Le soir du premier tour des élections régionales, le 14 mars, Marine Le Pen déclarait que les Français avaient « remis le Front national dans le jeu ». J’ai été ravi de l’entendre parce que c’est exactement ce que j’avais voulu faire en votant FN. Ni plus, ni moins.
Après une jeunesse passée à gueuler « F comme fasciste ! N comme nazi ! », j’ai gardé quelques jours le vague sentiment d’avoir fait une connerie, un peu comme quand je me suis marié mais, aujourd’hui, je n’ai plus l’excuse de la jeunesse. Difficile d’oublier, même le temps d’une élection, les gens qui ont fait ce parti, des cathos intégristes aux « païens » − pour rester poli. Impossible de jeter un voile sur la carrière de Jean-Marie Le Pen, ses clins d’œil répétés à la frange fasciste de son électorat, son admiration pour Léon Degrelle, le nazi belge, sa lecture de la seconde guerre mondiale, sa tendresse pour Dieudonné… Je repense à ses correspondants étrangers, comme l’ancien Waffen-SS Schönhuber, son nationalisme, souverainisme gonflé à bloc qui l’aura jeté dans les bras des tyrans les plus dingues, Saddam Hussein en tête, et conduit à épouser les causes les plus limites. Je n’oublie pas les complaisances du FN pour le révisionnisme. Je n’ai rien de commun avec cette extrême droite qui planque Touvier, soutient Faurisson, ricane de nos mémoires et marche sur Polanski en brandissant l’épouvantail de la pédophilie. Et que dire du racisme et de l’antisémitisme qui suintent de tout ça ? Comment ne pas soupçonner les frontistes d’être attachés à une conception étroite et ethnique de l’identité nationale ? Tout cela, je ne veux pas le cautionner.
[access capability= »lire_inedits »]Avec Marine le Pen, le discours a changé, les clins d’œil fascistes et les provocations douteuses semblent avoir cessé, Soral et Dieudonné ont pris leurs distances, le Front national est plus présentable que jamais. Si je veux être honnête, pendant cette campagne, je n’ai pas été en désaccord avec les idées défendues par les candidats FN et je me suis souvent réjoui qu’ils soient présents dans le paysage politique pour les défendre. Dans ces conditions et dans cette élection dépourvue d’enjeu, ma stratégie a eu raison de mes scrupules, et peut-être le nouveau Front a-t-il eu raison de l’ancien.
Que cela me plaise ou non, le FN est le seul à afficher des positions nettes et fermes sur les questions qui m’importent : une laïcité intransigeante quand notre République multiplie les accommodements déraisonnables, une clairvoyance et une fermeté proclamées par rapport aux problèmes de l’immigration et du multiculturalisme quand tant d’autres partis progressent « les yeux grands fermés », comme le montre Michelle Tribalat dans son dernier livre, et enfin, des appels répétés à une politique judiciaire et policière plus répressive. En Ile-de-France, quand les Verts proposent des médiateurs pour sécuriser les collèges, sans doute dans l’espoir de prendre les bandes armées par les bons sentiments, le FN réclame des vigiles rectoraux et une présence policière.
Le débat sur l’identité nationale a été enterré au prétexte qu’il dérapait, la violence se répand, la loi sur la burqa patine. On ne sait pas si les efforts combinés de l’exécutif et du législatif parviendront à nous épargner le spectacle de ces femmes sous cloche ou s’ils accoucheront d’une déclaration ferme et juste qui fera rire et ne changera rien. Réussiront-ils, pour ne fâcher personne, à mécontenter tout le monde ? Dans le boucan médiatique, les élus n’entendent pas toujours les Français : il s’agit de parler fort et clair, et le vote sert à ça.
Les responsables politiques cherchent d’où vient le vent. Les élections sont un moyen de faire tourner les girouettes et le bulletin FN une façon de leur souffler dans les bronches électoralement. Plus qu’un vote protestataire, un vote-aiguillon destiné à rappeler à la majorité et à Sarkozy là où ils sont attendus. Une partie du programme du FN sans le FN, moi ça m’irait bien. C’est ce que j’ai dit dans l’isoloir, ni plus, ni moins.
Au deuxième tour, j’ai voté Valérie Pécresse contre Jean-Paul Huchon, sortant et rentrant en Ile-de-France. J’ai voté à droite pour des tas de raisons engrangées depuis des années de gouvernement de droite et d’opposition de gauche et vice versa qui sont inaccessibles à ma mémoire disponible sauf une : les panneaux d’affichage du Conseil général d’Ile-de-France, donc de Jean-Paul Huchon, ont accueilli tout l’été une campagne signée RESF (Réseau éducation sans frontières) de sensibilisation au sort des clandestins, ce qui est très généreux avec l’argent public.
J’ai donc préféré Mme Pécresse : pourtant, j’avais lu son programme. D’abord, elle promet plus de trains ; moi, je préférerais qu’il y ait moins de monde. Ensuite, et entre autres mesures-phares, les lycées et collèges pourraient être mis à la disposition des associations le week-end et les toits des administrations se couvrir de panneaux solaires. C’est Byzance. Ce faisant, j’ai un peu voté pour David Douillet, présent sur la liste en Yvelines et sur la photo de campagne de l’UMP. Au premier tour, j’avais un peu voté pour Farid Smahi, tête de liste du Front national en Essonne. Ça m’avait beaucoup moins gêné.
Voilà. Je résume, et j’assume sur Causeur. Dans la vraie vie, c’est moins facile. Quand je me rapproche de mes proches, comme ce copain cégétiste depuis vingt ans ou ces vieux juifs à qui il faudrait expliquer longtemps, ou encore ces clientes et presqu’amies lesbiennes (et mère(s) d’une petite fille), je m’arrange pour qu’on ne parle pas trop des élections.[/access]
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