Dans un ouvrage récent, le politologue Charles Onana[1], l’un des meilleurs spécialistes de l’Afrique des Grands Lacs, tire la sonnette d’alarme concernant l’extermination toujours en cours des populations de la République démocratique du Congo, sur fond d’exploitation à marche forcée des ressources minières de ce pays pour alimenter l’industrie mondiale de l’armement, de la téléphonie mobile et de la transition énergétique. Une histoire cruelle qui se répète inlassablement.
L’actuelle République démocratique du Congo est l’ancien Congo belge, également connu sous le nom de Zaïre (1991-1997), puis de Congo-Kinshasa, (pour le distinguer du Congo-Brazzaville, l’ancienne colonie française devenue République du Congo). Il s’agit du deuxième plus grand pays d’Afrique par sa superficie (2,3 millions de km²) et du troisième par sa population de plus de 111 millions d’habitants. Ses réserves exceptionnelles en or, diamants, cuivre, cobalt, pétrole, gaz, caoutchouc et le bois de son immense forêt équatoriale, ont attisé des conflits féroces au fil des époques. La République démocratique du Congo détient notamment 70% des réserves mondiales de cobalt, indispensable pour la fabrication des smartphones et des batteries au lithium des voitures électriques. Paradoxe ahurissant : selon les Nations unies, plus de la moitié de la population de la République démocratique du Congo vit avec moins de 1,90 dollar par personne par jour[2], alors que le seuil de l’extrême pauvreté a été fixé en 2022 par la Banque mondiale à 2,15 dollars par jour.
La continuation d’une histoire sanglante
La Conférence de Berlin (1885) a permis aux puissances européennes de se partager l’intérieur du continent africain, dont les ressources présumées excitaient les appétits des industriels européens. Les règles de la colonisation y ont été édictées. Le roi des Belges de l’époque, Léopold II (dont les statues ont été récemment déboulonnées partout en Belgique[3]), y a acquis le Congo comme possession personnelle et privée gérée sous forme commerciale par des compagnies concessionnaires telles que ABIR et Anversoise. S’en sont suivies des années d’épouvante, où les populations ont été réduites en esclavage, torturées et mutilées par des exécutants des basses œuvres de ces entreprises privées déterminées à saigner le pays, à tel point que la population du pays a diminué de moitié dans les deux dernières décennies du 19ème siècle. Cette période a d’ailleurs été qualifiée d’« holocauste oublié » par l’écrivain belge Daniel Vangroenweghe, auteur Du sang sur les lianes. En 1908, Léopold II accepte de transférer le Congo à la Belgique. La proclamation de l’indépendance du pays en 1960 aurait pu ouvrir une nouvelle ère de liberté, de paix et de prospérité pour les Congolais. Il n’en a rien été et les années soixante ont été notamment marquées par la persécution des Blancs, par les sécessions du Katanga et du Sud Kasaï, par l’assassinat du Premier ministre Patrice Lumumba et par l’accession au pouvoir de Mobutu, dont le règne débuta par un processus d’africanisation forcée, puis fut ponctué par de nombreux massacres et par une corruption rampante.
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Une descente aux Enfers insoutenable
Au Rwanda, en 1994, le génocide des Tutsis par les Hutus, déclenché par l’assassinat du président rwandais Habyarimana, a eu lieu dans le prolongement de la guerre civile rwandaise (1990-1993). Il s’agit du génocide le plus rapide de l’histoire avec quelque 800 000 morts en 100 jours, entre avril et juillet 1994. Dans ce contexte, Mobutu accorda à la France le droit d’utiliser la région du Kivu comme base arrière de l’opération militaire Turquoise. Cela entraîna la fuite au Zaïre de milices et d’un million de réfugiés du Rwanda, dont une majorité de Hutus pourchassés par les Tutsis arrivés au pouvoir. En 1996, comme le rappelle l’ancien ministre de la Défense, Charles Millon, dans la préface de l’ouvrage de Charles Onana, « la guerre du Kivu a éclaté à la suite du soulèvement des Tutsis congolais appelés Banyamulenge, instrumentalisés par le Rwanda du tout-puissant Paul Kagame soutenu par les États-Unis et les Britanniques ». À première vue, cette guerre est apparue comme la conséquence directe et imprévisible du génocide rwandais. Pour Charles Onana, il s’agit bien au contraire d’un plan d’invasion du Congo-Zaïre « dans le but de prendre le contrôle total des énormes ressources minières de l’est du pays en y exterminant le maximum de populations ». En rétrospective, ce conflit sanglant s’inscrit dans une rivalité entre les Etats-Unis et la France, les Américains caressant le projet d’un empire tutsi, un Tutsiland, comme l’a découvert l’auteur dans ses recherches qui l’ont mené jusqu’aux archives de la CIA, de la Maison-Blanche, du Pentagone et l’ont conduit à lire une masse de rapports des Nations unies et de l’Union européenne. Selon lui, la France, à l’époque sous la présidence de Jacques Chirac, était prête à agir pour éviter l’invasion de la République démocratique du Congo, mais elle en fut empêchée par les Etats-Unis.
L’effroyable constat
Près de trois décennies plus tard, le constat – malheureusement ignoré par les médias et dans le silence des institutions africaines et européennes – est effroyable : plus de dix millions de morts, au moins 500 000 femmes violées et des milliers d’enfants martyrisés ou tués. La première guerre du Congo (1996-1997) s’est terminée par l’effondrement du régime de Mobutu et l’arrivée au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila. Elle a été suivie par la deuxième guerre du Congo (1998-2002) lors de laquelle l’armée encore fragile de la République démocratique du Congo a dû affronter les milices rwandaises tutsis et les rebelles soutenus par le Rwanda et l’Ouganda. En 2001, Laurent-Désiré Kabila a été assassiné. Malgré l’arrivée d’une mission des Nations-unies de maintien de la paix, (la Monuc), la guerre a continué de faire rage et les massacres de civils de se répéter sans fin.
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Le livre de Charles Onana dénonce à cet égard le tropisme des Etats-Unis, mais aussi celui de l’Union européenne et des dirigeants français en faveur du régime rwandais de Paul Kagame, dont les troupes, selon Charles Millon, « occupent une partie de la République démocratique du Congo pour la piller » et dont le projet serait d’étendre son influence à la Centrafrique et au Gabon. Des millions de tonnes de minerais seraient ainsi pillés et exportés de la République démocratique du Congo et les forêts du pays dévastées par une exploitation brutale et sans limite. Pour l’africaniste Bernard Lugan, le Rwanda vit depuis plusieurs décennies de ce que certains ont appelé « une rente génocidaire », car le régime à Kigali est parvenu à culpabiliser l’opinion mondiale à propos du génocide. L’Occident déverse par conséquent une aide équivalente à la moitié du budget du pays, l’autre moitié étant le fruit du pillage des ressources du Congo et du Kivu[4]. L’omerta des Américains et des Européens sur ce sujet tabou a finalement eu pour conséquence de vulnérabiliser les Occidentaux qui se croyaient à abri de la guerre en République démocratique du Congo, comme en ont témoigné les assassinats de quatre travailleurs humanitaires espagnols en 1998 et celui de l’ambassadeur italien Luca Anastasio en 2021, dans le pays.
Dans ces conditions, il faut espérer pour les survivants de ces années effroyables, que la République démocratique du Congo pourra faire émerger à Kinshasa un pouvoir qui sera en mesure de reprendre le contrôle du Kivu et de ses provinces. Dans une recherche de la vérité, il est sans doute temps que l’histoire officielle du génocide soit réexaminée ; que le rôle de la France, qui a souvent été sali et décrié, soit jugé de manière objective. Dans un tel contexte, il est probable que l’alignement actuel des positions françaises et européennes sur celle de Etats-Unis n’irait plus forcément de soi. Une question demeure entière pour Charles Onana : celle de l’impunité des criminels rwandais, ougandais, burundais et banyamulenge, qui « continuent d’imposer la mort et d’interminables souffrances et atrocités à la population congolaise et d’y semer la mort ». Si cette impunité ne cesse pas, prédit-il, les Congolais risquent d’être définitivement écrasés dans leur propre pays[5].
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[1] Charles Onana : Holocauste au Congo, Paris, L’Artilleur, 2023.
[2] https://www.unep.org/fr/actualites-et-recits/recit/les-ressources-minerales-de-la-republique-democratique-du-congo-peuvent
[3] https://www.vice.com/fr/article/dyv3px/la-belgique-a-deboulonne-les-statues-de-leopold-ii-et-maintenant
[4] https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&q=bernard+lugan+rente+g%C3%A9nocidaire#fpstate=ive&vld=cid:e688f0f5,vid:OQI1-iX5T70
[5] Op.cit. Charles Onana, p. 442.
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