François-Xavier Ajavon nous avait promis des éléments de langage ciselés, nous voilà servis. J’ai beau n’avoir aucun grief personnel contre François Hollande, son intervention « en direct avec les Français » m’a fait copieusement suer – comme on dit dans mon cher 16e. Hier soir, sur TF1, une assistante sociale ou un conseiller Pôle emploi grimé en monarque républicain donnait gage sur gage aux victimes de la société française qui se suivaient sans se ressembler : chef d’entreprise excédé par les charges sociales, jeune chômeur marseillais sous-diplômé, « senior » sans-emploi du Nord, etc.
Au lieu des fameuses petites phrases que le plumitif retient en pareille circonstance, j’ai noté quelques annonces sonnantes et trébuchantes en noyant mon ennui dans le chocolat Valrhona. En vrac :
– François Hollande ne se représentera pas si le chômage ne décroît pas d’ici 2017. Sur iTélé, les acolytes d’Olivier Galzi ont fait l’exégèse de cette phrase : pour peu que l’emploi progresse d’un pouce en deux ans et demi, Hollande remettra son mandat en jeu. Dommage pour les Valls et Montebourg qui auraient pu jouer la carte d’une gauche alternative en avançant l’argument franchement discutable du « j’avais les mains liés, on m’a empêché d’agir… » Le démocrate que je suis ne méjuge pas l’audace présidentielle; après tout, c’est au pied du mur que l’on voit le maçon, et on ne peut dresser un bilan présidentiel qu’au bout de cinq ans, par voie électorale. Les cris d’orfraie de la droite morale paraissent d’autant plus ridicules. Chers opposants, gardez vos appels à la démission pour le prochain quinquennat, qu’on rigole…
– Les chômeurs en fin de (non)-carrière arrivés à l’âge de la retraite toucheront de nouveau une allocation. Enfin, presque. Cette mesure riquiqui concerne « les personnes qui ont toutes leurs annuités, qui ont plus de 60 ans et qui ne trouveront plus l’emploi jusqu’à 62 ans ». Le mythe du retour de la retraite à 60 ans a fait des petits. Avec le PS, comme hier Sarkozy, qui annula cette prestation sociale, n’oublions jamais de lire les détails écrits en pattes de mouche. Faute de pouvoir résorber le chômage des vieux, on posera donc un pansement sur une jambe de lépreux.
– Lesdits « seniors » auront désormais accès à un nouveau contrat aidé afin qu’ils puissent compléter leurs annuités de cotisation. Toute contradiction avec les deux annonces précédentes n’est pas fortuite : il faut soigner les vieux, non seulement parce qu’ils sont nombreux, mais parce qu’ils résistent encore et toujours au vote Front national, contrairement à ces ingrats de jeunes boutonneux que le Parti socialiste célèbre à longueur de Fête de la musique…
– 15 000 « emplois d’avenir » supplémentaires seront néanmoins proposés aux « jeunes ». En politique un « jeune » habite la banlieue, vote à gauche et représente une chance pour la France. La preuve, le gouvernement voudrait confier à des « jeunes » sans diplômes 15 000 emplois « verts », « transition énergétique » oblige. Conformément à l’esprit technophile de l’industrie verte, pourquoi ne pas créer des postes de contrôleurs aériens pour réguler le trafic des drones au-dessus de nos centrales nucléaires hors d’âge ? Ou payer des « jeunes » à expirer près des champs d’éoliennes pour que Mme Michu puisse utiliser son grille-pain sans faire exploser Fessenheim ? Notre ministre de l’Environnement Ségolène Royal rêverait même d’affecter une brigade spéciale de « jeunes » au raccompagnement des gardiennes de centrales chez elles, histoire d’éviter les agressions machistes. Ou, plus exactement, de les circonscrire au domicile des intéressées, ce qui est tout de même plus propre.
– Les impôts n’augmenteront plus l’an prochain. Même engagement que l’an dernier. Mais vous savez ce que disait un illustre Corse des promesses…
– J’ai gardé le meilleur pour la fin : chaque élève de 5e se verra offrir une tablette numérique à l’horizon 2016. Ouf, voilà messieurs Finkielkraut et Brighelli rassurés, la faillite de l’école n’aura pas lieu. L’orthographe, le calcul, la syntaxe et la culture générale pourront continuer de dégringoler, avec la tablette magique, ce sera frissons tactiles et langage sms pour tous. Inutile de pleurer sur le lait renversé, la surdouée Najat Vallaud-Belkacem et moi-même donnons raison aux plus progressistes de nos pédagogues. Le niveau monte, les études sont formelles : l’élève d’aujourd’hui se débrouille beaucoup mieux devant un écran que le petit chose de 1900. Et toc !
Bon, j’ai fait le tour. Que dire de plus ? Ah oui, le petit panel sociologique d’hier soir a définitivement ringardisé la téléréalité politique. Je préfère encore écouter les bons vieux débats entre briscards de la politique sans vraies gens ni jérémiades que d’assister au numéro de cascadeur du pauvre Hollande, obligé de jouer le Mc Gyver coincé au fonds du puits. Au risque de friser l’overdose, on a vu se déverser du pathos comme s’il en pleuvait. Même la néo-millionnaire Valérie Trierweiler a le petit cœur qui saigne, comme l’a concédé son ex interrogé par l’une des rares cartes de presse du plateau.
Le spectacle achevé, chacun éteint le poste avant de lire Merci pour ce moment. Sur tablette, bien sûr.
*Photo : WITT/SIPA. 00697410_000001.
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