A J moins cinq du premier tour de la présidentielle, il est urgent de prendre position. De sortir du bataillon des indécis, des électeurs flottants. D’afficher haut et fort ses convictions, dussent-elles déranger, dans un monde où la pensée unique règne alors que la France est en danger. Il faut donc voter François Hollande.
Vous trouvez ça martial, voire un poil grotesque comme assertion ? Pourtant c’est ce qu’ont dû se dire, faire dire, annoncer dans des communiqués chantournés les dernières prises de guerre spectaculaires du candidat socialiste, j’ai nommé Martin Hirsch, Fadela Amara, stars déchues du gouvernement Fillon, si fier à l’époque de les avoir arrachés à leur gauche natale… Ou encore Jean-Luc Barré, plume du Président Chirac, l’ancien ministre de la culture d’icelui, Jean-Jacques Aillagon -pas content de s’être fait sortir de Versailles pour laisser la place à Christine Albanel et si ça se trouve Chirac lui-même ainsi que sa fille et son ex-gendre – pour son labrador, je ne sais pas. Néogauchistes auxquels il faut ajouter l’inénarrable villepiniste, Brigitte Girardin, les ex-bayrouistes à géométrie variable Azouz Begag et Corinne Lepage, et Jean Luc Bennhamias, ex-vert et futur-ex Modem, sans doute…
En voilà une jolie liste, qui ne serait pas complète sans sa pétition d’économistes, de hauts fonctionnaires anonymes ou de sportifs futurs médaillés olympiques. On attend Line Renaud d’ici peu, Pierre Bergé la travaille au corps.
Je serais Hollande, je me méfierais de ces résistants de la dernière heure. Des convertis de la dernière semaine, dont on dit qu’ils sont les plus fervents. D’ailleurs jusqu’ici le candidat à l’air de rester à distance (exception faite de Martin Hirsch, ce qui n’est sans doute pas très malin).
Somme toute, c’est plutôt du côté des transfuges qu’il faut poser des questions. Pourquoi un tel réveil ? Pourquoi à ce moment précis ? Sans doute pour sauver la France du péril sarkozyste qui a dévasté notre beau pays pendant cinq ans. Se contenter d’écrire ça vaut tous les éclats de rire, quand on pense à la ferveur de Hirsch et d’Amara rejoignant le gouvernement. Mais la complaisance avec laquelle la presse traite ces deux anciens sous-ministres ou assimilés est magnifique.
L’Abbé Hirsch d’abord. Dans une interview au Monde il ne se justifie pas, il est au-dessus de ce genre d’exercice, bien sûr. Il explique pour qui il va voter: « Pour les autres, qui s’interrogent et souhaitent que les combats que je mène soient prolongés, il est parfois nécessaire de leur préciser que j’ai l’intention de voter pour François Hollande, qui a bien voulu me demander régulièrement mon avis depuis un an sur les questions de jeunesse, de pauvreté, de lutte contre les conflits d’intérêts, de régulation des hauts revenus et sur une croissance accélérée du service civique, autant de sujets-clés à mes yeux. »
Notons donc que c’est au nom de « ses combats » pour les pauvres, que Hirsch votera Hollande. Fadela Amara, secrétaire d’Etat à la ville entre 2007 et 2010, explique qu’elle avait déjà dit qu’elle voterait Hollande s’il se libérait de sa charge de premier secrétaire du PS : parce que « libéré de cette charge il se donne la possibilité du champ des possibles », sic. La vidéo sur le site de Libé vaut son pesant de bulletins blancs.
A la réflexion, tous ces gens qui votent Hollande après avoir été dans les petits papiers de l’ouverture à gauche de Sarkozy feraient mieux de ne pas chercher de justifications. Elles sont toutes plus pourries les unes que les autres. Et, en l’espèce, j’ai du mal à considérer que la droite, qui aujourd’hui crie aux traîtres, a tort. Déjà à l’époque, l’UMP avait mal pris que des postes au gouvernement soient ménagés pour des gens considérés comme peu utiles, repoussoirs pour l’électorat de droite tradi et peu fiables. Si ça se trouve, ceux qui râlaient contre l’ouverture avaient raison. Mais demandez à Cassandre Devedjian si d’avoir trop tôt raison en politique, c’est vraiment la bonne pioche …
Le tableau des rats qui quittent le navire (attention ceci n’est pas une attaque personnelle, ce n’est qu’une vieille expression française, lesquelles ne tombent pas encore sous le coup de la loi) n’est jamais très joli à regarder, surtout quand on les accueille. Surtout quand on pense au sort médiatique qui avait été réservé par les éditocrates à Eric Besson, tout d’abord embringué à gauche dans la folle campagne de Ségolène Royal, puis parti avec armes et bagages à l’UMP avec l’image du traître shakespearien. A tout prendre je crois que je préfère cette traîtrise-là, qui a quand même plus à voir avec une folie bien charpentée aux arrangements à J-5 des bonnes consciences de la gauche humaniste…
Bref, tout cela est plutôt de mauvais augure pour le candidat déjà-vainqueur du PS. Comme l’explique le perspicace politologue de la Gauche Pop Laurent Bouvet dans Causeur n°46, ce n’est pas tout pour Hollande d’être élu, encore faut-il voir sur quelles bases il le sera. Et moi, d’imaginer qu’il se sente obligé de demander son avis à Martin Hirsch, franchement, ça me fout la trouille. Il n’y a donc personne à gauche de compétent pour penser la pauvreté, la misère et la manière de résoudre ces problèmes? Je ne vais pas rêver qu’il y ait des pauvres au PS, non. Mais au moins des gens qui en connaissent, peut-être ?
Tendez l’oreille, les amis. N’entendez-vous pas, au loin, Fadela Amara se proposer à Hollande pour l’aider à marshalliser les banlieues ou Aillagon rêvant de démocratiser la culture encore plus mieux que David Kessler, sans oublier Lepage prête à faire don de sa personne et postuler au ministère des moulins à vents… Le changement, qu’on vous dit, c’est maintenant !
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