Horreur à l’espagnole


Horreur à l’espagnole

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Présentés par les excellentes éditions Artus dans de très belles copies en version originale ou doublée,  trois films nous permettent de redécouvrir un pan méconnu de l’histoire du cinéma espagnol, au moment où un souffle de liberté a recommencé à souffler alors qu’agonisait la dictature franquiste… Comme le rappelle très justement Alain Petit dans un entretien passionnant en supplément du Bossu de la morgue, rien ne laissait présager la naissance d’un âge d’or du fantastique dans l’Espagne de la fin des années 60. Pourtant, le régime franquiste et sa censure plutôt pointilleuse vont tolérer un genre considéré comme inoffensif et dépourvu d’enjeux sociaux. Tant que l’action ne se déroule pas sur le territoire espagnol, les cinéastes vont pouvoir lâcher la bride de leur imagination. Un des précurseurs du genre sera Jess Franco qui signe en 1962 L’horrible docteur Orlof, petit chef-d’œuvre de l’épouvante macabre lorgnant aussi bien du côté de l’expressionnisme allemand que du gothique anglais. Tout en affectionnant particulièrement le genre fantastique, ce cinéaste va bâtir une œuvre tellement atypique et singulière qu’il se situe un peu à part dans cet âge d’or.

En revanche, une personnalité comme Paul Naschy va symboliser à merveille ce courant fantastique ibérique. En 1968, cet ancien culturiste écrit le scénario de La marca del hombre lobo, hommage affiché aux grands classiques américains des studios Universal, et finit par interpréter lui-même le rôle du loup-garou dans ce film.  Les vampires du Dr Dracula, puisque c’est sous ce titre idiot qu’il sortit en France, va connaître un grand succès et lancer cet âge d’or du genre en Espagne. Réalisé par un cinéaste bien oublié, Enrique Lopez Eguiluz, le film se révèle assez inégal. Parce qu’ils ont pillé la tombe d’un vieux château en ruine et retiré une croix d’argent du cœur de Imre Wolfstein, des bohémiens redonnent vie à ce loup-garou qui sème à nouveau la terreur parmi les autochtones. Waldemar Daninsky (Paul Naschy) participe à une battue pour neutraliser le monstre mais il se fait mordre et devient loup-garou à son tour…

On l’aura compris à la lecture de ce résumé, Les vampires du Dr Dracula est une relecture du mythe du loup-garou. Par le soin accordé à la réalisation, un très beau Cinémascope, et à la photographie, des éclairages bleus et rouges qui évoquent les grandes réussites du grand « coloriste » italien Mario Bava, le film rend un hommage sincère et assez beau aux classiques du cinéma américain mais également aux films gothiques anglais que produisait la Hammer depuis une dizaine d’années. Malheureusement, le soin accordé à la direction artistique ne compense pas totalement les problèmes de rythme parfois un peu languissant et, surtout, le caractère éminemment abracadabrant du récit.  Reste alors la performance de Paul Naschy, assez peu convaincant lorsqu’il joue les séducteurs ravissant au jeune premier sa fiancée mais presque émouvant lorsqu’il devient un lycanthrope tourmenté. Ce comédien va devenir la figure phare de cet âge d’or du cinéma fantastique espagnol.

Quand le cinéma de genre agonisera en 1975 avec la mort de Franco et l’arrivée en masse sur les écrans du cinéma érotique, Paul Naschy passera lui-même derrière la caméra et poursuivra son œuvre d’amateur éclairé du genre. Lorsqu’on jette un œil à sa carrière, on constate qu’il a incarné tous les grands mythes de l’épouvante : le loup-garou, la momie, Mister Hyde, Jack l’éventreur, Dracula, Frankenstein mais également le moine Raspoutine, le docteur Petiot ou Gilles de Rais ! Ce n’est sans doute pas pour rien qu’il fut surnommé le « Lon Chaney ibérique ». Un de ses meilleurs rôles est assurément celui du bossu Gotho dans Le bossu de la morgue (1972) film totalement fou de Javier Aguirre. Alors qu’il est employé dans un hôpital et qu’il est la risée de tous, il tombe éperdument amoureux d’une jeune patiente. Quand cette dernière meurt, Gotho sombre dans la démence et emporte avec lui le cadavre dans un souterrain. Il va ensuite devenir une sorte d’assistant pour un savant fou qui lui promet de ramener sa belle à la vie à condition qu’il l’aide dans ses expériences et lui procure… des cadavres.

Ces quelques lignes de résumé ne rendent pas compte de la folie furieuse d’un film qui convoque les fantômes de Victor Hugo et de Mary Shelley pour mieux plonger le spectateur dans un  grand-guignol assez réjouissant. Rien ne nous sera épargné : décapitations, éventrations, cadavres dévorés par des rats ou plongés dans des bains d’acide et monstre gluant. Au milieu de ces carnages, Paul Naschy impose sa silhouette singulière et joue sur une constante ambivalence entre les atrocités qu’il commet et le caractère romantique et désespéré de son personnage. Qu’un film aussi « gore » ait pu naître sous le régime du caudillo laisse assez pantois même si certaines coupes furent pratiquées en Espagne mais visant d’abord la très timide scène « érotique ». C’est d’autant plus surprenant que certaines tirades sur le sang versé injustement par la faute d’un chef tyrannique pourraient facilement être transposables à la situation politique du pays.

Ce caractère métaphorique, on le retrouve plus explicitement dans La mariée sanglante (1972) de Vicente Aranda, sans doute le film le plus réussi du lot. Aranda est aussi un auteur à part dans cette flopée de cinéastes qui s’engouffrèrent dans la brèche du fantastique (Leon Klimovsky, Jorge Grau, Narciso Ibanez Serrador, Amando de Ossorio…) et on le retrouvera d’ailleurs plus tard dirigeant des polars musclés avec Fanny Cottençon et Bruno Cremer, A coups de crosse, ou Victoria Abril  Amants.  La mariée sanglante est une variation autour de Carmilla de Le Fanu. Ce qui séduit immédiatement dans ce film, c’est qu’il fonctionne comme une allégorie de la condition féminine sous le joug d’un système patriarcal suffoquant. Une des premières séquences montre, lors d’une scène onirique, la jeune mariée se faire violer par son époux. Par la suite, tous les rapports sexuels qu’auront Susan et son mari seront placés sous le signe de la violence et de la domination. Le personnage de Carmilla qui a, autrefois, tué son mari, apparaît comme le symbole d’une rébellion féminine contre l’ordre établi. Malgré son caractère onirique et fantastique, le film rappelle parfois le Cria Cuervos de Saura dans la mesure où il présente un portrait en coupe d’une dictature militaire ayant totalement asservi les femmes. Sous les atours d’un film fantastique classique, il s’agit d’un véritable brûlot contre les piliers du régime franquiste : l’autorité patriarcale, la soumission de l’épouse et de la mère, le mariage, la famille…

Les vampires du Dr Dracula (1968) de Enrique Lopez Eguiluz

Le bossu de la morgue (1972) de Javier Aguirre

La mariée sanglante (1972) de Vicente Aranda

(Collection Ciné de Terror : Artus Films)



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est cinéphile. Il tient le blog Le journal cinéma du docteur Orlof

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