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Être un homme, mesdames, c’est pas si facile


Être un homme, mesdames, c’est pas si facile
Sculpture à Aix-la-Chapelle (Allemagne). Photo: domaine public

«Pauvres diables, vulnérables, misérables que nous sommes nous les hommes », chantait notre crooner international Julio Iglésias dans les années 1970. Y aurait-il une misère de la condition masculine ? Certaines féministes l’ont compris, considérant que l’homme est un frère autant qu’un partenaire amoureux ou un adversaire. En 1988, nous étions quelques femmes et hommes, à créer une association sur les violences masculines (« S.O.S hommes et violences en privé »). Nous allions ouvrir le premier centre d’accueil et d’écoute des hommes qui battent leurs femmes. C’était 10 ans après l’ouverture, à Clichy, du premier centre d’hébergement pour les femmes battues.

Je souffre, tu souffres,… elle souffre

Il s’agissait d’éviter la récidive des violences en apportant écoute et soutien psy à ces hommes considérés comme « bourreaux » ou « monstres ». Le propos était, outre ce soutien effectif, de sortir ces hommes d’une image réductrice et de montrer qu’eux aussi étaient des victimes. Des victimes d’une condition masculine prise au pied de la lettre qui les enfermait dans le cycle noir de la violence.  Le centre allait fermer ses portes en 1995, fautes de bénévoles et de soutien financier des pouvoirs publics.

Ceux-ci subventionnent généralement les victimes. Impossible de faire passer nos hommes pour des victimes. Ironiquement, on nous a suggéré de recourir au mécénat de fournisseurs de gants de boxe ! On touche là du doigt la difficulté à sortir les individus de la catégorie où on les a enfermés. Les hommes, plus encore que les femmes, en sont prisonniers. D’autant plus qu’aucune expression ne qualifie le commun des mâles humains. Peut-être parce qu’ils sont le propre de l’humanité. Constat incroyable. Notre langue n’offre en effet aucun équivalent masculin aux expressions : la condition féminine ou la condition humaine. Tout le monde a droit à sa condition ; le travailleur immigré, le handicapé, le chômeur, même l’animal ; mais pas le mâle humain. Alors pourquoi ce blanc dans la langue ?

Est-ce parce que le masculin l’emporte sur le féminin qu’il n’a pas droit de cité à part égale avec les femmes et les autres ? Peut être faut-il chercher du côté du genre et de sa fameuse « théorie ». Là encore le féminin prévaut. Quand on évoque le genre, c’est le plus souvent pour parler des femmes. Il faut dire que nos chercheuses ne se penchent guère sur le genre masculin, comme s’il ne méritait pas leur attention. Pas touche à l’homme ! On sait que l’Homme, celui de la Déclaration, fait double emploi avec le petit homme. Les Baruya, étudiés par Maurice Godelier ; n’y allaient pas par quatre chemins, ils se dénommaient sans détour les « Grands Hommes ».

La souffrance n’est pas loin

Le moment est peut-être venu de prendre pour objet d’observation le grand sujet, d’aller voir ce qui se trame derrière le petit homme qui se tapit sous l’Homme. Deux évènements actuels y poussent : le raz de marée du harcèlement sexuel et la disparition de Françoise Héritier, qui était allée sonder nos origines sur le terrain et a beaucoup fait avancer la question du masculin et du féminin.

Le terme condition accolé à masculin relève d’une certaine transgression. Ramener les mâles à leur condition c’est baisser le regard vers les pieds d’argile du colosse. Évoquer une condition, renvoie à l’idée de chaînes, de lourdeur. La souffrance n’est pas loin. Or le mâle échapperait à cette souffrance. Il serait du côté de la force, de la domination. Et la domination préserverait de la souffrance. Celle-ci serait du côté de la victime, pas du côté de celui qui fabrique des victimes. Rien de plus faux. Il y a un retour de l’humiliation qu’on inflige. Il y a un inconfort de la domination qu’il convient de mettre à jour pour réintégrer le dominant dans sa condition humaine et cesser de mythifier sa souveraine indifférence. Pour mieux le rapprocher de sa compagne, au-delà de polarisation millénaire autour de la différence sexuée.

Trois écueils majeurs

La condition masculine me semble comporter au moins trois écueils majeurs, facteurs de désarroi. Dilemme, frustration et contraintes de la virilité, me semblent marquer le destin masculin.

– Le dilemme originel :  la mère de l’homme sera sa femme. Deux en un. La personne qui l’a mis au monde et avec laquelle il était interdit de coucher sera celle avec qui il couchera et fera des enfants. Beau sujet de confusion. Il va falloir, par une gymnastique problématique, concilier ces deux termes apparemment contradictoires. De là vient peut-être la fameuse dichotomie mère/putain. Comment concilier les deux femmes, celle que l’on respecte et celle qu’on baise. La fascination qu’exerce le fameux tableau de Courbet, L’origine du monde, n’est peut-être pas sans rapport avec le dilemme évoqué. Longtemps, ce tableau a été soustrait à la vue du grand public, et jalousement caché par ceux qui l’ont détenu. C’est seulement depuis  1995 qu’il est visible au Musée d’Orsay.

– La frustration : elle est double. L’homme ne peut pas être mère, et en plus il est évincé  lorsque l’enfant parait. Il  ne sera plus le petit garçon de sa femme. Détrôné, le roi du monde ! L’appropriation millénaire du ventre des femmes par les hommes, lui revient en boomerang. Rappelons que bon nombre d’hommes violents commencent à battre leur femme quand elle est enceinte. Ils tapent sur leur futur rival.  Ils savent bien qu’ils ne feront jamais le poids avec l’enfant, fut- il le leur. Là gît certainement, occultée, honteuse, une des souffrances du mâle. Voilà pourquoi aussi leur mère demeurera la femme de leur vie. Ils se savent uniques et irremplaçables pour elle.

– La contrainte de la virilité :  pas facile d’être un homme, tu sais… On met rarement le projecteur sur les affres de la condition masculine. Le mythe est là plus qu’ailleurs à l’œuvre. Freud nous a inventé l’hypothétique « envie de pénis » pour mieux nous dérouter de la véritable envie, qui serait plutôt du côté du féminin. Ne parlons même pas de l’envie de grossesse. Pourquoi, parmi les transsexuels, une grande majorité est constituée d’hommes qui veulent devenir des femmes ? Pourquoi les travestis s’acharnent à mimer une féminité de pacotille ? Que cache cette fascination pour la féminité ? Nous les femmes, avons la chance d’échapper à l’impératif fondateur de la virilité : mon fils, tu te forgeras dans la compétition et la bagarre, tu feras fi des larmes. Si j’avais été un homme, j’aurais fait partie de ces millions de jeunes gars qu’on a expédiés au fil de l’Histoire vers les champs de bataille, arrachés à leur fiancée, leurs parents, leur paisible village, pour affronter  une mort souvent atroce, mutilés, gueules cassées… De pauvres petits dormeurs du Val  dont la seule faute était d’être mâles nés. Ca se paye cher aussi d’en avoir. Et quel bonheur de se blottir dans ce creux naturel que la nature vous donne quand vous êtes fille et qui vous met à l’abri des boucheries rituelles et récurrentes qui saignent à blanc les hommes. Aujourd’hui, en Occident, la guerre s’est déplacée. Dans d’autres espaces : l’économique, le cyber espace, le sidéral… Il s’agit toujours de se battre, de conquérir, pour planter son drapeau quelque part, de marquer son territoire comme le chien qui pisse. Mais le chien est plus modeste, il se contente de son petit bout de terre et ne prétend pas polluer à grande échelle. Pourquoi le mâle humain s’est-il cru autorisé à sortir de son coin à pipi ?

Réconcilier l’homme et la femme

On aura compris qu’être un homme n’est pas toujours une sinécure. Il est lui aussi victime du système de domination qui s’est mis en place à l’aube des temps. Montrer que le roi est nu permet de l’habiller autrement. Le moment est venu de mettre en évidence les inconvénients d’être un homme pour mieux montrer tout ce qui le rapproche de la femme. Ne sommes-nous pas semblables avant d’être différents ? Ce qui nous attire chez l’autre, ce sont les points communs que nous avons avec lui. La différence surévaluée des sexes, maintient dans le divorce les deux composantes d’une difficile condition humaine. L’avenir de l’humanité appartient à leur réconciliation.



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est une actrice importante du mouvement féministe dans les années 1970. Proche de Simone de Beauvoir, elle est l'une des femmes à l'origine e du Manifeste des 343. Elle crée en 1966 le FMA (Féminin Masculin Avenir), groupe mixte, qui fut à l'origine du MLF. Elle présidente de la Ligue du droit des femmes, cofondée en 1974 avec Simone de Beauvoir.

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