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Horst Köhler, un Allemand très convenable


Horst Köhler, un Allemand très convenable
Horst Köhler.
Horst Köhler.

On se souvient de l’adage chevènementiste : « Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne », largement battu en brèche par le n’importe quoi régissant aujourd’hui nos mœurs politiques. En allemand, cela pourrait se traduire par la formule : « Un président fédéral, ça démissionne après qu’il l’a ouverte. » Précisons tout de suite qu’en République fédérale d’Allemagne, le président, élu par les deux chambres réunies, exerce un rôle essentiellement honorifique et représentatif, le pouvoir effectif étant exercé par le chancelier, qui se trouve être actuellement une chancelière. On désigne généralement pour cette fonction des personnalités en fin de carrière, qui ont su acquérir une popularité et une autorité morale dépassant les frontières de leur famille politique. Ce fut le cas, dans le passé récent, pour le chrétien-démocrate Richard von Weizsäcker et le social-démocrate Johannes Rau. Parfois, les parlementaires allemands eurent la main moins heureuse, par exemple avec Heinrich Lübke, qui fut accusé d’avoir contribué, comme architecte, à la construction du camp d’extermination d’Auschwitz. Il poursuivit, néanmoins, son mandat jusqu’à son terme.

Patriote, pas nationaliste
Horst Köhler, 67 ans, issu d’une famille d’agriculteurs allemands de Bessarabie réfugiée en RFA après la débâcle hitlérienne, et un court passage dans la RDA communiste, est entré en politique par l’économie. Il fut chef de cabinet de plusieurs ministres des finances, avant de devenir le principal négociateur allemand des traités de Maastricht et conseiller du chancelier Kohl dans les grandes négociations internationales. Pour l’avoir vu à l’œuvre dans ces fonctions, je peux assurer que derrière l’exquise courtoisie de cet homme et son sourire avenant se trouvait un défenseur inflexible des intérêts économiques de l’Allemagne, pour qui il n’a pas été facile de lâcher le deutschemark pour l’euro…

Ce conservateur éclairé évitait pourtant toute rodomontade nationaliste excessive, car il avait intégré dans sa pensée économique le poids de l’histoire allemande. Jusqu’à la réunification, la retenue et l’usage modéré de la puissance financière de la RFA relevait d’une nécessité politique : assurer le retour définitif de l’Allemagne dans le cercle des nations civilisées, ce qui nécessite un certain temps après les horreurs du siècle dernier.

En 2003, à son retour de Washington, où il dirigea le FMI, il est proposé par le chancelier Gerhard Schröder pour succéder au social-démocrate Johannes Rau au château de Bellevue, à Berlin, siège de la présidence fédérale. En mai 2009, son mandat de cinq ans est renouvelé à la quasi unanimité. En bonne logique, Horst Köhler aurait dû couler des jours paisibles et studieux dans son palais de Berlin-Charlottenburg jusqu’en 2014. On ne lui connaît en effet aucun vice caché pouvant lui créer des ennuis : bon mari monogame dans le temps et l’espace, bon père de famille, sans enfant adultérin connu, il a toujours mené la vie aisée, mais non ostentatoire, d’un haut fonctionnaire allemand. Et pourtant il sera le premier président fédéral de l’Allemagne d’après guerre à démissionner de ses fonctions. Il a annoncé sa décision le 29 mai, en la motivant par le flot de critiques provoqué par une déclaration à la radio nationale, à la suite de sa visite au contingent allemand en Afghanistan. Voici la teneur de ces propos, jugés scandaleux outre-Rhin : « A mon avis, la société {allemande} dans son ensemble est en train d’accepter progressivement (…) que dans le doute et en cas de nécessité, un engagement militaire peut être nécessaire pour protéger nos intérêts, par exemple la liberté des voies commerciales, ou en empêchant l’instabilité dans des régions entières qui aurait des effets négatifs sur nos échanges, nos emplois et nos revenus. » Ach ! Mein Gott ! Que n’avait-il pas dit là ! Suggérer, avec d’infinies précautions, que les soldats allemands pourraient se voir, par exemple, donner comme mission de garantir la libre circulation des exportations allemandes embarquées sur des navires marchands au large de la Somalie relève, pour certains commentateurs politiques d’outre Rhin, d’une tentative de reconstitution de ligue dissoute, à savoir le mythique Afrikakorps d’Erwin Rommel. En Afghanistan, d’ailleurs, les soldats allemands sont la plupart du temps confinés dans leurs casernes, et n’en sortent que pour donner un appui logistique aux « vrais » combattants, américains, britanniques, français ou canadiens…Aucun gouvernement de Berlin ne pourrait survivre à plus d’une dizaine de soldats de la Bundeswehr tués au feu.

Le poids du passé, un prétexte commode à l’inaction
« Que cela est bel et bon ! », diront quelques Français qui regardent trop souvent Arte : mieux vaut une Bundeswehr de couilles molles qu’une Wehrmacht défilant au pas de l’oie sur les Champs-Elysées. Imparable, mais un peu court. L’abstinence militaire allemande a changé de nature avec l’évolution géopolitique du monde au cours du dernier demi-siècle : d’abord imposée par les puissances victorieuses en 1945, puis intégrée dans la doctrine de tous les dirigeants de la RFA jusqu’en 1989, elle a été décrétée caduque à la fin des années 90 par le ministre vert des Affaires étrangères Joshka Fischer, l’ami francfortois de Cohn-Bendit. L’ancien pacifiste intransigeant qui braillait « Plutôt rouge que mort ! » en 1983, lors de la controverse sur les euromissiles, s’est converti à la realpolitik. Il a compris que le poids du passé était devenu un prétexte bien commode pour l’Allemagne pour se tirer des flûtes quand l’Europe et l’Occident doivent sortir le gros bâton pour se faire respecter, et accessoirement protéger leurs citoyens contre des menées terroristes. Bien commode, la repentance extensible à l’infini des belles âmes gauchistes, qui converge avec les intérêts des marchands cyniques. Laissons les autres faire les marioles avec leurs chars et leurs hélicos dans les contrées lointaines, et arrivons ensuite, bardés de bonne conscience et de bons de commandes pour récupérer la mise commerciale !
Cette hyper-repentance, dont nous ne sommes pas épargnés en France avec le ressassement morbide des crimes de la colonisation masquant les turpitudes actuelles des dirigeants des pays ex-colonisés, est-elle plus ou moins dangereuse et immorale que le déni de mémoire ? Horst Köhler a répondu en claquant la porte, qui pourtant était dorée. Il mérite le respect.



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