Qui va payer ?
L’objectif affiché de ramener le déficit budgétaire à 3% du PIB pour l’année 2013 tenait déjà du fantasme pour beaucoup d’observateurs, il risque d’en prendre un coût avec cette guerre au Mali. En 2011, la France a dépensé plus de 300 millions d’euros pour son intervention en Libye. Or, cette opération se déroulait dans le cadre de l’OTAN, les frais étaient partagés avec les Britanniques et les Américains, ce qui n’est pas le cas cette fois-ci, du moins jusqu’à maintenant.
Étant limitée aux opérations aériennes, l’intervention libyenne de 2011 a coûté cher du fait du carburant consommé et du nombre de coups tirés. Cette fois, si l’intervention au sol sera probablement de mise, elle n’est pas pour autant limitée dans le temps. Eu égard au type de guerre qui s’annonce, la facture risque de s’avérer salée.
Dès lors, qui va payer ? L’Etat malien sera-t-il mis à contribution ? Déjà en 2011, Gérard Longuet, alors ministre de la Défense, déclarait que « la France n’avait pas pour coutume de facturer son aide à ceux qui la lui demandait ». Rien n’exclut cependant la signature de contrats, ainsi que des facilités d’accès aux entreprises françaises en guise de remboursement ou de contrepartie.
Quelle sera l’attitude de l’Algérie ?
Partageant environ 1300 kilomètres de frontière avec le Mali, l’armée algérienne devra être sur le pied de guerre pour contenir l’éventuel reflux des terroristes d’Ansar Dine et d’Aqmi (Al Qaïda au Maghreb islamique). Le pays devra mettre la main à la poche afin d’instaurer un système de surveillance assurant efficacement l’opacité de sa frontière. Dans ce contexte, la collaboration entre la France et l’Algérie semble imposée par les faits. Celle-ci a sans doute fait l’objet de discussions approfondies lors de la visite de François Hollande en Algérie le mois dernier.
Quelles conséquences sur le plan intérieur ?
On peut évidemment s’attendre à des tentatives de représailles sur le sol national de la part des cellules terroristes implantées en France. D’où les efforts intenses de la diplomatie française pour rapporter les faits d’armes de l’armée malienne qui –à en croire les communiqués- aurait repris pratiquement à elle seule, avec le soutien aérien français, la ville de Konna. Une armée malienne dont on nous disait pourtant la veille qu’elle avait été écrasée par les rebelles islamistes, et avait perdu à cette occasion l’essentiel de son matériel.
Pour la première fois depuis son élection, François Hollande donne l’impression d’être à sa place dans le fauteuil de Charles De Gaulle. Sa prise de décision fait force de clarté et de promptitude, deux traits pour lesquels le président n’est pas vraiment réputé. Cette résolution à porter une action militaire juste et légitime, car requise par un État souverain, a permis un consensus politique rare. Seule une opposition aussi stérile que prévisible se distingue à la gauche de la gauche.
Mais le plus difficile reste à venir. Il faudra éviter le bourbier à l’extérieur, et parer aux menaces à l’intérieur. Une défaillance sur un de ces deux axes pourrait gravement discréditer le pouvoir en place. Les couacs gouvernementaux et l’amateurisme dans les réformes structurelles sont une chose, risquer la vie des Français en est une autre. À ce titre, il sera difficile de préserver la vie des otages aux mains d’Aqmi.
Quelles conséquences sur le plan extérieur ?
Cette intervention unilatérale de la France rappelle un principe que l’on croyait être un fantasme passé : la France est une grande puissance.
Notre pays est le seul en Europe à pouvoir se déployer instantanément, et de façon autonome. Certes, la Grande-Bretagne dispose aussi d’un potentiel de défense important, qui tend cependant à s’étioler progressivement. Pour le reste, il n’existe aucune puissance militaire réelle sur le Vieux continent. La politique de défense commune est une arlésienne de la construction européenne. Il ne faudra pas compter sur l’Agence européenne de défense et ses 30 millions d’euros de budget pour trouver une assistance crédible.
Il paraitrait donc légitime que les efforts de défense assumés par la France soient comptabilisés dans ses impératifs budgétaires européens, car c’est l’ensemble du continent qui en bénéficie. N’oublions pas que la menace islamiste est présente d’un bout à l’autre de l’Afrique, de la Somalie jusqu’à la Mauritanie, aux portes de notre sanctuaire européen.
Si l’Allemagne domine l’Europe sur les terrains économique et budgétaire, sa sécurité extérieure, déléguée à l’OTAN, est de moins en moins assurée, puisque les USA – qui rechignaient déjà à intervenir en Libye – ne se manifesteront pas directement cette fois-ci. Washington regarde l’Afrique comme la chasse gardée de l’Union européenne.
La France n’est certes plus la principale puissance agricole de l’Europe, rôle historique auquel on la croyait destinée, mais apparaît comme le gardien de l’UE. Dès lors, pourquoi nos partenaires ne contribueraient-ils pas à une Europe de la défense incarnée par l’armée française ?
Quelle est la finalité de l’opération ?
Une guerre contre le terrorisme ne peut pas être gagnée définitivement. Il ne s’agit pas de bombarder des infrastructures, de détruire des divisions ennemies, et de prendre une capitale. C’est avant tout un combat contre une mentalité, une conception de la vie défendue par des êtres fanatisés qui n’ont rien à perdre en luttant jusqu’à la mort.
D’un point de vue topographique, le nord du pays baptisé « Azawad » par les rebelles touaregs comprend un massif montagneux à l’est, l’Adrar des Ifoghas, où l’ennemi tentera probablement de se réfugier, et où notre arsenal sera inopérant. Il est vain de croire que l’on pourra nettoyer ces zones de la présence islamiste, on n’y parviendra pas plus qu’en Afghanistan. Le seul objectif qui paraît raisonnable serait celui de lui infliger un maximum de pertes à l’ennemi avant qu’il ne se replie dans ces reliefs.
On imagine alors la constitution d’un cordon sanitaire tout autour de cette zone, une mesure pour laquelle la coopération de l’Algérie serait nécessaire. Ce no man’s land permettrait de cantonner Ansar Dine dans des zones faiblement peuplées, autour de la ville de Kidal, avec en ligne de mire l’étouffement d’une rébellion soumise à des problèmes de ravitaillement.
Les impératifs liés aux coûts et à la sécurité, notamment des otages, exigent que l’intervention de la France soit relayée par une entité africaine capable de poursuivre cet effort. L’incurie règne visiblement à tous les degrés au sein de la Cédéao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), même si certains pays ont promis leur assistance prochaine. On pense notamment à la Côte d’Ivoire, et au Nigéria qui s’engage à expédier 600 hommes, ce qui est tout de même bien mince pour un pays de 170 millions d’habitants !
Tout porte à croire que la présence de forces africaines répond avant tout à des impératifs de communication visant à réduire l’importance de l’intervention française contre les djihadistes.
On peut donc retenir cinq objectifs de guerre pour la France : 1) juguler l’avancée islamique, 2) détruire un maximum d’unités en rase campagne, 3) contenir les forces réfugiées en zone montagneuse, 4) pérenniser l’Etat de droit au Mali, 5) transférer l’autorité militaire à la Cédéao.
Vaste programme pour le président normal.
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