La France reconnaît désormais aux homosexuels le droit de se marier et d’avoir beaucoup d’enfants. Certains se désolent, d’autres se réjouissent. Nous avons tous perdu une bataille. Pas celle du mariage : celle de la confrontation civilisée – je n’ose parler de l’esprit des Lumières, il paraît que c’est une ruse de la domination coloniale. Le mariage, gay ou non, m’indiffère, je n’ai aucun point de vue sur l’élevage des enfants ; cela me contrarie qu’on introduise une rupture symbolique dans leur fabrication – en instaurant, via l’adoption plénière, une filiation homosexuelle (qui revient à faire « comme si » des homosexuels avaient procréé entre eux). Tôt ou tard, les institutions suivront la science. Certes, on utilisera toujours la recette de grand-mère : une cellule mâle, une cellule femelle. Déjà, cela n’exige plus (ou pour un temps limité) la rencontre entre un homme et une femme. Je ne trouve pas que tout cela soit un progrès, mais je m’y ferai. Je le dis à mon amie Virginie (Frigide Barjot à la ville) : une loi votée par le Parlement qu’ont élu une majorité de Français est celle de la République. Donc la tienne. Mazel tov à tous les homo-amoureux qui vont enfin découvrir les joies d’Ikéa. Moi, je choisis les chapeaux que je porterai pour les noces – à défaut de trouver un mari, je m’y ferai des tas d’amis.
Affaire classée. Pas trop tôt. Entre le malin qui, à l’Assemblée, a parlé d’« assassins d’enfants », Harlem Désir qui évoque des « milices fascistes », la droite qui somme le Président de céder à la rue et les manifestants qui se baladent avec des pancartes « KiIl Frigide Barjot », le caniveau monte comme disait l’ami Luc Rosenzweig. Barjot a eu l’honnêteté de reconnaître qu’elle avait dit une ânerie (« Il y aura du sang. »). Dans ce paysage, l’honnêteté se fait rare.
Le plus effrayant est ailleurs : les mots n’ont plus de poids. Trois mois à expliquer, argumenter, nuancer. Pour se heurter aux mêmes ritournelles. D’abord, on s’aime, on a le droit. Depuis quand s’aimer donne-t-il des droits ? À ce compte-là, interdisons le mariage et la filiation à ceux qui ne s’aiment pas. Deuxième salve: si vous êtes contre l’égalité des droits, vous pensez que les homos et les hétéros ne sont pas égaux. Verdict : homophobe ! Est-il permis de penser que l’égalité ne consiste pas à donner les mêmes droits à tous, et que l’Etat n’a pas le devoir de « réparer » toutes les différences de situation ? Si deux homosexuels ne peuvent pas avoir d’enfants ensemble, ce n’est pas, me semble-t-il, une inégalité, c’est une différence. On pourrait au moins en discuter. Désolée, si on me traite d’homophobe, je ne discute plus. Basta !
On a donc assisté à ce renversement inouï : la France vient d’adopter le mariage gay et la pointe avancée de la « communauté » et de ses perroquets médiatiques dénonce à cor et à cri l’homophobie ordinaire qui, à en croire le sociologue Eric Fassin « sort du placard républicain ». Le comique de Libération, Sylvain Bourmeau, écrit pour sa part : « L’espace public se trouve saturé de haine à force de dérapages plus ou moins calculés. En la matière, la responsabilité de la vaste majorité de la droite est avérée. » Quand Pierre Bergé a rediffusé un tweet disant que si une bombe explosait sur le parcours d’une « manif pour tous » il ne pleurerait pas, l’âme sensible de Bourmeau n’a pas bronché. Ni quand des manifestants anti-mariage ont été roués de coups. Ne s’agissait-il pas de légitime défense, face à des violences bien plus graves ? C’est bien connu, le méchant réac cogne plus dur que le gentil progressiste.
Fassin, Bourmeau et tous les autres ont une lourde responsabilité : en traitant d’homophobe quiconque ne pense pas comme eux, ils banalisent l’homophobie, la vraie, la haine du « pédé ». Celle qui saccage des bars, tabasse des homosexuels, dit qu’ils sont inférieurs. À la fin du mouvement de protestation, elle a indéniablement relevé la tête. C’est atroce, mais presque mécanique : ceux qui le reste du temps, gardent par devers eux leurs détestables sentiments ont dû trouver insupportable que les gays occupent ainsi le devant de la scène. Ils doivent être jugés et punis. Comme les agresseurs de manifestants anti-mariage.
Seulement, pour nos flics des coeurs et des reins, l’ennemi ce n’est pas le skinhead, mais ce ramassis de beaufs dont certains, il est vrai, pensent vaguement que deux hommes ensemble, quand même. Peut-être trouvent-ils que tout va trop vite, est-ce méprisable ? Les militants gays pourraient avoir la joie généreuse. Mais non, pour qu’ils puissent rester collectivement victimes, il faut que leurs adversaires soient des monstres.
Cette extension du domaine de l’homophobie n’est pas un dérapage : elle était au programme. Le gouvernement a explicitement placé son texte sous l’étendard de la lutte contre les discriminations. La bataille du « mariage pour tous » devait opposer deux camps : les homosexuels et les partisans de l’égalité d’un côté, les homophobes et les réactionnaires de l’autre. On se souvient de Najat Vallaud-Belkacem concédant, sur le plateau du « Grand Journal », que « tous les manifestants n’étaient pas foncièrement homophobes ». Elle s’est bravement employée, en fin de parcours, à dénoncer les « amalgames ». Un peu tard. Tous homophobes, vous dit-on.
La moitié de la population devrait donc être placée sous surveillance idéologique. Sans oublier les adolescents travaillés par la puberté qui ricanent bêtement quand ils voient deux femmes s’embrasser. Les défenseurs de tous les droits, décidément, n’aiment guère celui de penser. Pour eux, ce n’est pas la haine qui est coupable, c’est la divergence. La modernité en avait fini avec le délit d’opinion, la post-modernité est en train de le réinventer.
Cet article en accès libre est issu de Causeur magazine n°2 (nouvelle série) de mai 2013. Pour lire tous les articles de ce numéro, rendez-vous chez votre marchand de journaux le plus proche ou sur notre boutique en ligne pour l’acheter ou vous abonner : 4,90 € le numéro / abonnement à partir de 12,90 €.
*Photo: Mur des homophobes, Act-up
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