Hollande, l’inversion au pouvoir


Hollande, l’inversion au pouvoir
(Photo : SIPA.00714852_000013)
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« Ce sera une tendance, ce sera une ambiance. Plus une ambiance qu’une tendance d’ailleurs. Il y aura toujours des gens au chômage, mais il faut qu’ils aient le sentiment qu’ils ne le seront plus longtemps ». C’est la réponse formulée par François Hollande à deux journalistes[1. Le pari, Bastien Bonnefous, Charlotte Chaffanjon, Ed. Plon.] venus l’interroger sur le niveau de baisse du chômage qui rendrait possible une nouvelle candidature de l’actuel titulaire du poste en 2017. Comme souvent, à gauche, on se berce d’illusions. Déjà en 2007, certains sociologues « spécialisés » dans la délinquance  expliquaient que l’insécurité n’était qu’un sentiment sans rapport avec l’insécurité « réelle » et que la priorité était de combattre cette impression. Hollande, charmant agent d’ambiance de la République française, se fout ainsi royalement de faire baisser massivement ou non le chômage pour se représenter à la prochaine présidentielle. Tout n’est, une fois encore, qu’une question de sentiment : « Tu le sens comment ton chômage, toi, en ce moment ? »

C’est justement la recherche de cette fameuse « ambiance » qui a justifié la mise en place de la loi El Khomri, selon le dogme néolibéral qui veut que moins de protection des salariés entraînerait quasi mécaniquement une baisse du chômage et que l’économie, voire la santé de nos entreprises, procèderaient presque entièrement du droit du travail.

Ces idées reprises par une gauche en panne d’inspiration ont été démontées par le juriste, spécialiste du droit du travail Alain Supiot dans son livre La gouvernance par les nombres[2. La gouvernance par les nombres, Alain Supiot, Ed. Fayard]. Une évolution caractéristique de la loi El Khomri qui érige la loi en instrument économique dans une course au moins-disant social : « Se dessine ainsi un nouveau type de lien de droit qui, à la différence du contrat, n’a pas pour objet une quantité de travail mesurée en temps et en argent mais la personne même du travailleur. Sa réactivité et sa flexibilité étant incompatibles avec la force obligatoire du contrat : il est inévitable de le priver d’une partie de ses attributs de contractants. »

Ayant cédés tous les leviers, les politiques se raccrochent au droit du travail

Dans une interview récente à l’Humanité, il analysait cet entêtement à détricoter le droit du travail malgré l’absence de résultats produits par les multiples réformes déjà engagées telle que par exemple la suppression, en 1986, de l’autorisation administrative de licenciement, qui avait été présentée à l’époque comme le principal frein à l’embauche et qui n’a jamais entraîné les créations d’emplois promises. Une obstination qui s’explique par le fait que le droit du travail est un des rares leviers sur lequel les dirigeants politiques ont encore une possibilité d’action : « Les États, comme du reste bon nombre d’entreprises, ont perdu toute capacité d’action stratégique à long terme. Les États de la zone euro en particulier ne contrôlent plus ni leur politique des changes, ni la politique douanière, ni même leur politique budgétaire. La classe politique s’étant dépouillée des instruments d’une politique économique, la seule chose qui lui reste entre les mains, c’est le droit du travail ».

Comme la plupart des énarques des années 1980, déformé en plus par un passage par HEC, François Hollande, est atteint d’une fâcheuse tendance à réduire la politique à sa fonction économétrique, attribuant à l’économie des capacités de mobilisation du collectif qui ne relèvent en fait que de la politique. En hollandie, l’indice, la courbe et le pourcentage sont ainsi des données du réel. Dérive absurde du système politico-médiatique que d’avoir réduit l’idéal de justice sociale à un baromètre de l’emploi. François Rebsamen ne s’en est toujours pas remis…

Une confusion des genres qui masque mal une insuffisance politique et un véritable aveuglement de l’homme de pouvoir face au malaise social tel que décrit par Alain Supiot : « Par exemple, des courbes du chômage dont on attend l’inversion, confondant ainsi une évolution des faits avec sa représentation géométrique. Des confusions de ce genre illustrent la tendance plus générale de la gouvernance par les nombres à substituer la carte au territoire dans l’organisation et la conduite des affaires publiques et à perdre ainsi pied avec la réalité. »

Des économistes aidés de chercheurs en informatique ont souhaité mesurer les effets des nouveaux critères de licenciement introduits par la loi El Khomri. Utilisant un modèle informatique qui reproduit le marché du travail français à partir d’un échantillon, ils sont arrivés à la conclusion que celui-ci serait bouleversé en quatre ans !

« Si la loi El Khomri est votée, une PME de moins de 11 salariés pourra y recourir dès lors qu’elle aura subi une baisse de son chiffre d’affaires pendant un trimestre, une entreprise de 11 à 50 salariés pendant deux trimestres, celle de 50 à 300 salariés pendant trois trimestres et celle de plus de 300 salariés pendant quatre trimestres » explique ainsi l’économiste Gérard Ballot au magazine Challenges. Et les effets sur les embauches seront massifs : « La part des embauches en CDD va chuter en quatre ans de 78 % à 33 % et celle des CDI bondir de 22 % à 67 % ! Les conversions de CDD en CDI chez le même employeur grimperont de 17 % à 40 %. Au total, les CDD ne représenteront plus que 2,6 % de l’emploi total, contre 8,5 % actuellement. A l’inverse, les licenciements économiques seront beaucoup plus fréquents : leur part dans les fins de contrats explosera de 0,5 % à 20 %. La durée médiane d’un CDI tombera de cinq ans à moins de trois ans ». Soit le remplacement des CDD par des CDI en fait plus précaires.

La loi El Khomri ou l’escroquerie de la « flexisécurité » révélée

Un bouleversement social pour quel résultat concret : une quasi-stagnation, la loi El Khomri elle-même n’ayant que des effets mineurs sur le taux de chômage. Tout dépendra de la croissance économique. Des licenciements plus rapides en périodes difficiles et des embauches plus massives en phases de reprise. Un détail puisque, rappelons-le, tout est une question d’« ambiance ». D’autant que Hollande aura obtenu ce qu’il voulait : la mise en place d’un marché du travail plus flexible mais beaucoup moins sécurisé dans l’hypothèse — de plus en plus improbable — d’un second mandat qui le verrait tenir à partir de 2017 les promesses formulées en 2012. C’est bien là que réside l’escroquerie — on s’en doutait… — dans le concept fumeux de « flexisécurité ».

Un quinquennat pour se chauffer et la mise en œuvre d’une véritable « gouvernance par les nombres », voire plus précisément dans le cas de François Hollande « la gouvernance par les courbes » tant la promesse de l’inversion aura été le fait politique et graphique majeur de son quinquennat.

Mais la politique n’est-elle qu’une affaire de courbes ? C’est le drame et toute la médiocrité de François Hollande d’avoir pu penser que, par un effet de vases communicants, un changement d’ordre géométrique sur une courbe — celle du chômage — en entraînerait mécaniquement un autre, sur sa courbe de popularité, ignorant totalement la dimension proprement sociale du problème et sa traduction « réelle ».

« Le monde dominé par le Nombre est ignoble » avait prophétisé Bernanos dans La France contre les robots, inquiets de l’avènement d’une société ou le sujet n’est que quantité, peuplé d’êtres non plus égaux mais parfaitement identiques. Le rêve du politique au pouvoir qui n’aurait qu’à actionner des leviers économiques pour faire évoluer à sa convenance les nombres et les courbes. Celles qui donnent des résultats…

C’est sans doute là, la démonstration de l’incapacité politique de François Hollande, d’avoir totalement ignoré que derrière les courbes qui s’inversent plus ou moins et fascinent les éditorialistes, le nez collé sur la prochaine échéance électorale, se cachent encore des individus et que comme l’avait diagnostiqué Raymond Aron « ce peuple, apparemment tranquille, est encore dangereux ».

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