«Moi professeur» et les lycéens qui ne sont pas Charlie


(Avec AFP) – Dans un surréaliste exercice de transformisme, François Hollande a revêtu le costume du prof de lycée pour dialoguer avec cinq lycéens de Thiais (Val-de-Marne), dimanche lors de l’émission « Le Supplément » sur Canal+. Un échange aux allures de télé-réalité, centré sur le polémiste Dieudonné et les juifs.

Décrétée « priorité » du quinquennat, la jeunesse était au centre des débats dimanche sur Canal+. Suivis une semaine durant par la chaîne, qui les montre notamment en train de débattre de l’attentat contre Charlie Hebdo et de la liberté d’expression, les cinq lycéens ont pris place, en fin d’émission, autour du chef de l’État.

Dans le reportage diffusé avant leur entrée en plateau, une lycéenne expliquait son refus d’être Charlie : « Quand Dieudonné a dit du mal des juifs, direct il a été attaqué en justice. Combien de fois ils ont dit du mal de l’islam et personne n’a rien dit. » Visiblement, pour elle, l’assassinat de 17 personnes n’est donc « rien » comparé à une amende, et les frères Kouachi ne sont « personne »… L’enseignement des poids et mesures laisserait-il à désirer ? Un autre balance : « C’est gros, quand même, le coup de la carte d’identité. Moi je pense que c’est un complot, c’est des gens qui veulent pas du musulman en France qui font ça. »

Le reportage se termine à une table de cafétéria, où Yacine singe la fameuse anaphore présidentielle en remplaçant « Moi président » par « Moi futur citoyen ». Sa toute dernière phrase mérite d’être entendue : « Moi futur citoyen, j’aimerais ne pas être dans la crainte pour mes jours, notre sécurité, quoi. »

Outre les « trucs à régler » comme « le chômage », rapidement évacués en fin de séquence, la conversation en plateau avec le président a donc quasi exclusivement tourné autour de trois sujets : les religions, les juifs et Dieudonné.

– Un lycéen pose d’emblée la question qui tue : « Doit-on se cacher de rire de Dieudonné ? Doit-on avoir honte d’aimer les spectacles de Dieudonné ? »

– M. Hollande : « On doit réfléchir. Ceux qui y vont rient. Mais qu’est-ce qui fait que l’on rit de ça ? »

« Parce que c’est marrant…, répond du tac-au-tac Nadia, qui se dit musulmane. Chacun a son opinion. Je vais faire une blague, ça va pas faire rire tout le monde, ça va faire rire certaines personnes et pas d’autres »

« Quand il se déguise en nazi et qu’il dit qu’il faut tuer des juifs, c’est drôle ? »

« C’est qu’une blague », rétorque Nadia. « C’est un personnage », précise Yacine. Et au sujet d’un autre de leurs camarades, qui s’était fait une moustache à la Hitler en cours d’Allemand, il avance : « Il se moque d’Hitler, il ne se moque pas des juifs. »

« S’il se moquait d’Hitler, ce ne serait pas un problème. S’il se moque des juifs qui justement ont échappé aux camps de la mort ou qui sont morts dans ces chambres à gaz, là, c’est une apologie de la haine », recadre le chef de l’État qui croit qu’on parle encore de Dieudonné. Puis il rappelle qu’« il n’y a pas eu que le génocide des juifs » et évoque le génocide arménien de 1915. Nadia grimace…

« Mais on parle plus des juifs », assure-t-elle, visiblement chiffonnée.

« On en parle parce qu’il y a eu six millions » de morts, explique le professeur-président.

« Une mort, ça reste une mort », objecte Yacine. Nadia renchérit : « Qu’il y en ait un ou cent qui meurent, c’est pareil. »

« Ce n’est pas pareil. Qu’est-ce que c’était que la Solution finale ? De les tuer tous, de les exterminer, de faire qu’il n’en reste plus un, qu’on ne puisse même pas trouver leurs cadavres, qu’on élimine une partie de l’humanité. C’est ça qui était en cause. C’est pour cela qu’on soit juif, chrétien, musulman ou rien du tout, on doit avoir ce respect par rapport à ce qui s’est produit. »

S’ensuit un débat sur l’enseignement de l’histoire des religions à l’école. Nadia regrette qu’« on étudie le judaïsme à travers les conflits ». Et Lucie admet : « Le judaïsme, je ne me souviens plus du tout de mon cours ». Dès le reportage dans leur lycée, un autre avait déjà confié : « On parle surtout des conflits entre les religions, on n’apprend pas leur histoire, on n’essaie pas de les comprendre. »

A entendre ces jeunes gens badiner avec le Président, on se dit que l’enseignement de la différence entre kalachnikov et caricature nécessiterait aussi, sans doute, quelques heures de cours supplémentaires… donnés par un vrai prof armé d’une craie.



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est journaliste.

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