Je suis content pour François Hollande. Il a mis le temps, mais il a enfin tenu sa promesse la plus importante. C’était même plus fort qu’une promesse, c’était une profession de foi : être normal. Bien sûr, il y a eu un malentendu avec les Français. Quand François Hollande parlait d’être un président normal, ces ballots d’électeurs avait compris « normal comme eux » alors que François Hollande pensait « normal comme les autres Présidents de la République avant lui ».
Mais depuis la conférence de presse du 14 janvier, François Hollande a mis les choses au point. Le 14 janvier 2014, pour Hollande, c’est un peu le 18 juin 40 pour De Gaulle. On rompt avec son passé, on se jette dans la grande aventure. De Gaulle rompait avec son passé d’Action Française et appelait à résister au nazisme en incarnant la France Libre. François Hollande a rompu avec son passé de centre-gauche et appeler à résister à l’Etat-Providence en incarnant une France Libérale.
Oui, François Hollande est enfin devenu normal. On ne s’en est pas rendu compte, mais jusque-là, il était exceptionnel, comme président. Il était encore vaguement de gauche. Et que je te parle de lutter contre la finance, et que je te propose des emplois aidés, et que je te promets de séparer les activités des banques entre ce qui est utile à l’économie réelle et la spéculation… N’importe quoi, vraiment. On se retrouvait dans une situation pré-nord-coréenne avec tout ça. Sans compter la chasse aux riches qui sont le sel de la terre. Non sérieusement, comment pouvait-il prétendre être normal avec ce communisme rampant dans son discours, ces reliquats moisis de socialisme dans son action. ?
Parce que c’est quoi, en fait, un président normal, aujourd’hui ? Eh bien, c’est un président, ou un chef de gouvernement li-bé-ral. Peu importe quelle étiquette politique il choisit pour faire le contrôleur de gestion au service du tout-marché, le principal, c’est qu’il soit li-bé-ral. Il peut, comme Sarkozy en son temps, Merkel et Cameron aujourd’hui l’assumer clairement en se déclarant de droite ou conservateur. Il peut aussi dire qu’il est de gauche. De gauche comme l’ont été Blair et Schroeder ou comme l’est aujourd’hui François Hollande. C’est-à-dire tout aussi libéral mais avec des réformes sociétales qui font persister l’illusion comme le mariage gay qui concernait 1% de la population en comptant large mais qui en a divisé le pays pendant des mois, histoire de faire passer la loi sur la flexibilité et le crédit d’impôts aux entreprises.
De toute façon, ça n’a aucune importance puisque dès que le système électoral le permet, les libéraux qui ont choisi l’étiquette de droite et les libéraux qui ont choisi l’étiquette de gauche se mettent à gouverner ensemble, ce qui est logique puisqu’ils pensent la même chose et que la seule alternative à leur politique, ce sont d’abominables populismes qui sentent sous les bras ou des gauchismes inconséquents qui se vautrent dans la démagogie utopique.
Pour François Hollande, évidemment, le travail a un « coût » qu’il faut baisser. On ne parle jamais du coût du capital, et pourtant les ouvriers délocalisés pour des raisons de rendement actionnarial pourraient vous en raconter sur le sujet. Il y a aussi les « charges », qui sont trop lourdes pour que les patrons embauchent. On les baisse pourtant, ces fameuses « charges », depuis au moins 1983. Mais ça n’a pas empêché le chômage de masse. C’est sans doute qu’on ne les avait pas assez baissées. Si la même recette rate pendant trente ans, le libéral ne se remet pas en question, il pense que c’est parce qu’on ne va pas assez loin.
Mais pour être un président normal, enfin normal, il ne suffit pas d’être libéral, surtout en France. Il faut aussi renier ses promesses. Cocufier son électorat de manière éhontée, froide, cynique. La conférence de presse du 14 janvier, à ce titre, a été spectaculaire de normalité. La dernière fois que l’on avait vu un président se renier à ce point-là en direct, c’était Chirac à l’automne 95. Vous vous souvenez, il s’était pratiquement fait élire sur un programme guévariste, Chirac, en mai 95 : « la fiche de paye n’est pas l’ennemi de l’emploi », « la fracture sociale », tout ça…Et hop, le temps d’un entretien télévisé, le discours change du tout au tout, on redevient européen et libéral, bref…normal.
Dans le cas de François Hollande, le fait qu’il ait laissé tombé ses derniers oripeaux de gauche, les journalistes économiques appellent ça « un virage social-démocrate assumé. » Décidément, les mots n’ont plus aucun sens. Si un social-démocrate, un vrai, un historique, façon Olof Palme, avait été au pouvoir en France aujourd’hui, Pierre Gattaz, le patron du Medef, aurait hurlé au goulag à l’issue de la conférence de presse plutôt que d’avoir eu du mal à se retenir pour ne pas exploser de rire devant les micros en feignant un optimisme raisonnable sur les intentions du président.
Dernier point, les femmes, évidemment. La maîtresse cachée qui ne l’est plus, la régulière à l’Elysée, bref une normalité assumée et le retour pour François Hollande à une pratique qui a commencé avec les rois de France. Seulement, les rois de France avaient une supériorité, ils ne confondaient par leurs deux corps comme l’a montré Kantorowicz, c’est à dire leur corps politique, symbolique et leur corps terrestre, charnel. Mais depuis Sarkozy, spécialiste des discours sentimentaux à l’Elysée, « Carla et moi, c’est du sérieux », les deux corps n’en font plus qu’un. C’est pour ça que les présidents s’usent plus vite.
On dira que c’est de la faute à la surexposition médiatique même si du côté de Hollande, on aurait pu éviter de se faire poisser en scooter la nuit. Oui, on dira que c’est de la faute aux médias, c’est plus simple. Ça aussi, se défausser sur tout et n’importe quoi, les médias, la conjoncture, la météo, les Roms ou un comique antisémite, c’est devenu très normal, pour un président…
*Photo : 00673118_000037. WITT/SIPA.
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