de la République » et avait déclaré espérer « que cette collaboration entre Berkeley et les milieux antiracistes français se poursuive et continue de faire des petits». Le vœu de Bouteldja semble avoir été exaucé comme en témoigne le dernier « petit » du 14 décembre.
Il est consternant de constater que Houria Bouteldja, dont la crédibilité est à juste titre bien endommagée en France, soit reçue telle une admirable militante aux Etats Unis, invitée par des universités renommées et son livre loué comme une prouesse d’avant-garde, sa réputation entachée demeurant sagement de l’autre côté de l’Atlantique. Bien évidemment, Bouteldja explique ce phénomène en invoquant une provincialisation de la France qui serait incapable de comprendre ses idées. Ses efforts pour se recréer une image à l’étranger portent leurs fruits: profitant que ses critiques soient à des milliers de kilomètres, elle se réinvente sous un jour ô combien plus flatteur avec la complicité de certains intellectuels américains qui lui offrent un appui décrédibilisant par son inconditionnalité enflammée et propagent ses convictions douteuses sans faire preuve du moindre discernement. Mais les soutiens sont éphémères contrairement aux écrits: que Bouteldja profite de ses heures de gloire, sa malhonnêteté intellectuelle, sa vision étriquée du monde et son égarement la rattraperont tôt ou tard.
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