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La défense aérienne ukrainienne restera-t-elle aussi efficace en 2023 qu'aujourd'hui?


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Un technicien russe vérifie un missile X-29 attaché à un chasseur-bombardier Su-34, lieu inconnu. Mikhail Voskresenskiy/SPU/SIPA 01078096_000020

La maîtrise du ciel est désormais l’enjeu principal des opérations.  


En ce début d’hiver, le rythme des évènements en Ukraine fait penser à une célèbre observation de Lénine : « Il y a des décennies où rien ne se passe et des semaines où des décennies se produisent ». Sur le terrain, les avancées rapides – russes d’abord, puis ukrainiennes depuis septembre – sont suivies de longues semaines voire des mois sans que les lignes du front ne changent significativement. Ainsi, la deuxième phase de la guerre (entre le retrait russe de la région de Kiev fin mars et le lancement de l’offensive ukrainienne à Kherson fin août) a été caractérisée par des gains de terrain limités et ce, malgré un recours massif à l’artillerie notamment du côté russe. Un déluge de feu (plus de 10 000 obus tirés par jour)  « statistique », (tir d’obus classiques sans capacité de guidage sur une cible invisible au tireur – pour toucher la cible, il faut tirer plusieurs obus) a provoqué des pertes importantes chez les Ukrainiens qui, selon l’aveu du président Zelenski lui-même, aurait perdu certaines semaines jusqu’à quelques centaines d’hommes par jour sans pour autant permettre aux forces russes d’accomplir des percées conséquentes ou de lancer une manœuvre interarmées vers les arrières de l’adversaire. Pour ne rien arranger, les stocks de munitions 152mm (le calibre soviétique) dans les dépôts ukrainiens ont diminué rapidement sans réelle possibilité de les renouveler. Il fallait donc passer aux canons compatibles avec les normes de l’OTAN, c’est-à-dire capables de tirer des 155mm.  

A cette « crise de l’artillerie » Kiev et ses alliées ont répondu, entre mai et août, par la livraison et l’intégration de systèmes d’artillerie de grande précision. L’idée étant de répondre à la quantité russe par la qualité occidentale (précision, contrôle du feu, davantage de portée) avec des systèmes comme le canon Caesar ou le lanceur de roquettes HIMARS. Contrairement aux systèmes « statistiques » des Russes, les armes de précision occidentales (munitions guidées ou autoguidées, presque chaque obus trouve sa cible) nécessitent moins de projectiles et consomment moins de moyens par cible touchée (beaucoup moins d’obus, moins de batteries engagées, moins de temps de tir). 

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L’arrivée du matériel de l’OTAN et des munitions occidentales sur le champ de bataille a permis aux Ukrainiens de changer la donne. Ils ont pu d’abord améliorer leur capacité à détruire les batteries d’artillerie ennemies et soulager leurs troupes dans les tranchées du front. Mais plus important encore, ce nouveau dispositif a permis à Kiev de lancer une campagne qu’on peut qualifier de « manœuvre par artillerie ». Au lieu de pénétrer le front russe avec un coup de « poing » de blindés et fantassins pour rompre les lignes de communication et détruire les postes de commandement, ainsi que les dépôts de carburant et les systèmes de défense aérienne à quelques dizaines de kilomètres dans la profondeur du dispositif, les Ukrainiens ont utilisé un mixe de munitions sol-sol de précision et de sabotage par des forces spéciales et partisans pour contourner les lignes ennemies par le haut. Le viaduc d’Antonivka, un pont traversant le Dniepr au sud de Kherson, est l’exemple type de cette façon de faire. 

Le 31 mai 2022, le Président Américain Joe Biden annonçait  l’envoi à l’Ukraine de systèmes lance-roquettes multiples M142 HIMARS et, le 23 juin, le ministre de la Défense ukrainien annonçait leur bonne réception. Les 19 et 20 juillet 2022, le pont d’Antinovka  (principal voie terrestre enjambant le Dniepr) a été endommagé grâce à des tirs ukrainiens de roquettes HIMARS. Incapables de le réparer, les Russes l’ont temporairement fermé au transport de marchandises. Le 26 juillet 2022, le pont a de nouveau subi de lourds dégâts à la suite de nouveaux tirs des HIMARS, ce qui a entraîné la fermeture du pont également au trafic de passagers. Il a fallu attendre le 23 août 2022 que les réparation du pont soient terminées et que celui-ci soit à nouveau utilisable par les forces russes. Cependant, le 25 août 2022, des images satellites ont montré pas moins de 16 trous de dommages à l’extrémité sud du pont, avec des véhicules faisant la queue des deux côtés. Pour pallier à cet engorgement, un service de ferry a été mis en place pour traverser le Dniepr ainsi qu’un nouveau ponton en cours de construction par les forces russes sur le côté est du pont. Le 29 août 2022, premier jour de la contre-offensive ukrainienne dans la région, le pont a de nouveau été attaqué. Début septembre, les autorités russes ont déclaré que le pont serait impraticable pour les voitures pendant des semaines.

C’est grâce à ce mode opératoire que les Ukrainiens ont obligé les Russes à se retirer de la rive droite du Dniepr. Sur une échelle plus grande, la manœuvre de Kherson, annoncée en juillet, a poussé les Russes à la faute sur le front au sud-est de Kharkiv, permettant aux Ukrainiens de frapper un secteur à découvert et mal défendu, provoquant ainsi la tombée de tout un pan du dispositif russe. Avec la reprise de la ville de Kherson début novembre, cette phase de la guerre est terminée.

Commence désormais une nouvelle phase où les Russes répondent aux munitions de précision à longue portée ukrainiennes par des missiles (c’est-à-dire des roquettes guidées) et drones (qu’on peut qualifier de munitions guidées lentes et capables de rôder au-dessus de la cible, choisissant le meilleur moment pour s’écraser sur elle). Les missiles russes, lancés essentiellement par des plateformes maritimes, des avions (comme les bombardiers Tupolev) et les drones de fabrication iranienne (Geranium) ont complètement redessiné les contours du conflit. Leur efficacité contre des cibles comme les centrales électriques et autres points névralgiques du système ukrainien de production et de distribution d’électricité est très grande. Quant aux drones, ils s’avèrent également très efficaces contre des cibles militaires qualitatives (artillerie de précision, systèmes de défense aérienne).

Dans l’ensemble se dessine  une nouvelle stratégie russe : affaiblir autant que faire se peut la défense aérienne ukrainienne afin de pouvoir remettre le VKS (l’armée de l’air et de l’espace russe) dans le jeu.  

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Le VKS est le grand absent de cette guerre, mais c’est un vrai joker que les Russes pourraient jouer s’ils arrivent à créer les conditions nécessaires pour son emploi. Car après ses succès des premiers jours (fin février) qui a permis la destruction des éléments fixes de la défense aérienne ukrainienne (radars, batteries de missiles, bases aériennes), les Ukrainiens ont su rapidement se réorganiser en construisant un système efficace basé sur des éléments mobiles. C’est ainsi que depuis mars 2022 le VKS ne maitrise pas le ciel ukrainien et ses pilotes ne peuvent pas attaquer efficacement les forces ukrainiennes au sol et perturber leurs lignes de communication.

En attaquant les infrastructures ukrainiennes de manière massive et continue, les Russes infligent évidemment une grande souffrance aux civils ukrainiens et obligent la défense aérienne ukrainienne à utiliser plus de munitions et à exposer ses radars, ses lanceurs et ses éléments de contrôle aux drones qui rôdent en embuscade dans les airs. Les Russes espèrent ainsi « ouvrir » en quelques semaines ou mois le ciel ukrainien à leur aviation amplifiant ainsi la destruction de la défense aérienne de Kiev et donc la marge de manœuvre du VKS. Et avec un  VKS plus présent, les forces russes pourraient avoir la clé de la prochaine grande campagne car en face les Ukrainiens ne pourraient pas, en quelques mois, construire une armée de l’air conséquente et encore moins le faire sous le bombardement. Après la première phase artillerie, nous sommes entrés en octobre 2022 dans une  phase défense aérienne.

Pour l’Ukraine, l’enjeu est vital. Kiev est arrivé à sortir de la crise de l’artillerie en intégrant rapidement plusieurs systèmes occidentaux. Or, cette manière de s’équiper a un prix. La multiplication des systèmes et des munitions est un cauchemar logistique (différentes formations, différentes pièces de rechange, différents techniciens), et le résultat est un taux très bas de disponibilité de systèmes et beaucoup de pannes graves. Si les Ukrainiens ont malgré tout réussi à percer et reconquérir des territoires à l’Est comme au Sud, c’est surtout grâce à des efforts considérables et à des capacités humaines extraordinaires. Cependant, avec la défense aérienne, c’est une tout autre paire de manches. Interdire son espace aérien à l’ennemi est une tâche colossale nécessitant la création d’un système intégré et parfaitement coordonné de moyens de détection, d’indentification et de tir capable d’intercepter à différentes altitudes. Plus encore, pour faire face à une attaque ennemie, le système centralisé doit réagir de manière coordonnée et assurer la redondance et la permanence de la couverture défensive du ciel.

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Pour  mieux comprendre, il faut se faire une idée de la menace : une force aérienne ennemie avec des avions de guerre électroniques, capables de lancer des lueurs (de fausses cibles pour « provoquer » la défense aérienne, la repérer et lui faire gaspiller des munitions) et de tirer des missiles antiradiation (dont le système de guidage cherche l’émetteur radar d’une batterie de défense aérienne). Pour éviter de prendre un missile dans l’antenne, il faut éteindre l’émetteur radar, mais sans radar l’aviation ennemie peut passer… C’est donc une doctrine complexe qu’il faut maîtriser et mettre en exécution. Les Ukrainiens se sont bien débrouillés avec leurs actuels systèmes de fabrication soviétique. Les remplacer par un ensemble de systèmes différents de fabrication occidentale est un défi gigantesque. A l’image  de l’artillerie soviétique des Ukrainiens au début de la guerre, le dispositif ukrainien de défense aérienne épuise ses munitions et se fragilise, et cela d’autant plus rapidement depuis l’offensive russe contre les infrastructures lancée mi-octobre. 

Derrière les images des Ukrainiens grelottant sans électricité ni eau courante, se cache l’enjeu principal des prochaines semaines de la guerre : l’Ukraine aura-t-elle en 2023 une défense aérienne aussi efficace que celle dont elle bénéficie aujourd’hui ? Si l’Ukraine n’y arrive pas, son ciel sera ouvert à l’aviation russe – une nouvelle donne qui pourrait changer le cours de la guerre.      



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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