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Houria Bouteldja, son dernier livre, et moi

"Beaufs et barbares, le pari du nous" de Houria Bouteldja (La Fabrique, 2023)


Houria Bouteldja, son dernier livre, et moi
La journaliste Céline Pina © Bernard Martinez

Céline Pina s’est farci le dernier bouquin islamo-gauchiste d’Houria Bouteldja…


On entre dans Beaufs et Barbares par une référence à l’apocalypse. Une référence qui tourne au lapsus involontaire, car Houria Bouteldja, après son brûlot raciste Les Blancs, les Juifs et Nous, nous offre son coming-out totalitaire. Dans son nouvel ouvrage, la race est le moteur de l’histoire et la domination blanche le principe d’oppression unique et absolu ! « S’il y a bien une unité qui s’affirme dont le triomphe est annoncé, c’est celle de la suprématie blanche ».

Partant de cette représentation, Houria Bouteldja construit une inquiétante stratégie de prise du pouvoir: « Nous avons l’Idée, le mythe mobilisateur. Nous connaissons l’Ennemi. Il nous faut maintenant une volonté collective et une stratégie globale pour détruire ceux qui détruisent la terre ». La seule chose dont elle ne parle jamais, c’est de la société qui devrait sortir de cette table rase fantasmée, comme si la destruction était l’acmé de la réalisation.

Houria Bouteldja, 2010 / PHOTO: CAPMAN/SIPA / 00591553_000018

L’histoire réduite à l’oppression blanche

Il y a un dicton qui dit qu’il vaut mieux chercher des solutions que désigner des coupables. Dans le premier cas on fait appel à ce que l’humanité a de plus grand : sa capacité de création et d’action. Dans le second, on nourrit la bête humaine et on lui offre du sang faute d’être capable de construire un chemin. Et pour que verser le sang soit légitime, autant ne pas s’embarrasser de subtilité : « Ce monde est capitaliste. Ce monde c’est la destruction du vivant. Ce monde, c’est la guerre. Il faut y mettre fin. Maintenant ». Le diagnostic est simpliste, le remède l’est plus encore. Mais comme à toute fin, il faut un début, Houria Bouteldja propose de commencer par la destruction de l’incarnation du mal absolu, l’Occident, et de ce qui permet sa domination mondiale et sa puissance historique, le rapport de race.

Elle revient sur le fait que Mélenchon et Martinez sont des butins de guerre, mais l’alliance restera limitée: « Avec les Blancs, petits ou grands, au travers de leurs organisations ou de leurs représentations diverses, il faut toujours rester aux aguets »…

Là encore, le constat est basique : « Le rapport de race, c’est le vol, l’accaparement des terres et des ressources, le viol, la mise à mort des « peuples de couleur » ». Et c’est la faute unique des Blancs et de l’Etat-Nation. Tout le livre est une pesante démonstration de cette thèse et cela passe par le raccourci historique douteux et la victimisation véhémente. Le but : justifier la violence nécessaire pour détruire le système. Le livre instruit donc une histoire du monde depuis Christophe Colomb se résumant à la violence des Blancs. Le monde se réduit à l’Occident, l’histoire à l’histoire de l’esclavage et de la colonisation. Pas de grandes découvertes, de progrès scientifique, de développement culturel et philosophique, pas d’existence réelle des Lumières, pas de travail accompli sur la dignité de l’être humain, la reconnaissance de l’égalité, le fait de fonder la société sur ces idéaux… Tout cela n’existe pas pour Houria Bouteldja, ou alors si, mais comme un moyen pour la bourgeoisie blanche de rallier le prolétaire blanc en lui faisant croire qu’il est un acteur politique et pas un exploité consentant. Elle réussit à résumer 500 ans d’histoire européenne sous le seul prisme de son obsession, une longue marche d’oppression contre les « peuples de couleur ». Le Grand Siècle se voit ainsi réduit au seul code noir, par exemple. Mais il faut bien tordre l’histoire pour pouvoir justifier ce type d’outrance : « On ne s’étonnera pas que le sort réservé aux natifs puis aux Africains soit devenu un modèle parfaitement assumé par Hitler et Mussolini ».

Beaufs et Barbares, une alliance de circonstance pour détruire le système

Mais si Houria Bouteldja écrit un nouveau livre, c’est certes pour mettre en accusation les Blancs et la « blanchité », mais aussi pour accoucher d’une stratégie de prise du pouvoir révolutionnaire. Cette stratégie s’appuie sur ce que décrit Hannah Arendt dans Les Origines du totalitarisme, quand elle note le lien qui se noue entre une certaine élite avant-gardiste et ce qu’elle appelle la populace. Un lien qui favorisera le déchainement de la violence. La populace, Houria Bouteldja la désigne sous le vocable de beaufs et barbares. C’est l’union des islamistes et des gilets jaunes, des musulmans habitants des cités et des petits blancs. Non qu’elle apprécie les « petits blancs », ils restent des Blancs donc des privilégiés inconscients, mais ils peuvent être utiles car ils sont un liant du système: « Dès lors le salaire de la Blanchité devient, entre les mains des autorités légitimes, l’arme la plus redoutable de la contre-révolution en formant entre les classes dominantes et les esclaves, une classe tampon soumise à une extorsion moindre de la plus-value qu’elle produit. Cette classe ce sera celle des migrants venus d’Europe et fuyant la misère. Les Blancs en devenir ».

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Comme, selon Houria Bouteldja, la notion de peuple n’est que le fruit d’une manipulation qui vise à occulter les contradictions de classe au profit du sentiment national, pour y parvenir il faut donner aux petits Blancs, des personnes à dominer : ce seront les « races inférieures ». C’est ce qu’Houria Bouteldja appelle le « pacte racial » : « Ce pacte est au cœur de la troisième République, république raciste et coloniale par excellence. Une République qui enfante l’Etat-nation, la superstructure en béton qui condense les nouveaux rapports de force au sein de l’Etat répartis comme suit : primat de la bourgeoisie sur les classes subalternes, primat des classes subalternes sur les races inférieures ».

L’Etat nation est alors opposé à l’organisation tribale. Dans le premier cas on est dans l’abstraction citoyenne et le lien organique alors que dans l’autre, on nage dans la chaleur humaine et les relations vraies. A se demander pourquoi la jeunesse de tant de pays se rue vers le méchant Occident oppresseur alors qu’elle vit là où on sait ce qui est important dans les liens humains ! Dommage que l’organisation tribale n’ait enfanté que de sociétés où l’on vit mal et meurt tôt, dommage que ces sociétés-là pratiquent encore l’esclavage ou une forme d’oppression qui s’en rapproche, mais notre Fouquier-Tinville de l’indigénisme n’en a cure. Le but est de faire un portrait de l’Occident en destructeur d’humanité.

Le lien démocratique réduit à la logique du bouc émissaire

Comme dans son esprit, seule la désignation d’un bouc émissaire crée des liens entre Blancs, elle ne conçoit même pas qu’un contrat social repose sur des aspirations et des visions du monde partagées. Selon sa logique, après la disparition du communisme, « il a fallu trouver un nouvel ennemi capable d’unifier le bloc impérialiste ». Le jihadisme, l’islamisme, tout cela n’est abordé que comme un outil permettant à la bourgeoisie blanche de désigner l’ennemi pour empêcher les petits blancs de rejoindre les « non-blancs » opprimés. 500 ans d’histoire sont ainsi étirés en une longue histoire du racisme et du rejet de l’altérité par toutes les composantes de la société française. C’est du niveau d’une rédaction de troisième, mais ce qui fait l’efficacité de théories aussi pauvres intellectuellement, c’est justement leur médiocrité. Les obsessionnels et les complotistes ont une grande force de pénétration dans les esprits, car ils proposent des lectures simplistes et exaltées de l’histoire. Elles n’ont qu’un seul rôle : exacerber le sentiment d’injustice en jouant sur la victimisation pour attiser la haine et favoriser le passage à l’acte. La vérité et l’honnêteté sont accessoires, seule compte la rage destructrice générée.

Les Blancs aiment-ils les enfants ?

C’est la deuxième partie qui montre toute la haine qui croupit dans le cerveau de l’égérie des indigénistes. Le chapitre « Les Blancs aiment-ils les enfants ? » est révélateur. Le titre promet, la suite tiendra. À une femme qui lui reprochait sa violence contre les homosexuels et la difficulté que les enfants de ces familles pouvaient ressentir face à de tels discours, Houria Bouteldja oppose une bouillie de chat expliquant que la même dame se moque de l’intervention française au Mali, ce qui signifie qu’elle se fout des enfants maliens. On ne voit pas tellement la logique de ce raisonnement mais Houria Bouteldja semble en être fière ! Comme elle est fière d’expliquer que si les gilets jaunes n’ont pas exprimé leur racisme, ce n’est pas que cela leur soit étranger, mais parce qu’ils pratiquent le double langage par peur de se voir donner des leçons par les élites dirigeantes. Les Blancs n’aiment que leurs enfants selon Houria Bouteldja, qui, elle, n’aime personne. Elle finit la séquence en racontant une anecdote dans laquelle un Blanc demande à Malcom X, qu’il reconnait dans la rue : « ça ne vous ennuie pas de serrer la main à un blanc ? » Malcom X répond : « ça ne m’ennuie pas de serrer la main à un être humain, en êtes-vous un ? ». L’extrait met mal à l’aise. Parce que celui qui déshumanise l’autre ici n’est pas le Blanc, mais le leader qu’Houria Bouteldja admire. Et la réponse de Malcom X ne signifie pas que la couleur de peau ne compte pas. Elle dit qu’il refuse le qualificatif d’être humain à une autre personne, qui en lui tendant la main suppose pourtant ce partage comme évident. Or pour Malcom X, cela ne l’est pas. Pour Houria Bouteldja non plus. Aucune relation objective n’est possible on est soit un ennemi objectif, soit de la famille. C’est encore le lien tribal, le nous identitaire qui prédomine. Hors de ce « nous », l’appartenance à l’humanité est contestée.

Pour autant, le chapitre se termine sur une note quasiment cucul. Bouteldja, revenant sur son échange avec la femme qui lui reproche de tenir des propos homophobes, nous parle de la haine qu’elle sent chez cette femme, et la décrit finalement comme prête à se jeter du côté obscur. Elle note: « il y a en elle la possibilité d’une sœur ». Pas d’une égale, pas d’une interlocutrice valable, pas d’une compatriote, d’une sœur.

Un brûlot efficace car correspondant aux représentations culturelles de ceux qu’il cible

Il n’empêche qu’Houria Bouteldja tape juste sur certains points. D’abord, sa logorrhée simpliste et manichéenne correspond parfaitement aux discours de légitimation des pouvoirs algérien ou malien… Bref, de nombre de pays qui instrumentalisent le passé colonial pour s’exonérer de leur corruption et de leur incompétence actuelle. Elle correspond aussi aux discours de propagande des Russes dans leur entreprise de recolonisation de l’Afrique. Elle correspond également à des représentations majoritaires dans les banlieues et à la lecture qu’imposent de plus en plus le jihadisme et l’islamisme dans le monde islamique. Elle voit juste aussi quand elle analyse l’Europe comme un instrument qui peut casser le contrat social : « L’Union européenne peine à capter le consentement des masses. En cause son caractère foncièrement anti-démocratique qui renforce l’exclusion des masses des centres de décision. En cause le fait qu’elle ne soit qu’une internationalisation des intérêts des blocs bourgeois, leur propre prolongement au sein des institutions bureaucratiques qui privent les peuples européens et les classes populaires en particulier de leur pleine souveraineté.» Le Frexit pourrait être, selon elle, un moyen de réaliser l’alliance de circonstance dont elle rêve entre classes populaires blanches et « indigènes ». Elle revient sur le fait que Mélenchon et Martinez sont des butins de guerre, mais l’alliance restera limitée: « Avec les Blancs, petits ou grands, au travers de leurs organisations ou de leurs représentations diverses, il faut toujours rester aux aguets ».

Lire Beaufs et Barbares, c’est un peu comme se faire les boutons, ce n’est pas beau à voir, cela aggrave les problèmes au lieu de les résoudre et pourtant, jeunes, on ne peut s’en empêcher et la satisfaction de faire couler le pus l’emporte dans l’instant sur la certitude de l’infection et de l’inflammation. S’adresser au cerveau reptilien, c’est un peu comme se faire les boutons, cela ne peut que vous mener droit dans le mur mais pendant une minute, en crachant la haine et l’aigreur, on peut se prendre pour la reine des dragons et croire qu’on est le feu qui purifiera le monde. Pour cela, l’intelligence n’est pas l’option la plus rentable, ce qui marche au contraire c’est la bêtise la plus crasse, celle qui trouve une cause unique à tous les maux. Pour Houria Bouteldja, la clé de compréhension de l’univers est finalement un peu la même que celle qu’avait de la réalité… Hitler. Oui, pour elle, tout passe par la race. Son seul projet : détruire cette domination blanche quitte à se résoudre à une alliance de circonstance avec la gauche et les petits Blancs. En revanche, on ne saura jamais quelle société sera créée, ce point-là n’est pas abordé. Seules comptent la destruction et la prise de pouvoir. Pour en faire quoi ? Cela importe peu, Bouteldja ne nourrit pas un projet d’avenir mais poursuit une logique de vengeance.

Il est probable qu’Houria Bouteldja n’ait jamais à faire ce travail elle-même, car le projet de société qu’il y a derrière tout cela existe déjà. C’est celui de l’islam politique. Mais le dire empêcherait la stratégie qui consiste à unir beaufs, « barbares » et gauchistes… Car si leurs intérêts peuvent converger dans la destruction, les beaufs et les gauchistes n’auront qu’une place d’inférieurs dans la nouvelle société. Alors autant le leur laisser découvrir. Après.

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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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