Voter PS, plus jamais ça!


Voter PS, plus jamais ça!

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Longtemps, j’ai pensé que s’il n’en restait qu’un, je serais celui-là : l’électeur communiste qui voit son candidat éliminé au premier tour et qui vote socialiste au second. Cela s’appelait la discipline républicaine. Autant l’avouer d’emblée : pour moi, la discipline, c’est fini. En 2017, quel que soit le cas de figure, au second tour de l’élection présidentielle, je ne voterai pas socialiste – en supposant que ce soit possible, ce qui n’est pas fait.

La discipline républicaine, c’était réciproque. L’électeur socialiste votait pour le candidat communiste si celui-ci s’était qualifié face à la droite. Si, si, ça arrivait, d’accord, pas à la présidentielle, mais aux législatives. Certains mauvais esprits remarquaient que si les reports de voix communistes se faisaient très bien, il y avait souvent du coulage dans les reports socialistes. N’empêche, ça n’a pas si mal marché dans les années qui ont suivi la signature du Programme commun, en 1972, qui avait été comme une tentative d’oublier la blessure originelle du congrès de Tours, en 1920, quand la grande famille se divisa entre communistes et socialistes.[access capability= »lire_inedits »] Même après le coup de chaud de 1977, quand la brouille entre Mitterrand, Marchais et Fabre (on rappellera pour les plus jeunes qu’il dirigeait les radicaux de gauche) fit rater de peu à la gauche les législatives de 1978, l’alliance de fait perdura et permit la victoire de 1981, avec l’élection de Mitterrand.

La vie était simple alors : la Cinquième République était idéologiquement bipolaire et politiquement quadripartite : à gauche, le PS et le PCF ; à droite, le RPR et l’UDF. On se bagarrait férocement dans chaque camp, mais la plupart du temps on serrait les coudes face à l’ennemi – bon, sur ce point, Giscard aurait peut-être des réserves. Bien sûr, chez les communistes, on s’est toujours un peu méfié des socialistes. Pas jusqu’à dire, comme Lénine, qu’il fallait les pendre en premier, mais il y avait de mauvais souvenirs. Comme Jules Moch, ministre de l’Intérieur socialiste qui avait fait tirer sur les mineurs grévistes en 1947, ou Guy Mollet, l’homme qui envoya le contingent en Algérie et s’embarqua dans la désastreuse expédition de Suez. Tout ça, c’était du passé. En 1981, seuls les vieux cocos, qui n’avaient pas oublié le temps où Mitterrand officiait Place Beauvau et dirigeait la répression du FLN, n’explosèrent pas de joie à la nouvelle de sa victoire.

Pour ma part, je votais socialiste sans me poser de question, parce que, les socialistes, c’était tout de même la gauche. Et puis, les socialistes français n’avaient pas fait leur Bad-Godesberg social-démocrate et encore moins leur mue sociale-libérale. On entendait encore vaguement les échos du congrès d’Epinay de 1971, qui fut en somme Le Bourget de Mitterrand : « Celui qui n’accepte pas la rupture avec la société capitaliste, celui-là, je le dis, n’a pas sa place au Parti socialiste. » En réalité, la seule rupture qu’opérèrent les socialistes fut, en 1983, leur ralliement, ou plutôt leur reddition, au marché-roi et à ce qu’on n’appelait pas encore la mondialisation.

Je commençais alors à m’intéresser de près à la politique, un genre de virus familial. D’ailleurs, la première fois que j’ai voté, c’était aux municipales de 1983, et c’était pour ma mère. Elle figurait sur la liste sortante d’Union de la gauche à direction communiste qui emporta encore la mairie ce coup-là. Je sentais vaguement qu’il y avait de l’eau dans le gaz, qu’entre les socialistes et nous, c’était plus qu’une différence de méthode, que nous ne voulions plus vraiment la même chose. Pourtant, j’étais plein d’espoir – naïf, disaient les camarades. La gauche au pouvoir décevait, mais c’était encore la gauche, et la droite, la droite.

Je me souviens des affiches pour les législatives de 1986 qui représentaient un loup de dessin animé avec comme légende : « Au secours, la droite revient ! » Et puis, au premier tour de la présidentielle de 1988, alors que je faisais mon service militaire à Coëtquidan, je suis rentré voter André Lajoinie, fidèle au PCF, négligeant la dissidence plutôt sympathique au demeurant de Pierre Juquin. Je m’apprêtais sans enthousiasme à voter pour Mitterrand au second tour contre Chirac. La trouille, certainement exagérée, transforma la résignation en soulagement quand Mitterrand gagna largement. Il faut dire qu’au premier tour Le Pen avait fait plus de 14 %, déjà…

Mais, en vrai, le danger facho ne faisait pas encore office de ciment. Pour la bonne raison que la droite classique faisait peur, et me faisait peur. D’accord, on jouait déjà à se faire peur, Chirac en facho, c’était très exagéré quand on y pense. En attendant, on y croyait un peu, et ça explique en partie que l’Union de la gauche ait perduré, au moins dans les urnes : ce n’était plus la belle discipline républicaine qui guidait mon vote, mais la recherche du moindre mal.

En ce qui me concerne, la guerre des gauches a vraiment commencé avec le référendum sur Maastricht, en 1992. Le fameux débat entre Mitterrand et Séguin m’a révélé que je pouvais me sentir infiniment plus proche d’un député gaulliste que d’un président socialiste. Pour moi, le clivage droite-gauche est mort ce soir-là, comme pour une grande partie de la droite, qui préférait, elle, le président socialiste. Mon trouble ne s’est pas arrangé quand Robert Hue est arrivé à la tête du parti, avec dans ses valises l’excellent Beigbeder (Frédéric) en communiquant. J’ai beau bien aimer Beigbeder, ça ne le faisait pas. Aux élections européennes de 1994, pour la première fois de ma vie, je n’ai pas voté communiste mais Chevènement. Et je l’ai suivi jusqu’en 2002. Un mal pour un bien, cette infidélité au PCF m’a permis de rencontrer Élisabeth Lévy, qui s’agitait pour rallier intellectuels et écrivains à la cause du « Che ». Cette belle aventure terminée, beaucoup ont tourné le dos à la politique active, moi, je suis rentré au bercail.

Je trouve que j’ai fait preuve d’une patience infinie vis-à-vis du PS. J’ai même voté Hollande au second tour de 2012, c’est dire. Encore une fois par trouille. Reprendre du sarkozysme pour cinq ans, c’était au-dessus de mes forces. Si je n’avais aucune illusion sur la politique économique, sur la sécurité ou l’immigration, je pouvais au moins espérer des discours moins vindicatifs et démagogiques. J’ai vite déchanté. La finance est toujours une amie, la soumission à Bruxelles et à l’Allemagne a pris des proportions humiliantes, Rebsamen veut fliquer les chômeurs et Macron tuer le code du travail.

Alors c’est décidé. Un second tour Marine Le Pen-Hollande ? Vote blanc. Un second tour Marine Le Pen-Sarkozy ? Vote blanc. Il n’y a guère qu’un second tour Marine Le Pen-Juppé où j’irais peut-être voter Juppé. Pas pour faire « barrage » au FN, mais parce qu’il est normalien, qu’il a lu des romans et qu’il aime le vin. C’est vous dire où j’en suis rendu. À tout prendre, j’opte pour l’indiscipline républicaine.[/access]

*Photo : ALFRED/SIPA. 00636429_000003.

Mai 2015 #24

Article extrait du Magazine Causeur



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