Prenez un gouvernement en perte de vitesse, ajoutez une opposition (démocratique) désunie, secouez le tout: il en sortira un parti d’extrême droite renforcé. Où se déroule la scène? En France, bien sûr ! Mais encore? En Hongrie.
Certes, la comparaison saute aux yeux, mais le parallèle ne va guère plus loin. Non seulement parce que lesdits gouvernements émanent l’un de la droite, l’autre de la gauche. Mais aussi et surtout parce que leurs extrêmes droites n’ont plus tellement de points communs entre elles. Face à un Front national relooké, le Jobbik hongrois fait bien davantage frémir : ses milices paramilitaires arborent des insignes qui rappellent l’imagerie des sinistres Croix fléchées nazi, et vont régulièrement semer la terreur auprès des Roms, non sans pimenter leur propagande de violents slogans antisémites.
Autre différence de taille entre Paris et Budapest : la personnalité des deux dirigeants, à ma gauche un François Hollande taxé de mollesse, inodore et sans saveur. à ma droite un Viktor Orbán habile stratège et maître en matière de communication. Mais bien peu scrupuleux.
Il faut dire que les affaires ne sont plus si brillantes que par le passé pour le Premier ministre hongrois. Si les données macroéconomiques semblent plutôt favorables, la grande majorité des ménages a de plus en plus de mal à joindre les deux bouts face à une minorité outrageusement privilégiée. Cela fait d’autant plus mauvais genre que plusieurs proches de Viktor Orban se trouvent impliqués dans des affaires de corruption. La dernière en date est liée à la faillite d’une société de courtage (Quaestor) qui a émis pour près de 150 milliards de forints (500 millions d’euros) d’obligations fictives, faisant des dizaines de milliers de victimes parmi les petits épargnants. Ce climat de gabegie a fait perdre un siège au Fidesz d’Orban lors d’une élection partielle au profit du Jobbik, faisant perdre au chef du gouvernement sa majorité parlementaire des deux tiers.
La réaction du Premier ministre ne s’est pas fait attendre. Afin de faire oublier les affaires, et de récupérer la frange de son électorat passé à l’extrême droite, Orban a lancé une campagne sur deux thèmes populaires : l’immigration et la peine de mort.
Sur le premier point, le gouvernement vient de mettre au point un questionnaire bientôt envoyé à 8 millions de citoyens. Derrière les douze questions posées, sont entre autres suggérées la mise en détention et l’expulsion des immigrants illégaux, ou encore l’obligation faite aux migrants de participer aux frais de leur détention par un travail forcé. Des questions qui vont sans doute plaire à beaucoup, d’autant que leur formulation lie clairement terrorisme et immigration, laissant entendre que les coûts de cette dernière seraient mieux utilisés pour financer une politique nataliste auprès des jeunes ménages hongrois. Le tout agrémenté de critiques non voilées vis-à-vis de l’Europe. Bref, une initiative qui va mettre encore davantage d’huile sur le feu dans un pays déjà isolé et refermé sur lui-même.
L’accent mis sur l’immigration paraît incongru dans une Hongrie qui souffre au contraire d’une forte émigration avec près d’un demi million de jeunes partis pour l’étranger depuis l’arrivée de Viktor Orban au pouvoir. Un pays confronté, certes, à l’arrivée de réfugiés, notamment en provenance du Kosovo, mais sans aucun rapport avec ce que connaissent ses voisins de l’Ouest. Sans oublier que tout au long de l’Histoire, de nombreux réfugiés hongrois ont trouvé eux-mêmes refuge à l’étranger, notamment en 1956.
Qu’à cela ne tienne, Orban remet un autre sujet à l’ordre du jour : « La question de la peine de mort doit rester d’actualité, la dissuasion est nécessaire », a-t-il déclaré. Tout en sachant que l’Union européenne et le Conseil de l’Europe interdisent à leurs membres le recours à la peine capitale, Viktor Orbán sait fort bien que la mesure ne pourrait être prise, à moins de s’exclure d’office de l’Europe institutionnelle. Tout porte à penser que ce n’est que pur verbiage destiné à plaire à une opinion aux deux tiers favorables à la peine capitale. De quoi donner un os à ronger à l’extrême droite et à tous les déçus du régime…
Il est certain que ce pas supplémentaire d’Orban vers la droite le rapproche de notre Front national et l’éloigne des formations conservatrices traditionnelles. Tandis qu’en France, on parlerait de dérive populiste, en Hongrie, cette stratégie risque fort de s’avérer payante.
*Photo : Tibor Illyes/AP/SIPA. AP21707403_000004.
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