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Financement de l’hôpital public: 3% du PIB et pas assez de lits?

La crise du Covid-19 a été révélatrice


Financement de l’hôpital public: 3% du PIB et pas assez de lits?
Suite à la crise du coronavirus et à l'issue du Ségur de la santé, Olivier Véran, Jean Castex et Nicole Notat signent des accords salariaux à Matignon, le 13 juillet 2020 © HAMILTON-POOL/SIPA Numéro de reportage: 00972437_000026

Le système hospitalier allemand a réagi à la pandémie du coronavirus de manière plus efficace que le système français. Pourquoi ?


La comparaison, non seulement des budgets respectifs, mais aussi des modes opératoires, permet de comprendre cette différence entre l’Allemagne et l’hexagone qui devrait donner à réfléchir à nos pouvoirs publics.

Money, money, money 

Si on consulte les chiffres pour 2018, on découvre que la France qui, comme sa voisine, a consacré 11,3% de son PIB à la santé de sa population, a dépensé moins par habitant que l’Allemagne. Cet écart s’est élevé à 18.3%, malgré le fait que l’Allemagne est plus peuplée que la France (82,74 millions contre 66,89 millions). 

La loi « Hôpital, Patients, Santé et Territoires » (HPST) du 21 juillet 2009 met officiellement le pilotage du système de santé français est entièrement entre les mains de l’administration. Cette loi fait du directeur d’hôpital le seul véritable maître à bord

Les trois quarts de nos dépenses de santé sont affectés à la Consommation de Soins et Biens Médicaux (CSBM), c’est-à-dire aux soins hospitaliers et ambulatoires, transports sanitaires, médicaments, prothèses (dont les lunettes et les aides auditives) et ainsi de suite. En 2018, ce poste représentait 8,1% du PIB. Les autres postes représentent essentiellement les soins de longue durée (soins aux personnes âgées ou handicapées en établissement ou à domicile), les indemnités journalières ou les frais de gestion. Les 1029 établissements hospitaliers appartenant au secteur public représentaient en 2018 quelques 73 milliards d’euros, soit 3% du PIB. 3% du PIB est une somme non négligeable, plus importante que l’ensemble des dépenses militaires (2.3 % du PIB en 2018), ou l’ensemble de la recherche et développement (2 % du PIB). Or, malgré cet effort significatif, la pandémie de Covid-19 a souligné le fait que la capacité d’admission des hôpitaux publics français, qui se sont retrouvés en première ligne dans cette crise, est nettement inférieure à celle des hôpitaux allemands. En 2017, ceux-ci disposaient de 487 182 lits de soins curatifs, soit 602 lits pour 100 000 habitants, c’est-à-dire environ le double de la France, alors que les dépenses courantes de santé mesurées en parité de pouvoir d’achat en Allemagne étaient supérieures de seulement 23% à celles de la France. Quant aux lits de réanimation cruellement indispensables durant les épidémies de virus respiratoires comme la grippe ou le Covid-19, leur densité est de 29 pour 100 000 habitants soit environ trois fois plus de lits de réanimation par habitant en Allemagne qu’en France. Pourquoi donc, avec une dépense courante de santé par habitant en Allemagne supérieure à la France de l’ordre de 23%, les moyens en lits de réanimation sont le triple en Allemagne ? Il est évident que l’explication dépasse la simple question de la différence des moyens financiers.

Quand la bureaucratie n’est pas céleste

Les statistiques des Comptes Nationaux de la Santé montrent que la rentabilité des hôpitaux publics en France s’est fortement dégradée pendant la décennie 2009–2018. En 2017, le déficit des hôpitaux publics s’élevait à 743 millions d’euros. Ce déficit récurrent explique les prises de décisions au cours de cette période portant sur la restructuration et le redimensionnement des moyens dont dispose l’hôpital public, ainsi que sur le mode de calcul de ses recettes. 

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Sur les moyens tout d’abord. L’administration, fidèle au réflexe ancestral du rationnement ayant entre autre conduit à mettre en place un numérus clausus pour l’admission aux études de médecine (dont aucun modèle économétrique n’a pu d’ailleurs mettre en évidence un quelconque impact positif sur les dépenses de santé…), a décidé de réduire le nombre de lits hospitaliers. Entre 2009 et 2017 les hôpitaux publics ont vu disparaitre 18 731 lits de soins curatifs soit 9% de leur offre au début de la période. Notons qu’aux mêmes époques les hôpitaux allemands ont eux aussi réduit leur offre, mais de seulement 1,2%.

Quant aux recettes des hôpitaux, il faut savoir que celles-ci dépendent pour 70% de la Sécurité Sociale. Depuis 2004, pour calculer la facture, c’est la fameuse « T2A », acronyme de « Tarification A l’Activité » : les hôpitaux sont considérés comme « producteurs » de séjours associés à une pathologie et à un tarif. Comment arrive-t-on à construire ces « triplets » (séjour, diagnostic, tarif) ? Tout part du Programme de Médicalisation des Systèmes d’Informations (PMSI) qui, à partir des données recueillies dans chaque hôpital ou clinique selon un même protocole, permet de grouper en classes les patients considérés comme médicalement semblables. Ces classes s’appellent les Groupes Homogènes de Malades (GHM) et, en 2019, il y avait 668 GHM dits « racines », chacun ayant quatre niveaux de sévérité. À titre d’exemple, on peut citer le GHM 04M072 : « Infections et inflammations respiratoires, âge supérieur à 17 ans, niveau de gravité 2 », ou encore le GHM 08C474 : « Prothèses de hanche pour traumatismes récents, niveau de gravité 4 ». Tout nouveau patient doit être affecté à un GHM selon des règles précises. 

À tout GHM est associé un Groupe Homogène de Séjour (GHS) pour lequel est estimée la valeur moyenne des moyens mobilisés pour soigner un patient du GHM. Cette opération est possible grâce à l’Étude Nationale de Coût qui, en 2017, utilise la comptabilité analytique d’un groupe de 128 établissements de santé volontaires pour estimer la valeur moyenne de chaque GHS appelée coût complet du GHS. Par exemple, le coût complet hors structure (i.e. excluant les dépenses financières et immobilières) du séjour associé au GHM 04M072 « Infections et inflammations respiratoires, âge supérieur à 17 ans, niveau de gravité 2 » est de 4 368 €. Ce coût complet issu de la comptabilité analytique des hôpitaux publics comprend cinq grands postes : les dépenses d’ordre clinique et médico-technique ; les dépenses tant en logistique et gestion générales qu’en logistique médicale ; les charges directes, engagées essentiellement pour payer des sous-traitants ; et les dépenses de structures, financières et immobilières. Pour notre GHM 04M072 de pneumologie, les dépenses cliniques moyennes sont estimées à 2 065 € (47,3 % du coût complet hors structure du séjour), les dépenses médico-techniques moyennes à 506 € (12%), les dépenses en logistique et gestion générale moyennes à 1 110 € (25%), les dépenses en logistique médicale à 80 € (2%), et les dépenses pour les charges directes 607 € (14%) – auxquelles s’ajoutent les dépenses de structure égales à 297 €.

Ces coûts moyens permettent à l’administration d’orienter la « production » des hôpitaux en publiant chaque année le tarif auquel la Sécurité Sociale « achètera » chaque séjour. Pour le GHS précédent le tarif est de 2 244,97 €, donc si les coûts de « production » d’un hôpital sont voisins du coût moyen estimé (ce qui est loin d’être certain), il couvre 51,4% du coût complet hors structure (les dépenses de structure ne sont pas financées par les activités des établissements). Pour équilibrer son budget, l’hôpital doit donc trouver le complément, soit dans notre exemple 2 123,03€ (4 368 – 2 244,97) en faisant appel si possible à d’autres sources de financement : reste à charge des patients, dotations forfaitaires comme celles concernant les Missions d’Intérêt Général d’Aide à la Contractualisation (MIGAC), ou encore la facturation à part des médicaments onéreux… Ces subventions sont issues d’une enveloppe dont l’évolution est fixée par l’Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie (ONDAM), votée chaque année par l’Assemblée nationale. Tous les GHS ne sont pas nécessairement source de déséquilibre, mais la plupart ont des tarifs très inférieurs à l’estimation de leur coût complet hors structure. Le cas du GHS 0679, associé au GHM 03C181 « Pose d’implants cochléaires, niveau de gravité 1 », est édifiant : son coût complet moyen hors structure est estimé à 21 707 € alors que cette intervention est « achetée » par la sécurité sociale au tarif de 1 363,02 € !

Les statistiques fournies par l’OCDE indiquent qu’en Allemagne il y a 1 non-soignant pour 3 soignants alors qu’en France, le ratio est 1 à 2

Cette façon de rémunérer les hôpitaux publics en France génère de nombreux effets pervers. Le pouvoir des directeurs d’hôpitaux, qui sont des gestionnaires, a été considérablement accru au détriment de l’influence des soignants. Or, l’objectif principal d’un directeur d’hôpital est d’optimiser son budget. Pour cela plusieurs stratégies sont envisageables. Il peut pratiquer une sélection parmi les malades. Pour le gestionnaire administratif quel est l’intérêt de prendre en charge un patient dont l’état de santé l’affecterait au GHS « Pose d’implants cochléaires, niveau de gravité 1 » dont le tarif comme nous l’avons vu plus haut est de 1 362,02€ alors qu’il coûte 21 707€ ? Il peut également développer l’activité de l’établissement vers les GHS les plus rémunérateurs par rapport à la comptabilité analytique de cet établissement au détriment des autres activités. Il peut aussi réduire drastiquement les coûts de production de l’établissement et enfin – le plus simple (mais pas le plus honnête…) – le directeur peut affecter chaque patient dans le GHS (il existe une certaine marge de manœuvre) qui est le plus rentable pour l’hôpital. Cette tricherie est plus fréquente qu’on pourrait le penser. Un rapport de la Délégation Nationale de la Lutte contre la Fraude estime cette catégorie de fraude (à la T2A public et privé) en 2017 à 58,2 millions d’euros (8% du déficit de l’année). La Fédération Hospitalière de France récuse le terme de fraude, et préfère parler de simples erreurs engendrées par « la complexité, voire l’illisibilité des règles de codage fixées par de nombreux textes, circulaires, classifications, décrets et guides émanant du ministère de la Santé, de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ou d’autres instances », argument qu’il est difficile de nier.

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C’est la loi du 21 juillet 2009, appelée loi « Hôpital, Patients, Santé et Territoires » (HPST), qui met officiellement le pilotage du système de santé français est entièrement entre les mains de l’administration. Cette loi fait du directeur d’hôpital le seul véritable maître à bord, lui assignant comme premier devoir le respect des équilibres financiers. Il a autorité sur l’ensemble des personnels, médicaux et non médicaux, et il est ainsi courant qu’il donne son avis pour la nomination des professeurs de médecine car ceux-ci exerceront aussi à l’hôpital. Il définit et adapte l’organisation de l’établissement en pôles d’activité et structures internes, conformément au projet médical d’établissement. Et, ce que peu de Français savent, ce n’est pas le médecin qui prononce les admissions des personnes hospitalisées mais le directeur de l’hôpital. Quant aux soignants, les médecins et les sages-femmes sont représentés par la Commission Médicale d’Etablissement (CME) qui n’a aucun pouvoir décisionnel, cette instance ne jouant qu’un rôle consultatif depuis la loi HPST. 

Bureaucratie française

En Allemagne, le directeur d’hôpital a en général une formation correspondant à un master de finance ou de gestion. Dans le secteur public, c’est un manager et non un administratif et il est entouré d’une équipe de direction de petite taille où siège un médecin ayant le titre de directeur médical. Les statistiques fournies par l’OCDE indiquent qu’en Allemagne il y a 1 non-soignant pour 3 soignants alors qu’en France, le ratio est 1 à 2. Ces comparaisons sont sensibles à l’effet des nomenclatures (définition des postes et des activités) utilisées, les non-soignants englobant certes les administratifs mais également les personnels éducatifs et sociaux et les personnels médico-techniques et techniques. En somme, tout a été mis en place en France pour faire de l’hôpital public une véritable bureaucratie dont les effets pervers sont connus. Seule l’administration détient la totalité de l’information, et a le temps de l’exploiter. Cette information a un coût de production, et bien souvent ce coût en termes de temps est déplacé à la charge des médecins soumis à un reporting sans fin, sans pour autant alléger leur missions de soins, et en ne leur donnant qu’une vision partielle de leur propre activité.

Cette logique administrative explique pourquoi les lits de réanimation des cliniques privées de l’Est de la France sont restés désespérément vides en pleine pandémie alors qu’on installait au même moment à grands renforts de communication des tentes militaires médicalisées sur le parking de l’hôpital public de Mulhouse afin de soulager les services publics de réanimation saturés du Haut-Rhin. L’administration ne s’était simplement pas entendu sur les tarifs, tandis que les coûts d’installation de l’hôpital militaire de campagne, des transferts en TGV médicalisé ou hélicoptère des patients souffrant de Covid-19 sévère en soins intensifs ne relevaient pas des mêmes budgets… Les nombreuses réformes, ajouts et exceptions du mode de financement des hôpitaux publics en France créent une complexité telle que les incohérences sont nombreuses. Même l’Agence Technique de l’Information sur l’Hospitalisation (ATIH) a du mal à s’y retrouver notamment en ce qui concerne le lien entre coût complet et tarif. Une seule conclusion s’impose : pour sauver notre système de santé, il faut remettre l’administratif au service du médical. 



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