Le discours du président Macron, le 7 février dernier à Paris, lors de l’hommage aux Français victimes des attaques islamistes en Israël, était très attendu. Analyse.
Mercredi 7 février, dans la cour d’honneur de l’hôtel national des Invalides, en plein cœur de Paris : quarante-deux portraits et trois chaises vides ; quatre mois après le 7 octobre, le Kaddish de Maurice Ravel monte au ciel ; sobriété et recueillement dans un lieu majestueux. En présence des représentants de leurs familles meurtries, la France rend hommage à ses compatriotes victimes du pogrom perpétré en Israël par le Hamas. Le chef de l’État prononce alors un discours, nécessaire, attendu. Cette allocution, eu égard aux circonstances, aurait gagné à être plus mesurée ; moins déclamé. On aurait aussi apprécié qu’elle nous épargnât l’incantatoire célébration d’une unité française qui n’est plus. Le deuil, comme la douleur, aime l’ombre et le repli ; quant à la tragédie, elle exige la vérité.
Certes, rien n’est plus difficile à écrire qu’un discours d’hommage. Il ne doit pas trop sentir la sueur et rester fluide pour paraître sincère. Aussi, celui qui le rédige doit en proscrire la pompe et le tragique superflus, la frisure et l’hyperbole, l’ostentation et la parure qui ne font qu’attirer l’attention sur « les dessous de l’affaire ». La charpente du discours doit rester invisible sous la chair des mots, ses ficelles, écrous ou stratagèmes dissimulés. Si tel n’est pas le cas, et on le vérifie dans l’hommage proféré par Emmanuel Macron, l’auditeur agacé ne voit plus que les limites de l’allocution et en cherche les failles. Quant à l’orateur, qu’il s’interdise de déclamer afin de ne pas donner à son auditoire le fâcheux sentiment qu’il s’écoute parler.
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Passé la litanie numérale initiale, le début du discours a sonné juste. Sans trop de fioritures, il faut en convenir, dans la peinture de vies semblables aux nôtres, fauchées par la barbarie. On aurait donc été tenté d’y croire et même de se montrer indulgent envers la puérilité déconcertante qui affleurait déjà subrepticement dans l’expression : « Dieu, la vie, le monde (…) », « des sourires en forme de promesse », « des rêves plein la tête », si elle n’avait pas été malheureusement accompagnée de l’hyperbole douteuse : « des idéaux dans la houle du monde », « Des histoires de famille où s’entrebâillait parfois un gouffre indicible (…) » qu’on a vu culminer dans la peinture du pogrom. Las ! De la cour d’honneur des Invalides à celle du Palais des papes, en Avignon, il n’y a qu’un pas. Emmanuel Macron déclame et voici que l’emphase emporte tout sur son passage : « Les jeunes qui dansaient-là ne savaient pas qu’ils étaient dans la mâchoire de la mort (…) des motos hérissées d’armes allaient fondre sur eux. » ; « Le ciel livide se zèbre de missiles ». Les mots s’emballent ; ils pétaradent dans le silence du recueillement tandis que l’éloquent, servi par un discours boursouflé, s’exhibe. On note au passage que, dans cette sortie de lit du verbe, l’épithète « islamiste » qu’on attendait accolée à « terrorisme » a disparu.
Et puis, pourquoi vouloir célébrer à toute force l’unité des Français dont on sait bien qu’elle a vécu ? Ce discours rebattu qui se veut performatif, lasse. Stérile, il n’est qu’invocatoire et vise à conjurer la terrible réalité ; celle de deux peuples désormais face à face. Qui peut actuellement encore croire qu’il existerait une France « (…) refusant les séparations comme les divisions, refusant l’idée de mort, de chaos et de clivages qui nourrissent les terroristes. » ; une France « unie pour elle-même et pour les autres. » ; « unie pour se tenir au-delà des destins et des différences (…) », « unie dans ces moments de souffrance (…) » alors que l’antisémitisme prospère dans nos banlieues, encouragé par une partie de la classe politique ? L’anaphore ne fait rien à l’affaire ; nous n’étions pas, loin s’en faut et nous le déplorons, 68 millions à pleurer nos frères, en ce 7 février. Que penser enfin de l’éternelle injonction au pacifisme et au pardon exigés au nom de Lumières qui éclairent notre pays désormais aussi bien que des chandelles mal mouchées ? « Ceux qui tuent par haine trouveront toujours face à eux ceux qui sont prêts à mourir par amour. » « Jamais en nous, nous ne laisserons prospérer l’esprit de revanche » : après la joue droite, tendez la joue gauche, braves gens. Décidément, nous attendions mieux de ce discours, pour la mémoire de nos frères suppliciés, pour leurs familles dévastées et pour notre pays malmené.
« Il y a de certaines choses dont la médiocrité est insupportable ; la poésie, la musique, la peinture, le discours public. Quel supplice que celui d’entendre déclamer pompeusement un froid discours, ou prononcer de médiocres vers avec toute l’emphase d’un mauvais poète ! »
(La Bruyère, Les Caractères, Des ouvrages de l’esprit)
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