Les particules alimentaires


Les particules alimentaires
Michel Houellebecq à son domicile du XIIIe arrondissement de Paris, 2014 (Photo : Philippe Matsas/OPale/Leemage)
Michel Houellebecq à son domicile du XIIIe arrondissement de Paris, 2014 (Photo : Philippe Matsas/OPale/Leemage)

Et si, ramenée à sa dimension sociologique et politique par une critique à l’instinct grégaire bien affirmé, l’œuvre de Michel Houellebecq pouvait se lire, sinon se déguster, comme un traité de gastronomie et un ouvrage de cuisine ? Tel a été en substance le pari fou – et formidablement réussi – d’un spécialiste de la littérature française tout à fait sérieux, maître de conférences à l’université d’Aix-Marseille, Jean-Marc Quaranta. En scientifique doublé d’un fin gourmet, Quaranta livre, dans son Houellebecq aux fourneaux, l’analyse sans doute la plus originale à ce jour de la prose houellebecquienne, décortiquant à la fois la portée romanesque de divers menus et leur réelle composition, pour nous inviter à réaliser (sic !) quelques-unes des recettes parmi la soixantaine qu’il recense. Il y aurait au total près de 200 plats mentionnés par celui que Dominique Noguez a qualifié de « Baudelaire des supermarchés » dans les pages de ses romans, autrement dit 34 plats par livre.[access capability= »lire_inedits »]

Pourtant, on avait cru Houellebecq indifférent au contenu de son assiette. À tort ! « Dans cet univers romanesque où tout est décapé à l’acide du regard sociologique […], la cuisine conserve la mémoire que nous fûmes des hommes, après avoir été des bêtes et avant de devenir des consommateurs, des animaux politiques sans cité, des citoyens sans droits ni devoirs – sauf ceux de consommer et de désirer, sans avoir », nous rappelle opportunément Quaranta.

Souvent contraints de la réduire à une pure nécessité biologique, les protagonistes houellebecqiens entretiennent avec la nourriture des rapports complexes, toujours révélateurs de leur état psychologique, de leur position dans la hiérarchie sociale ou, enfin, de leur malaise face à l’évolution de la société dans son ensemble. Qu’il s’agisse d’un comportement pathologique, illustré par le boulimique Bruno dans Les Particules élémentaires, ou d’une représentation idéalisée de la tarte aux pommes, symbole de l’amour conjugal dans Extension du domaine de la lutte, Houellebecq ne laisse rien au hasard. La preuve ? Quand il fait sortir son propre personnage de la dépression, quand il permet à l’écrivain Houellebecq de La Carte et le Territoire de regagner sa maison d’enfance dans le Loiret, il le figure en hôte attentionné, qui accueille son invité avec un pot-au-feu fait maison. En fait, même le plus désenchanté des écrivains contemporains partagerait avec le commun des mortels la foi en la puissance rédemptrice de la bonne chère.[/access]

Houellebecq aux fourneaux, Jean-Marc Quaranta, Ed. Plein Jour, 332 pages.

Houellebecq aux fourneaux

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Juin 2016 - #36

Article extrait du Magazine Causeur



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Paulina Dalmayer est journaliste et travaille dans l'édition.

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