Après la Bérézina des départementales, les temps sont difficiles pour le Parti socialiste et le gouvernement. François Hollande s’est donc prêté à l’exercice de la confession et de l’interview sur mesure afin de rallier électeurs et frondeurs à son étendard. À deux ans des élections présidentielles, avec un PS à 13 % et un Front national à 25% aux dernières élections, l’exercice ne tient plus de l’exploit mais du miracle. C’est sans surprise que l’on a vu dimanche François Hollande s’adresser avant tout à l’électorat qui le soutient encore, c’est-à dire Paris intra-muros, et aux futurs électeurs dont les convictions ou l’indifférence pèseront fortement dans la balance : les jeunes, et plus précisément ceux qui voteront, ou pas, dans deux ans.
La forme en dit long sur le fond et sur les priorités du futur président sortant Hollande. Lui, déjà candidat, a choisi Le Supplément, talk-show animé par l’incisive Maïtena Biraben, entourée d’une collection de chroniqueurs jeunes, branchés et très parisiens. Du mini-sujet sur la haute-couture et les tailleurs présidentiels aux incursions dans les coulisses des réunions de travail filmés à la manière d’une mauvaise télé-réalité, en passant par l’impertinence très convenue de Cyril Eldin ou la poussive « bio interdite » de Vincent Dedienne, on navigue entre le Faubourg Saint-Honoré et les Bains-Douches, entre confession élyséenne et journalisme people. Le « président normal » a choisi pour son retour sur le devant de la scène de se changer en « président Canal ».
Les sujets proposés mettent soigneusement en avant les succès du Rafale et la posture de chef des armées de François Hollande et ne se départissent jamais d’un ton sentencieux et de l’impertinence docile et mollassonne devenue la marque de fabrique de Canal +. On suit François Hollande en déplacement avec Fleur Pellerin en hélicoptère Puma pour l’inauguration de la grotte Chauvet. On suit les paras et légionnaires français en opération au Niger et l’on a le plaisir d’entendre Jean-Yves Le Drian commenter le contrat Rafale avec l’Inde par un retentissant : « Moi, je veux de l’oseille ! »
François Hollande n’est pour autant pas complètement en terrain conquis sur le plateau du Supplément et l’interview de Maïtena Biraben ne ménage pas toujours le président Hollande. « Jacques Chirac avait refusé de débattre avec Jean-Marie Le Pen en 2002. Est-ce que vous accepterez de débattre avec Marine Le Pen si elle est présente au second tour ? », questionne Maïtena Biraben. « Je ne suis pas en position de répondre », répond Hollande. « Vous n’êtes pour le moment pas en position d’être au deuxième tour », lui rétorque la journaliste.
L’exercice médiatique, deux heures d’interview durant lesquelles François Hollande est gentiment bousculé, entrecoupées de mini-reportages mettant en avant notamment le rôle de diplomate du président français face à Poutine dont le mandat est qualifié de « porno d’ego monumental », se prête parfaitement à la stratégie de François Hollande. « On vous connaît mal », lance la présentatrice. « Je suis venu pour ça », répond François Hollande. Le président « de tous les Français » a beau valoriser l’image d’un président simple et proche du populo, ce n’est cependant pas à tous les Français qu’il s’adresse mais à un électorat plus resserré. En cela, rien n’a changé depuis le débat de l’entre-deux tour avec Nicolas Sarkozy au cours duquel François Hollande s’était posé avant tout en rassembleur…de la gauche.
Le jugement porté par François Hollande sur les électeurs transfuges passés du PS au FN dans une petite ville ouvrière du Nord-Pas-de-Calais ne trahit pas la stratégie que feu Olivier Ferrand, ancien directeur de Terra Nova, avait parfaitement exprimée : séduire les jeunes, les immigrés et les « bobos »…et laisser tomber les classes populaires déjà gagnées par le Front national. La condescendance vis-à-vis des électeurs FN qui s’expriment au micro des journalistes de Canal + est à peine voilée. « Ils vivent leur vote douloureusement. Ils sentent qu’il y a une transgression. » « Ils ne croient plus au système démocratique. » Autant dire que pour François Hollande, ceux-là sont définitivement perdus pour la société, ou du moins pour le Parti Socialiste. En plus d’être anti-démocrate, voilà un électorat auquel on ne se propose de faire la charité qu’avec un pince-nez tant il paraît ingrat : « Rien d’autre ne comptera sauf les sous. Ils les comptent un à un. » « Ils sont au RSA et ils se plaignent de l’assistanat. » Le programme économique du FN ne semble, il est vrai, pas tellement effrayer François Hollande qui garde peut-être en mémoire l’indigente prestation de Florian Philippot sur les questions économiques face à un Emmanuel Macron très offensif. « Marine Le Pen parle comme un tract communiste des années 70 », conclut-il. Les communistes ont bien entendu apprécié la comparaison. À ce tarif-là, on comprend qu’Emmanuel Macron interviewé dans une courte séquence par Cyril Eldin se sente d’humeur à reprendre en chœur L’Eté indien. Il chante pas mal d’ailleurs, Macron. Si le prochain remaniement lui est défavorable, il aura toutes ses chances à The Voice.
Voilà donc un François Hollande installé en chef de guerre et chef de la diplomatie en début d’émission, un Hollande parlant anglais et séduisant les chefs d’entreprise américains raides dingues de sa chienne Philae, un Hollande détendu caressé dans le sens des lunettes par des chroniqueurs branchés, obséquieux et parfaitement ennuyeux, un Hollande moderne à tu et à toi avec Cohn-Bendit à l’Elysée et surtout un Hollande qui fait les yeux doux au parti éternellement courtisé par les politiques en manque de deuxième souffle : celui de la jeunesse.
C’est donc très logiquement que l’émission se conclut par un court sujet sur la laïcité à l’école et par l’irruption d’un quarteron de lycéens pas encore au chômage qui posent d’ailleurs quelques questions assez intéressantes au président de la République. Pourquoi, dans les programmes scolaires, le christianisme et l’Islam tiennent-ils une si grande place tandis que le judaïsme objet de tous les fantasmes dieudonnistes n’est quasiment pas présenté, hormis « à travers les conflits » comme le précise une élève ? La situation ne risque pas de s’arranger. Dans les nouveaux programmes, en matière d’histoire des religions et des civilisations, l’islam se taille la part du lion, le christianisme se fait plus discret et le judaïsme reste un grand absent. Voilà un terrain sur lequel l’Education Nationale n’a pas encore décidé de faire réellement concurrence à internet… C’est d’ailleurs un des lycéens présents qui réussit bien mieux que François Hollande ou n’importe lequel des journalistes présents à définir la notion de laïcité. « Pour moi la religion n’a pas sa place dans l’Education Nationale. Si je suis religieux, c’est pour moi et je n’ai pas besoin de savoir qui pratique quelle religion. » Voilà quatre mois de réflexion gouvernementale sur la laïcité à l’école depuis Charlie résumés et balayés en deux phrases. A quoi va bien pouvoir s’occuper désormais Najat Vallaud-Belkacem ? Non content de gâcher le métier de la ministre, le petit impénitent confie sur le plateau son intention de quitter la France pour aller chercher du travail ailleurs. Décidément, les jeunes ne respectent rien.
« La jeunesse c’est l’optimisme » ! répète néanmoins François Hollande. Il ne s’agirait pas de voir le débat devenir trop sérieux et l’on se réfugie donc bien vite derrière quelques éléments de langage assez insipides pour contenter tout le monde avec cependant un petit trébuchement assez énigmatique de notre président concluant son exercice promettant « d’avancer en ne retournant pas sa tête derrière ». C’est en effet plus prudent. Avec les perspectives électorales du Parti Socialiste, la dernière chose à faire serait de risquer un coup du lapin fatal en jetant un trop prompt regard en arrière sur les trois premières années d’une présidence qui rarement aura été autant contestée dans l’histoire de la Cinquième république. « La France, ce n’est pas la nostalgie », conclut François Hollande. Avec un bilan comme celui-ci, il est en effet préférable de songer à l’avenir. À ce propos, « vous remaniez en juin ? » lui lance Maïtena Biraben en guise de mot de la fin. Décidément, on n’est tranquille nulle part.
*Photo : Philippe Wojazer/AP/SIPA. AP21723170_000006.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !