Quelques jours après l’annonce du remaniement, on peut déjà constater que le premier objectif de François Hollande a été atteint : on ne parle plus des municipales. La question est bien évidemment de savoir si, au-delà de l’effet médiatique, le changement de gouvernement signifie un changement de stratégie et de politique. Vu la composition du gouvernement, la réponse est clairement non : Hollande n’a pas changé d’analyse et en conséquence ne pense pas qu’il faille changer de cap. Ce chiraquien croyant et pratiquant sait qu’un président de la République peut envoyer de troupes en Afrique, décider des essais nucléaires et avoir des bonnes places pour une finale de la coupe du monde, mais qu’en revanche il est incapable d’inverser la courbe du chômage ni n’importe quelle autre courbe d’ailleurs. Hollande sait parfaitement que depuis un certain temps il n’y pas de chef d’Etat en France mais uniquement des hommes plus ou moins doués qui interprètent ce rôle. Chirac ne l’a pas joué si mal, il a su « habiter » la fonction – à défaut d’exercer le pouvoir – mais depuis 2007 rien ne va plus. Nicolas Sarkozy, pourtant proche de Chirac un certain temps, croyait et faisait croire qu’il suffisait de vouloir pour pouvoir, que le réel pliait devant l’obstination d’un chef volontaire comme les chiffres de la délinquance devant un ministre de l’intérieur énergique. En d’autres termes, Sarkozy était un dealer qui consomme, une erreur que son successeur ne commet pas. L’actuel amateur qui interprète le rôle de président, s’il joue assez mal, a pourtant compris qu’il fallait faire sien le célèbre mot de Cocteau : « Puisque ces mystères demeurent, feignons d’en être l’organisateur ».
Hollande s’est trouvé dans une situation où les attentes de Français – entretenues voire amplifiées par sa campagne présidentielle – étaient importantes et la capacité de l’exécutif d’y répondre quasi nulle. Dans ces conditions, la seule stratégie possible est de gagner du temps : aucun problème, aucune crise aussi durs et longs soient-ils, ne sont infinis. Les pires épidémies qui ont décimé l’humanité jusqu’au milieu du XXème siècle n’ont jamais duré éternellement malgré l’incapacité des hommes à leur trouver des remèdes voire à en comprendre les ressorts. Il faut tout simplement manœuvrer pour être au poste de médecin en chef au moment où l’épidémie s’épuise et cesse naturellement.
Le « moment » politique actuel n’est donc pas celui d’une réflexion sur le bilan et d’une remise en cause mais celui du leadership. Tel Christophe Colomb, Hollande est sûr de lui et son rôle consiste à rassurer l’équipage qui commence à perdre espoir. A lire aujourd’hui le journal de bord du grand navigateur, on est frappé par la similitude des situations. Le 23 septembre 1492 par exemple, Colomb note que « l’équipage râle toujours [..] les hommes croient que nous ne pourrons jamais rentrer chez nous ». Et le lendemain il constate que « malgré des indices d’une terre proche que nous avons pu constater de nos propres yeux et ceux donnés par Dieu […] ils disent que je leur ai menti ».
Hollande, comme Colomb il y a cinq siècles, voit des signes indiquant que la terre est proche. Aujourd’hui, l’on sait que Colomb avait deux fois tort : ce 24 septembre, il était encore à 18 jours de voyage des Caraïbes, beaucoup plus loin qu’il ne le croyait ; par ailleurs, il croyait guider ses hommes vers l’Inde et le Japon… Hollande perçoit, lui aussi, les signes précurseurs d’une reprise qui n’a rien à voir avec ce qu’il a fait depuis 22 mois mais avec ce qu’ont accompli les Américains, Allemands, Britanniques, Chinois, Espagnols et Italiens depuis quelques années. Cela fait au moins trois ans qu’il croit que la reprise réelle, celle qui fait baisser le chômage et augmenter les salaires, est, comme « Cipango » dans l’esprit de Colomb, à quelques jours de voyage.
Dans son retard, Hollande gagne du temps. C’est le rôle de Valls : tenir et entretenir les médias, les sondages et l’opinion publique assez longtemps pour que ces hirondelles qu’il ne cesse d’entrevoir amènent enfin ce printemps si récalcitrant. Et vous savez quoi ? Il n’est pas exclu qu’il gagne son pari…
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !