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Quousque tandem abutere, Hollanda, patientia nostra ?


Quousque tandem abutere, Hollanda, patientia nostra ?

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Les latinistes me pardonneront d’avoir forgé un latinisme de première déclinaison pour désigner par « Hollanda » le type qui se croit chef de l’Etat, mais l’esprit y est, c’est ce qui compte. Alors, si je reprends le tricolon (il ne s’agit pas d’un individu à trois intestins, ô lecteur inculte, mais d’une composition rhétorique énumérant trois éléments indépendants en gradation) célèbre de la première Catilinaire de Cicéron, cela donnerait quelque chose du genre : Mais enfin jusqu’à quand, Hollande, abuseras-tu de notre patience ? Combien de temps encore serons-nous le jouet de ton imposture ? Où s’arrêteront les emportements de ton culot effréné ?
Tout cela pour parler de mariage homosexuel, ce cache-misère dont on nous rebat les oreilles depuis des mois afin de ne pas parler de chômage, ni de désindustrialisation, ni des cadeaux faits aux banques, ni du néo-libéralisme à la sauce socialiste, ni de la rétrogradation des écoliers français de le tréfonds des classements internationaux, ni de l’escroquerie consistant à proposer cette année deux concours de recrutement d’enseignants alors que nous n’avions pas l’année dernière assez de candidats en état de marche pour remplir tous les postes proposés, ni…

L’incompétence des gens au pouvoir n’a d’autre traduction que l’aposiopèse (ça non plus, ce n’est pas une maladie, ô lecteur ignare…).
Mais voilà : savoir si les homos des deux sexes (et du troisième si vous y tenez) pourront ou non se marier et adopter des enfants, ça, c’est primordial. Que d’excellents amis qui préfèrent les hommes se laissent prendre à ce miroir aux alouettes et s’enflamment depuis l’élection de Monsieur-tout-le-monde à la présidence pour savoir s’ils passeront un jour devant le Maire donne la mesure du pouvoir d’illusion médiatique. On ne parle pas tout à fait que de ça, mais pas loin. Le mariage homo est devenu le chiffon rouge de l’actualité. Si j’osais (allez, osons), je dirais qu’il sert de cache-sexe politique : occultez cette crise que je ne saurais voir, oubliez la façon ignominieuse dont nous laissons l’Allemagne humilier la Grèce, et ne répétez pas trop fort que le caviar, le foie gras et le champagne sont gratuits à Versailles à l’Elysée. « Ils » devraient se méfier : en 1788, plus rien finalement n’a permis de faire oublier le prix du pain. Et l’année suivante…

Petit rappel des faits : le mariage homo, ce n’est pas d’hier.

À la fin des années 90, lorsqu’on proposa à des sociologues de qualité (cela existe), en l’occurrence Irène Théry (que j’ai connue un peu) de réfléchir sur ce qui allait devenir le PACS, ils pesèrent posément les questions juridiques, et proposèrent une formule qui établissait des droits équivalents pour les couples mariés ou pacsés — en particulier dans la question douloureuse des transmissions d’héritage. Il était fréquent qu’au décès de l’un des partenaires, la famille du défunt arrive en trombe pour mettre à la rue le compagnon du défunt, alors que les couples légalement passés devant le maire se transmettent les biens, immobiliers ou autres, au dernier vivant, et évitent ainsi des expulsions dramatiques — entre autres. Et dans ces années 90, en pleine expansion du SIDA, bien avant l’invention des tri-thérapies, c’étaient des situations de tous les jours. Irène a expliqué elle-même en quelles circonstances elle avait saisi sur le vif, si je puis dire avec un peu d’humour noir, la situation juridique née de l’épidémie et des décès à la chaîne qu’elle entraînait.

Mais voilà : le gouvernement Jospin, après avoir demandé à des personnalités compétentes d’imaginer un dispositif qui résoudrait légalement, et sans avoir à en passer par l’adoption d’une loi, ces difficultés matérielles — bref, le PACS —, a eu peur de sa propre audace (le PS, on le sait bien, c’est comme le tango, un pas en avant, deux pas en arrière). Comment ! On risquait de se brouiller avec des chrétiens (catholiques et protestants, hein, Lionel…) ou des musulmans qui persistaient à penser que les homos étaient des créatures de l’enfer[1. Par parenthèse, il faudra que l’on m’explique comment, en dehors d’une hypothèse masochiste, on peut être homosexuel et croyant — quand ces braves gens ont brûlé à qui mieux mieux les sodomites pendant des siècles. Voir Maurice Lever, Les Bûchers de Sodome, Fayard, 1985.]… On risquait d’outrager des gens qui de toute façon ne votent pas pour vous — mais c’est une tendance lourde, à gauche : on fait des cadeaux aux patrons et aux banquiers qui n’attendent que le retour des copains au gouvernement — comme si la droite pouvait être plus accommodante que cette gauche-là —, on flingue les classes moyennes en alourdissant les impôts directs, et on assomme le peuple en augmentant la TVA : un sans-faute…
Hmm… Baisser culotte devant des prêtres, est-ce bien raisonnable ? N’empêche : on a fabriqué un PACS vidé de toute substance — et on a collé une Légion d’Honneur à la sociologue qui avait si bien conçu ce que l’on n’appliqua pas.

Alors, que faire, comme disait si bien le camarade Oulianov en son temps ? Je me méfie des propos du Café du Commerce, qui commencent tous par « yaka ». Mais là, franchement, il suffit de passer un décret stipulant que désormais les Pacsés auront intégralement les mêmes droits que les couples mariés — point à la ligne.  Le gouvernement, s’il n’avait pas eu derrière la tête l’idée de se servir de cette histoire comme paravent de ses turpitudes, aurait pu expédier la question pendant l’été. Non pas donner le droit de se marier, mais donner le droit de ne pas se marier. Ça n’empêcherait pas celles qui le désirent de se déguiser en meringues. Si le mariage est aujourd’hui démonétisé au niveau religieux (mais je n’en suis pas sûr, au moins pour les électeurs de Christine Boutin), quelle importance d’accorder le mariage aux homos ? Autant inciter les hétéros à se pacser — ils s’épargneront les frais d’avocat lorsqu’ils se « démarieront », pour reprendre le titre de l’un des premiers ouvrages à succès de la sociologue susnommée[2. Irène Théry, Le Démariage, Odile Jacob, 1993.]. Franchement, amis homos des deux sexes, votre ambition de vous marier pour payer un avocat lorsque vous vous séparerez (« Le mariage est la principale cause de divorce », disait l’excellentissime Oscar Wilde), et une prestation compensatoire monstrueuse à votre ex, me paraît d’une imbécillité absolue — en toute amitié.

Quant à la question de l’adoption et de la procréation médialement assistée… Si l’on donne tous les droits du mariage, pourquoi ne pas donner celui-là aussi ? Je ne me situe pas sur un plan juridique, je me fiche de savoir si un enfant doit être élevé par des individus de sexe différent (dans 50% des cas dans les grandes villes, il est élevé par une seule personne aujourd’hui, et ça n’a l’air de choquer personne — nous en essuyons les conséquences à l’école, dans bien des cas), et si la sexualité de ses parents peut ou non influencer la sienne (et alors ? Il y a bien aujourd’hui des gosses sommés d’être hétéros et qui n’en sont pas plus heureux). Je dis simplement que confier des gosses à un couple homo, à un couple hétéro, ou à un célibataire n’a aucune importance : de toute façon, comme disait intelligemment Freud, quoi que vous fassiez pour les élever, vous ferez mal. Entourez-les d’amour, baignez-les dans les conflits, les résultats seront statistiquement comparables : la même proportion de crétins et de génies (en fait, un mauvais lutin me souffle que les conflits génèrent plus de génies que l’amour — je m’acharne à le faire taire, mais je crois que les traumatismes sont plus formateurs que les câlins — ou pas moins).
Au passage, c’est encore une façon d’agiter le chiffon rouge : vu les conditions horriblement restrictives que l’on vous impose pour adopter, les enquêtes en tous genres, les interventions si intelligentes et mesurées des DDASS pour arracher des enfants presque rééquilibrés à des parents aimants sous prétexte de pouvoir les réaffecter à des parents ivrognes, ou camés, ou violents, l’adoption ne concernera chaque année qu’une frange minuscule des couples en mal d’enfant.

Alors, en vérité, cessons de nous intéresser à un débat qui n’est qu’un leurre. Établissons les mêmes droits pour tous les êtres humains (et j’ai connu au cours de ma carrière des parents hétéros qui n’avaient rien d’humain, vu ce qu’ils faisaient subir à leurs marmots). Et concentrons-nous sur les vrais problèmes — tous ceux que le présent débat permet ingénieusement d’occulter. Je sens bien que voici une occasion de me reprocher de manquer de sensibilité, patati-patata, etc. Mais franchement, quelles sont vraiment les urgences, en ce moment ? Le « mariage homo », et les adoptions qui s’y rattacheraient éventuellement, qu’est-ce que ça pèse, face à 9 millions de chômeurs ? Face aux glaneurs qui font les poubelles chaque matin ? Face à l’école qui part de plus en plus en miettes ? Face à la perte de pouvoir d’achat de toutes les classes inférieures aux super-riches ? Je m’en fiche à une profondeur incroyable que Depardieu donne des brevets de civisme à Poutine. Thierry Le Luron, en faisant semblant de se marier avec Coluche, avait intelligemment ramené la question à ce qu’elle est actuellement — une image dans la société du spectacle.

*Photo : philippe leroyer.



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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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