Que de chemin parcouru depuis le 9 mai 2011, quelques jours avant le Sofitelgate, lorsque François Hollande était de passage à Besançon au début de sa campagne pour la primaire socialiste. A douze jours du premier tour de l’élection présidentielle, il faisait son retour dans la vieille ville espagnole chère à Victor Hugo, non plus devant deux cent-cinquante personnes mais plusieurs milliers.
« Rester attentif, concentré. Avoir de la force, de l’enthousiasme, de la cohérence ». Un entraîneur d’une équipe de foot favorite pour le titre n’aurait pas dit autre chose dans une conférence de presse à quelques encablures de la fin d’un championnat. Ce vocabulaire sportif, je ne l’ai pourtant pas recueilli de la bouche de Carlo Ancelotti ou de René Girard[1. Respectivement entraîneurs du PSG et de Montpellier.] mais de Manuel Valls, directeur de la communication de la campagne de François Hollande. Est-ce Valls, en bon supporteur du Barça, qui lui a conseillé d’abandonner cette tactique inspirée du catenaccio italien, ultra-défensive, qui se contente de repousser patiemment les attaques désordonnées de l’adversaire en dégageant dans les tribunes autant qu’il le faut ? Si c’est le cas, le candidat lui devra une fière chandelle car il semble avoir retrouvé un peu de ce qui avait fait son succès en janvier.
En ouverture de la réunion, après le défilé des féodaux locaux, maire, présidents de Conseil général et régional, c’est Jean-Pierre Chevènement, lui aussi un local de l’étape qui jouait sa partition. On a peine à croire qu’il était encore candidat il y a quelques semaines, bien décidé à faire bouger les lignes. Il ne les aura guère fait bouger, ces fameuses lignes. Certes, il dénonce le Traité Merkozy avec force et dénonce la politique du sortant, le qualifiant de « médecin de Molière ». Certes, il délivre un brevet d’homme d’Etat à son cadet sous les applaudissements polis de la salle. Mais on a furieusement envie de lui demander -de lui crier, même- à cet apôtre talentueux du non à Maastricht et du TCE : « Mais que fichez-vous donc là, à soutenir l’ancien secrétaire des clubs deloristes Témoins ? » Je n’en ferai rien. Les jeunes socialistes doivent se le demander, aussi, puisqu’ils le pressent, avec un brouhaha désagréable et quelques « François, François » à finir son discours. L’impolitesse, c’est maintenant !
C’est Pierre Moscovici qui lui succède à la tribune. Le directeur de campagne, qui est aussi président de la communauté d’agglomération de Montbéliard, située à quatre-vingts kilomètres au nord-est, fait office de chauffeur de salle avec un sarkobashing qui aurait été fort réussi sans un lapsus -révélateur ?- guère charitable pour celui qui l’a précédé derrière le pupitre : souhaitant évoquer le bilan de Nicolas Sarkozy, il parle de celui de « Jean-Pierre Ch… », avant de jouer les champions d’aviron et et de rappeler combien l’action de l’ancien maire de Belfort fut bonne pour la France. Mais que fichez-vous là, cher Jean-Pierre ?
C’est au candidat de prendre la parole, et les calicots s’agitent, dont l’un comporte l’amusante inscription « Doubs Hollande ». Pas sûr que ce jeu de mot évoquant à la fois la douceur du candidat et le département qui l’accueille soit forcément bien choisi. Par esprit d’escalier, le « doux » s’oppose au « dur », lequel s’oppose au « mou ». Exactement, l’image que veulent donner les adversaires de François Hollande, Martine Aubry hier dans la primaire socialiste, Nicolas Sarkozy aujourd’hui. L’enthousiasme de la salle, pourtant, est palpable, même devant l’écran géant où ont été relégués ceux qui, comme moi, n’ont pas pu entrer dans la salle où s’exprime le candidat socialiste. Figure imposée, il rend hommage à Besançon et aux noms qui l’ont liée à la gauche française. C’est à ce moment là que le préposé à la reproduction écrite du discours sur l’écran géant, pendant que le candidat le prononce, croit bon d’écrire « le combat d’Elipe » alors que Hollande évoque le combat des Lip. L’inculture, c’est maintenant ! Offensif, le candidat égrène les mesures qu’il prendra lors de ses premiers mois à la tête de l’Etat si les Français lui font confiance. « Je suis prêt » confie t-il, avant de se livrer à un long réquisitoire de l’action de son adversaire favori auquel tous » les leaders conservateurs européens ont donné l’onction, si ce n’est l’extrême-onction. » Sans doute agacé par la récente arrivée de Nicolas Sarkozy sur le terrain de l’humour de tribune, Hollande revient à ses premières amours d’orateur et se moque de son adversaire « bling-bling, certes, mais surtout zig-zag ». Il sait aussi mêler cruauté à gravité lorsqu’il dit ne pas avoir de leçons de laïcité à prendre de la part du ministre de l’Intérieur qui avait « prononcé un discours devant l’UOIF avec hommes d’un côté, et femmes de l’autre. » Nicolas Sarkozy sait désormais ce qui l’attendra lorsqu’il voudra titiller son adversaire sur les piscines de Martine Aubry lors du face-à-face traditionnel de l’entre-deux-tours. Hollande en appelle au patriotisme pour tancer ceux qui lui reprochent sa fameuse tranche à 75 %. Patrick Bruel n’est pas nommé, mais on y pense très fort. Bien involontairement, le champion de poker a rendu un fier service au candidat socialiste. Voilà des jours qu’on ne causait plus de la proposition symbolique de Hollande, mise au rencard par la montée de Jean-Luc Mélenchon. C’est lorsqu’il évoque le traité « Merkozy » que le candidat prononce une phrase qui mérite assurément d’être retenue. Ce traité, dit-il, il le renégociera « autant que possible ». Tiens, donc. Et si cette chère Angela lui avait déjà signifié le champ réduit du possible ? Et si, alors que ses diplomates présents à Paris l’avaient informée de la grande probabilité de la victoire de Hollande, la chancelière lui avait déjà fait passer le message qu’une renégociation cosmétique pourrait lui être concédée ? Qui a déjà vécu le maquillage du TCE en traité de Lisbonne a le droit de se méfier. François Hollande, sur ce coup là, fut le complice du Président qu’il a tant fustigé ce mardi soir.
Mais que fichiez-vous là, cher Jean-Pierre ?
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