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Hollande régresse


Hollande régresse

hollande conseil constitutionnel

Si l’on reprend l’histoire de la Ve république, on constate qu’il est parfois regrettable, mais en tout cas très habituel, qu’un président en début de mandat envisage de réviser la constitution. En somme, il était assez normal que François Hollande se laisse tenter à son tour, comme il s’en est expliqué le 7 janvier lors de ses voeux au Conseil constitutionnel. « J’entends, a-t-il alors déclaré, mettre fin au statut de membre de droit du Conseil Constitutionnel des anciens présidents de la République. Je proposerai donc d’y mettre un terme mais uniquement pour l’avenir ». Par ailleurs, il a évoqué, pêle-mêle, la consolidation de l’indépendance du Conseil supérieur de la magistrature, la suppression de la Cour de justice de la République, déclarant en revanche avoir renoncé  à l’idée du « parrainage citoyen » des candidats à la présidentielle.  Enfin, toujours très normalement, notre président normal a émis le souhait « que ces dispositions soient adoptées par le Parlement réuni en Congrès, dans les mois qui viennent ».

Soyons honnêtes : la plupart de ces propositions – et notamment la plus emblématique d’entre elles, la suppression des membres de droit du Conseil constitutionnel -, apparaît techniquement pertinente. En vertu de l’actuel article 56 alinéa 2 de la constitution, font de droit partie à vie du Conseil constitutionnel . Cette règle avait été instituée en 1958 pour des raisons à la fois conjoncturelles (fournir au président Coty, qui s’était obligeamment retiré devant De Gaulle, une fonction au sein de l’État), et politiques (le prestige de la fonction présidentielle exigeant que ses anciens titulaires ne se retrouvent pas à la rue… ). À l’époque, elle paraissait d’ailleurs d’autant moins contestable que le Conseil constitutionnel était conçu comme un organe politique, principalement chargé d’éviter une rechute dans le régime d’assemblée. Cependant, petit à petit, la situation s’est très profondément modifiée,  et à la suite d’évolutions jurisprudentielles et de révisions constitutionnelles riches de conséquences, le Conseil constitutionnel s’est transformé en une véritable Cour, au même titre que ses homologues étrangers : répondant aux voeux du chef de l’État, Jean-Louis Debré, évoquait d’ailleurs, le 7 janvier dernier, “l’achèvement de la juridictionnalisation du Conseil”, réalisée depuis 2010.

Dans ce contexte profondément renouvelé, la présence d’anciens présidents au sein de cette haute juridiction s’avère donc incongrue – dans la mesure où, quelles que soient leurs compétences, ceux-ci ne sont pas au premier chef les juristes, mais des hommes d’État, des politiques qui statueront comme tels, ou seront soupçonnés de le faire. Du reste, détail significatif, les anciens présidents sont dispensés du serment que doivent prononcer les membres nommés du Conseil, lesquels  « jurent de bien et fidèlement remplir leurs fonctions, de les exercer en toute impartialité dans le respect de la Constitution et de garder le secret des délibérations et des votes et de ne prendre aucune position publique ». En somme, il était effectivement urgent de mettre fin à cette exception française. Ceci dit, même sur ce plan technique, la révision prévue par le président Hollande n’apparaît pas pleinement satisfaisante : d’abord, parce qu’elle ne traite pas le problème essentiel, celui de la désignation des membres nommés du Conseil ( lesquels peuvent parfaitement ne rien connaître au droit, et n’avoir été nommés que pour des raisons politiques), et ensuite, parce qu’elle n’aura pas d’effet rétroactif . Ce qui signifie que Nicolas Sarkozy devrait, sauf accident, pouvoir y siéger jusqu’en 2040, et donc, que la « normalisation juridictionnelle » du Conseil ne se trouvera pleinement réalisée que lorsque le petit-fils de Nathalie Kosciusko-Morizet sera en âge de briguer la présidence de la République.

Techniquement plausibles, ces propositions de révision apparaissent en revanche politiquement problématiques. Sur ce point, le patron du PS, Harlem Désir, abonné aux bévues à répétition, a involontairement levé le lièvre en déclarant que « la suppression de la présence » des ex-présidents au sein du Conseil mettait « fin à une aberration démocratique« . Ici, c’est l’adjectif qui passe mal : car si cette présence était effectivement devenue une aberration (juridique), elle restait en revanche parfaitement démocratique. Ceci dit, Désir n’est ici que la voix de son maître, puisque François Hollande, lors de ses voeux du 7 janvier, déclarait entendre « promouvoir la  démocratisation de nos institutions ». Le mot démocratie fait évidemment toujours chic dans un discours. Mais en réalité, on constate que toutes les révisions annoncées par le président vont dans le même sens, celui – osons l’affreux néologisme – d’une «  dé-démocratisation » du système.

Prenons, par exemple, celle que l’on vient d’évoquer, la suppression des membres de droit du Conseil constitutionnel : actuellement, les Français, lorsqu’ils procèdent à l’élection du président de la république au suffrage universel, désignent non seulement le prochain chef de l’État, mais aussi une personnalité dont ils savent qu’elle deviendra membre de droit du Conseil constitutionnel. Ces membres de droit sont donc, en quelque sorte, élus par le peuple à la fonction qu’ils vont occuper. Qu’il s’agisse d’une situation peu satisfaisante au regard des principes d’impartialité et de neutralité  de la justice, nul n’en disconviendra : pour autant, la procédure n’en est pas moins démocratique. Plus démocratique, en tout cas, que la désignation des membres nommés, dont le rapport avec le suffrage universel est par définition beaucoup moins direct…

Et il en va de même des autres révisions annoncées, comme la suppression de la Cour de justice de la république. Les ministres, lorsqu’ils sont soupçonnés d’avoir accompli dans l’exercice de leurs fonctions des actes qualifiés crimes ou délits, relèvent actuellement de cette Cour de justice, composée de 15 juges, dont 12 parlementaires. La suppression de cette dernière entraînera donc la compétence des juridictions pénales ordinaires : ce qui, là encore, peut apparaître (juridiquement) plus satisfaisant –  même si la cour comporte actuellement trois magistrats issus de la Cour de Cassation, dont l’un est chargé de la présider-, mais n’en constitue pas moins une régression démocratique – les ministres se trouvant alors jugés par des magistrats ordinaires, dépourvus de toute légitimité démocratique propre, et non plus par des parlementaires élus devant lesquels ils sont par ailleurs politiquement responsables.

Dans ce contexte, on ne saurait s’étonner de la dernière annonce faite par le chef de l’État, relative à la question du parrainage pour l’élection présidentielle. La commission de rénovation et de déontologie de la vie publique présidée par Lionel Jospin avait préconisé en novembre dernier l’’instauration d’ « un parrainage citoyen« , avec au moins 150 000 signatures qui seraient restées anonymes : solution qui aurait permis de mettre fin à une situation intenable et scandaleuse, critiquée par l’ensemble des candidats à la dernière élection présidentielle. Or, malgré ses promesses, le président Hollande a préféré botter en touche pour une raison prétendument « pratique » sur laquelle il n’a pas souhaité s’appesantir : « S’agissant de la proposition relative au parrainage citoyen pour l’élection présidentielle, la concertation à laquelle j’ai procédé m’a finalement convaincu de la difficulté de sa mise en œuvre. » Et donc, de la brûlante nécessité de ne rien faire, jusqu’à la prochaine fois. En sera-t-il de même de ses autres promesses, et notamment, de l’introduction d’une dose de proportionnelle aux élections législatives ?

Au total, notre président envisage donc une révision à son image,  “social –libérale”,  techniquement défendable mais démocratiquement régressive : et pour rester logique avec lui-même, il entend y procéder, non par référendum, ce qui l’obligerait à s’expliquer devant le peuple, mais par la voie, plus balisée, moins périlleuse, moins démocratique mais tellement plus confortable, du congrès…

*Photo : Parti socialiste.



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est né en 1964. Il est professeur de droit public à l’université Paris Descartes, où il enseigne le droit constitutionnel et s’intéresse tout particulièrement à l’histoire des idées et des mentalités. Après avoir travaillé sur l’utopie et l’idée de progrès (L’invention du progrès, CNRS éditions, 2010), il a publié une Histoire de la politesse (2006), une Histoire du snobisme (2008) et plus récemment, Une histoire des best-sellers (élu par la rédaction du magazine Lire Meilleur livre d’histoire littéraire de l’année 2011).

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