Deux livres se penchent sur l’histoire juive. Un bon, Pirates juifs des Caraïbes d’Edward Kritzler, raconte l’histoire méconnue des Juifs ayant fui l’Inquisition sous les tropiques. Un mauvais, Berbères juifs, où l’universitaire Jonathan Cohen-Lacassagne exhume les racines berbères des séfarades. Objectif : déconstruire le « mythe » du peuple juif et délégitimer Israël.
J’ai lu récemment deux livres d’Histoire sur les Juifs, un bon et un mauvais.
Le premier est bon comme une photo de Moshe Dayan, avec son sourire vainqueur et son bandeau sur l’œil, celui qu’il a perdu dans un combat en Syrie contre les forces de Vichy ; bon comme une formule d’Ariel Sharon recevant une délégation de diplomates et de politiques américains incrédules et médusés, quand il leur explique que « le problème avec les Palestiniens, c’est qu’ils sont fourbes et sanguinaires » ; bon comme ce jeu sur les mots devenu une devise pour les insurgés du ghetto de Varsovie : « Aide-toi, le ciel ne t’aidera pas » ; bon comme la hache de Yehuda Lerner qui s’abat sur le gardien SS du camp de Sobibor, et tranche le fil du récit insoutenable de l’extermination ; bon comme la colère de Golda Meir qui après l’attentat des Jeux olympiques de Munich, conclut la réunion qui prépare une riposte par un ordre ultime donné à ses services : « Tuez-les tous ! » ; bon comme une manœuvre de Wladimir Jabotinsky pour faire exister un régiment de soldats juifs dans l’armée britannique ; bon comme le grondement rassurant d’un avion de chasse israélien qui survole Massada ; bon comme un poing serré sur fond d’étoile jaune ; bon comme la fronde de David, la force de Samson, la ruse de Judith, le stratagème d’Esther.
Traduit de l’anglais (États-Unis), Les Pirates juifs des Caraïbes est l’œuvre de l’historien Edward Kritzler qui, après être tombé sur le journal de bord d’un pirate anglais, a mené une enquête sur ces aventuriers qui ont fui l’Europe et les menaces de l’inquisition pour le Nouveau Monde à bord de navires tels que La Reine Esther ou Le Prophète Samuel, en quête de terres pour y vivre libres de pratiquer le judaïsme, mais pas seulement. Plus forts que le destin qui les condamnait à rester otages des nations sur le Vieux Continent, ils se soustraient à ce que l’antisionisme regrette aujourd’hui : le droit des peuples à disposer de leurs Juifs. On y découvre la présence de communautés fuyant l’avancée des conquêtes de l’Espagne très catholique, et le récit des aventures inattendues de ces Juifs qui cessèrent un jour de se cacher pour échapper aux bûchers, et d’être inoffensifs pour devenir offensifs.
Entre la Jamaïque et le nord du Brésil, ils s’établissent puis s’exilent au gré des tolérances fragiles et des persécutions promises. Ils jouent les monarchies européennes les unes contre les autres, espionnent et s’allient avec les ennemis de leurs ennemis, ils défendent leurs intérêts propres, leur survie et celle de leurs familles. Ils sont négociants, planteurs, chercheurs d’or, armateurs, boucaniers, flibustiers, ou pirates. Le livre livre les aventures des frères Abraham et Moïse Cohen Henriques, partis à la recherche de la mine d’or secrète de Christophe Colomb, ou du rabbin-pirate Samuel Pallache, qui montait à l’abordage jusqu’à l’âge de 60 ans. Ces pirates juifs semaient la terreur parmi les galions espagnols qu’ils chassaient pour le butin ou, quand ils tombaient sur des vaisseaux de l’Inquisition, pour venger des parents suppliciés.
Découvrir l’existence de ces personnages héroïques du XVIe siècle, à une époque et sous une latitude qui ont vu naître tant de Juifs financiers, assureurs, radiologues, dentistes, opticiens, ou pour les moins glorieux, avocats de la Licra, c’est comme une offensive de Tsahal, c’est bon pour le moral des Juifs.
Le deuxième livre, comme disait Laurent Baffie, c’est une merde, ne l’achetez pas. Le titre, Berbères juifs, est trompeur, on pourrait croire qu’il s’agit d’un livre d’Histoire. En fait, c’est surtout une thèse qu’aurait pu écrire Shlomo Sand (qui a signé la préface), mais qui est l’œuvre de Jonathan Cohen-Lacassagne, (un de ces universitaires relativistes et déconstructeurs qui défilent à la matinale de France Culture), publiée aux éditions La Fabrique, ce qui aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Qu’y apprend-on ? Que les Juifs du Maghreb ne descendent pas du roi Salomon, mais de Berbères convertis au monothéisme par les Phéniciens, qu’ils ne sont pas tous venus à pied de Judée avec leurs tentes et leurs chèvres, mais qu’ils seraient des espèces de pré-Arabes bien plus parents de Djamel Debbouze ou de Mohammed Merah que de David Ben Gourion ou d’Albert Einstein. On s’en doutait un peu, quand on pense à Michel Boujenah ou Gad Elmaleh.
C’est-à-dire que pour moi qui suis fils de Français d’Algérie, non seulement mes ancêtres n’étaient pas à Gergovie et à Alésia, mais ils n’ont pas connu non plus la destruction du Temple de Jérusalem ou la sortie d’Égypte. Le livre le prouve sur 160 pages. Comme après la lecture de la thèse de Shlomo Sand sur l’« invention » du peuple juif, on a envie de dire : et alors ? Quelle importance que l’on descende de descendants ou de convertis ? L’élection, un piège à cons ? N’est-ce pas encore plus beau si c’est faux ?
Qu’est-ce que ça peut bien faire à ces intellectuels de gauche que les Juifs du monde restent liés par un mythe alors qu’ils n’ont même pas le même sang ? Qu’est-ce que ça change si je suis un Juif d’adoption et de plébiscite renouvelé à chaque génération plutôt qu’un Juif de généalogie ? En quoi ça les dérange si, étant plus proche par les gènes d’un musulman algérien que d’un Français de souche, je me sens plus éloigné par la culture des frères Kouachi que des frères Lumière ?
Eh bien manifestement, ça les dérange. La survie de ce mythe du peuple juif aurait des conséquences politiques contestables. Ou « qu’il faudrait interroger », comme on dit dans le poste. Il semblerait que dans mon sionisme ou mon patriotisme, je me trompe de famille, qu’un désir louche d’être rattaché, au mépris de l’Histoire, au groupe des « dominants » m’empêcherait de prendre le parti des « opprimés », un Moïse qui aurait préféré être pharaon plutôt que solidaire des siens, esclaves en Égypte. Sans franchir le pas, on nous amène au bord du constat : ni un salaud ni un traître, mais pas loin, un adversaire politique qu’on doit disqualifier.
Déjà, la défense d’Israël par Alain Finkielkraut et son poids dans le débat sur le conflit israélo-palestinien gênaient Shlomo Sand dans son désir de fraterniser avec ses amis du Fatah et peut-être avec ceux du Hamas. Il y a un peu de cette idée-là dans sa préface, dont voici la conclusion : « Cette politique (la réticence de nombreux Juifs à être assimilés à des Berbères ou à des Arabes) occupe une place importante dans le rapport de nombre de Français juifs non seulement à leur passé historique, mais aussi pour ce qui a trait à leur relation à Israël, à son avenir en tant qu’État juif, et à la situation des citoyens arabes qui y vivent. »
Cette fois, on se demande si la dénonciation d’un antisémitisme arabo-musulman par Georges Bensoussan ne gênerait pas un peu Julien Cohen-Lacassagne dans sa carrière en Algérie. Après nous avoir expliqué que la civilisation judéo-chrétienne n’est qu’une fiction récente pour éclipser une civilisation judéo-arabe bien plus fondée, il nous refait le coup de l’idylle entre Juifs et Arabes rompue par le colon français, le décret Crémieux et par la faute des Juifs, ces arrivistes snobs qui ont choisi la France. Puis vient le récit d’un processus de mystification que mèneraient entre autres Benyamin Netanyahou (qui rappelle la connivence entre Hitler et Al Husseini, le grand mufti de Jérusalem) et Georges Bensoussan (à l’origine des Territoires perdus de la République), processus ou entreprise qui chercherait à atténuer les crimes génocidaires français et européens pour détourner l’attention sur les Arabes.
Je le cite : « Les propos du Premier ministre israélien traduisent une volonté de procéder à une révision de l’histoire en incriminant les Arabes pour en faire les propagateurs et les acteurs majeurs de l’antisémitisme. L’idée est d’atténuer la profondeur de l’antisémitisme européen, son histoire longue sur le continent, afin d’en charger les Arabes et le monde musulman. C’est ce qu’en France Georges Bensoussan se plaît à appeler l’antisémitisme nouveau qui serait d’après lui un antisémitisme d’importation, comprenez : venu du Maghreb ». Atténuer l’antisémitisme européen !!! Georges Bensoussan, l’historien de la Shoah appréciera.
Au dos du livre, j’apprends que monsieur Lacassagne est professeur d’histoire-géographie au lycée international d’Alger et qu’il collabore à la revue Orient XXI. On peut se demander s’il n’a pas à son insu et par l’exemple illustré une idée intéressante, mais pas très bonne pour le moral des Juifs : la dhimmitude volontaire.
Edward Kritzler, Les Pirates juifs des Caraïbes (trad. Alexandra Laignel-Lavastine), L’éclat/poche, 2017. (Première édition en français chez André Versaille éditeur, Bruxelles 2012 ; parution initiale : Jewish Pirates of the Caribbean, 2008.)
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Julien Cohen-Lacassagne, Berbères juifs, La fabrique éditions, 2020.
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