François Hollande aura beaucoup appris de Nicolas Sarkozy. Notamment qu’une entrée par trop décoiffante dans la fonction présidentielle peut vous pourrir un quinquennat. Le Fouquet’s et le yacht de Bolloré sont restés dans les mémoires, alors que l’hommage rendu le 16 mai 2007 aux martyrs de la Résistance du Bois de Boulogne par un Nicolas Sarkozy tout juste investi est tombé dans l’oubli…
Ce sera sans doute le cas des propos tenus par François Hollande au cours de la journée du 6 Mai, à l’Elysée, devant la statue de Jules Ferry aux Tuileries, et lors de la réception à l’Hôtel de ville de Paris. Il ne faisait que reprendre les thèmes de sa campagne : l’exigence de justice dans la répartition des sacrifices inévitables, la priorité donnée à l’école, à la jeunesse, et à la recherche. Il n’est cependant pas indifférent que les deux personnalités symboliques auxquelles il a tenu à rendre hommage dès son entrée en fonction représentent l’idée de progrès telle qu’elle s’est épanouie sous la IIIème République : celui qui se fonde sur l’étude et sur l’avancement des sciences. Les enfants des écoles aux Tuileries, et les blouses blanches des piliers de laboratoire à l’institut Curie : François Hollande nous fait savoir qu’il ne craint aucun procès, ni pour ringardise par les esprits forts du déconstructivisme, ni pour illusion productiviste par les khmers verts et associés. Cela mérite d’être salué, car l’intention est bonne : on doit aider l’école à mieux remplir son rôle de transmission du savoir indispensable à l’émancipation des individus, et donner à ceux qui repoussent toujours plus loin les limites de la connaissance les moyens de faire que notre pays demeure une grande nation de science et d’industrie. C’est, bien entendu, plus facile à dire qu’à faire et de bonnes intentions ne produisent pas toujours une bonne politique. Reste que les mots engagent, et ceux qui les entendent sauront, le moment venu, juger s’ils ont été suivis d’effets.
Les esprits resteront donc marqués, plus que par ses discours, par le déchaînement des éléments que le nouveau président dut subir dès sa sortie de l’Elysée : trombes d’eau en remontant les Champs du même nom, averse de grêle devant la statue de Pierre et Marie Curie, et enfin coup de foudre sur l’avion le conduisant à Berlin.
Le ciel semblait vouloir tenir le rôle assigné à l’esclave qui tenait la couronne de laurier au dessus de la tête des Césars triomphants : placé tout prêt de lui alors que le peuple de Rome acclame l’empereur vainqueur, il lui chuchote sans cesse : « Souviens-toi que tu es mortel ! ». Cette coutume était destinée à protéger les souverains de l’hubris, cette démesure qui s’empare de ceux qui sont parvenus au sommet de la gloire et du pouvoir. On n’a beau être le président de la République, on subi la météo comme les citoyens ordinaires… Mais un président, fût-il normal, n’est pas un citoyen ordinaire : celui qui resterait debout à l’arrière d’une automobile décapotable alors qu’il pleut à verse serait tenu pour un original. Mais au bout du compte, François Hollande n’aura pas trop à se plaindre de l’intervention de Zeus dans un cérémonial qui avait été réglé au millimètre : le dieu du tonnerre lui a offert une métaphore imprévue : « Je tiens le cap sans frémir au milieu des tempêtes ! ». On aura également admiré le sens pratique d’un président qui a toujours un costard prêt à se substituer à celui que l’eau du ciel a transformé en serpillère.
On a également pris connaissance des premières nominations, celles des principaux conseillers du président, et celle du premier ministre Jean-Marc Ayrault. Elles en disent beaucoup sur la manière dont François Hollande s’apprête à exercer le pouvoir. Il ne sera pas cet hyperprésident décidant de tout au vu de tous, comme le fut son prédécesseur, mais il veille que ceux à qui il délègue une partie des responsabilités soient insoupçonnables quant à leur loyauté. Rien ne vaut les camarades de promo de l’ENA pour faire fonctionner la machine élyséenne : ce sera la tâche de Pierre-André Lemas, secrétaire général de l’Elysée et de Sophie Hubac, directrice de cabinet. Le conseiller spécial, Aquilino Morelle est, lui, l’exact équivalent d’Henri Guaino chez Sarkozy : écrivain des discours, il ne vient pas de l’école delorienne et européiste qui a formé François Hollande. Opposé au Traité constitutionnel européen, il fut le principal conseiller d’Arnaud Montebourg lors de la primaire socialiste. L’important, c’est aussi de bien choisir, à ses côtés, celui qui ne pense pas comme vous, mais qui a du talent.
Le premier ministre, chef du gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la nation » (article 20 de la Constitution) est l’un des rares hiérarques socialistes qui n’a jamais « manqué » à François Hollande, même lorsque celui-ci ne semblait pas être le mieux placé dans la course à l’Elysée 2012. Il serait surprenant qu’entré à Matignon, il se place sur une trajectoire de confrontation avec le président de la République. Bien malin serait d’ailleurs celui qui pourrait expliquer en quoi les philosophies politiques des deux hommes pourraient diverger, alors que ce petit exercice est aisé avec Martine Aubry, ou Laurent Fabius. Jean-Marc Ayrault, qui fut brièvement prof avant de ce lancer avec succès dans la vie politique, devra jouer le rôle de surveillant général[1. Je sais. On dit aujourd’hui « conseiller principal d’éducation ». Mais le « surgé » reste la figure emblématique de la loi et l’ordre scolaire.] d’une équipe gouvernementale où des personnalités dotés d’un ego surdimensionné, mais dont la présence est indispensable en raison de leur poids politique devront cohabiter.
L’annonce de la composition de ce gouvernement ne devrait pas comporter de surprise de taille. Le coup médiatico-politique n’est pas le genre de la maison. Il semblerait même que François Hollande prenne un malin plaisir à rendre ennuyeuse l’observation de la vie publique et des lieux de pouvoir, ayant délégué à sa compagne Valérie Trierweiler la tâche de donner au peuple la dose de ragots « people » qu’il exige désormais de ses gouvernants.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !