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Le classement de nos procureur·e·s préféré·e·s

Marlène Schiappa y aura-t-elle sa place?


Le classement de nos procureur·e·s préféré·e·s
Illustration: Jeanne d'Arc au bûcher. Enluminure du manuscrit de Martial d'Auvergne.

Comme au fond de moi, je suis un salaud, j’ai toujours eu une fascination pour les grands salauds de l’histoire. Parmi ceux-ci, il existe une catégorie à laquelle je voue une affection particulière: les grands procureurs, qui ont joué un rôle essentiel dans les régimes totalitaires en envoyant plein d’innocents à la mort par des procès iniques. Je souhaite leur manifester ici mon admiration.


J’aurais pu commencer par l’évêque Pierre Cauchon, qui envoya cette pauvre Jeanne d’Arc au bûcher. J’apprécie en effet beaucoup la manière dont il a persécuté cette pauvre fille au cours du procès de Rouen en 1431, utilisant sans vergogne tous les moyens de pression possible pour lui faire avouer des crimes imaginaires. Mais finalement, j’ai renoncé à le faire figurer dans ma galerie de portraits. D’abord parce que ce n’est pas vraiment un assassin de masse: il n’a pratiquement pas récidivé par la suite, se contentant de continuer à trahir la France au profit de son maître le Roi d’Angleterre. Et puis, le procès de Jeanne était mal fagoté: il n’a pas assez détruit sa victime par des pressions indignes et par la torture, et lui a laissé la possibilité de se défendre pendant les audiences, mettant ainsi en lumière l’iniquité de la procédure. Un travail d’amateur un peu bâclé, donc, qui réduit considérablement mon estime à son égard.

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Avec Torquemada, le grand inquisiteur espagnol, on a affaire à quelqu’un d’une autre trempe. D’abord, c’est un grand intellectuel, l’inventeur même de l’idée d’une inquisition religieuse mise au service de l’établissement d’un Etat totalitaire par l’élimination des déviants, hérétiques et autres juifs marranes. Et puis, il a mis lui-même la main à la pâte : sur 11000 victimes brûlées dans les autodafés au cours de son magistère (entre 1483 et 1498), 2000 l’ont été à la suite de procès qu’il a lui-même instruit. C’était donc, non seulement un grand penseur, mais aussi un homme d’action. Respect.

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Fouquier-Tinville n’était pas du tout au même niveau. Avant la révolution, c’était juste un ancien procureur de second ordre, perclus de dettes. Sa belle mais courte carrière en tant qu’accusateur public au Tribunal révolutionnaire (1793-1794) n’est donc due qu’à un heureux concours de circonstances, puisqu’il y fut nommé sur la recommandation de son cousin Camille Desmoulins, qu’il allait d’ailleurs remercier en l’envoyant à la guillotine un an plus tard. Mais enfin, il a quand même inventé plein de choses intéressantes, Fouquier-Tinville: les procès de masse expéditifs, les condamnations à mort pour des peccadilles, les erreurs de procédure envoyant des gens à la mort sur la base d’une simple homonymie, les accusations diffamatoires contre les prévenus (comme lorsque Marie-Antoinette fut accusée d’inceste). Et puis, à la chute de son maître Robespierre, il a eu une attitude impeccable en envoyant illico celui-ci à l’échafaud. Mais enfin, c’était quand même au fond un petit joueur qui a expliqué au moment de son propre procès qu’il n’était coupable de rien parce qu’il n’avait fait qu’obéir aux ordres. Et puis, pas très habile, le type: il a fini par être guillotiné aussi, il n’est pas tranquillement mort dans son lit comme Torquemada. Je ne peux donc lui accorder, en toute conscience, qu’une note très moyenne, malgré tout l’orgueil que j’éprouve à voir un Français figurer dans la liste de mes salauds préférés.

Avec Roland Freisler, le président du tribunal du peuple nazi entre 1943 et 1945, on a affaire à quelqu’un de beaucoup plus intéressant. Bon, c’est vrai, il a été servi par les circonstances, mais enfin, c’était quand même un salaud de grand talent. En plus, il avait vraiment la vocation : pendant la première guerre mondiale, après avoir été fait prisonnier par les russes, il s’est retrouvé… commissaire politique bolchevique, chargé de pourchasser les officiers russes blancs… Si, si, je vous assure. C’est à des détails comme ça qu’on reconnait les vrais talents et les vraies vocations. D’ailleurs Hitler, qui l’appelait affectueusement « mon petit bolchévique » ne s’y est pas trompé. Et sa confiance a été bien récompensée, puisque Freisler a tout de même réussi, en seulement deux ans, à envoyer 5000 opposants anti-nazi à la mort, dont les membres de la Rose blanche et les complices de l’attentat manqué du 20 juillet 1944. J’adore quand il éructe ses insultes et sa haine contre des accusés qui tentent d’expliquer, au seuil de la mort, pourquoi leur conscience leur avait dicté d’éliminer Hitler pour mettre fin à la barbarie nazie. Et puis, il avait de la conscience professionnelle, Freisler : il est mort le 3 février 1945 à Berlin dans un bombardement américain sur son tribunal, parce qu’il était retourné chercher le dossier d’un accusé après le début de l’alerte et n’a pas pu rejoindre l’abri souterrain à temps. La qualité allemande, quoi.

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Mais celui d’entre tous que je préfère, de très loin, c’est Andreï Vichinsky. D’abord, parce qu’il a toujours trahi tout le monde. Avant la Révolution de 1917, c’était sans doute un indicateur de la police tsariste infiltré chez les révolutionnaires. Cela ne l’a pas empêché de progresser ensuite dans la hiérarchie communiste et d’être nommé procureur de l’URSS en 1928. Et donc de jouer un rôle essentiel, sous les ordres de Staline, dans l’élimination de ses anciens amis bolchéviques lors des procès de Moscou dans les années 1930. Et, puis avec lui, c’était du travail bien fait, pas du bâclage d’amateur comme avec l’évêque Cauchon. Les accusés étaient « conditionnés » pendant des mois par ses services avant le procès pour réciter en public l’aveu de leurs crimes imaginaires pendant les audiences. Et surtout, quelle inventivité, quelle poésie dans ses plaidoiries: les hyènes puantes, les vipères lubriques, les crapauds venimeux, c’est de lui !! Pas de l’à peu près comme les accusations approximatives et finalement abandonnées d’inceste contre Marie-Antoinette… Là, pas de doute, avec lui, les mensonges et les insultes tiennent la route jusqu’au bout des couloirs souterrains de la Liubianka !!!

Mais ce que je j’admire par-dessus tout chez lui, c’est la fin de sa carrière. Au lieu d’être bêtement arrêté et exécuté à son tour comme les autres assassins bolcheviks d’assassins bolcheviks, il arrive à se faire nommer par Staline représentant de l’URSS à l’ONU. Et là, qu’est-ce qu’il fait ? Je vous le donne en mille : il signe au nom de son pays la déclaration universelle des droits de l’homme, avant de retourner en URSS pour recommencer à éliminer de nouvelles victimes de la terreur stalinienne !!! Et ensuite, il retourne à l’ONU, pour mourir tranquillement dans son lit à New York, antre du capitalisme corrompu, en 1954. Là, on atteint presque au sublime de la saloperie habile, de l’hypocrisie intégrale et du crime qui paie.

Marlène Schiappa lors d'un meeting LREM - Lewis JOLY/SIPA/1907221633
Marlène Schiappa lors d’un meeting LREM – Lewis JOLY / SIPA / 1907221633

Ah zut! Je m’aperçois que je n’ai fait figurer aucune femme dans mon Panthéon des grands inquisiteurs… en ces temps de parité obligée, je risque de me faire taper sur les doigts…

Oh les filles, oh les filles..

Je pourrais rajouter Jiang Qing, la dernière femme de Mao. C’était une personnalité attachante. Actrice manquée, elle a persécuté tous les acteurs de talent en imposant un théâtre de propagande inepte (répertoire de l’opéra réduit en tout et pour tout à 4-5 œuvres vantant les mérites de l’armée populaire). Comme elle était jalouse de la femme de Lui Shao Shi, Wang Guangmei, qui avait le malheur d’être plus belle et plus élégante qu’elle, elle l’a fait arrêter et subir les pires humiliations pendant la Révolution Populaire en 1967. Mais, bon, elle n’était pas vraiment procureur… ça ne colle pas. Il faut que je trouve autre chose…

Alors, en cherchant bien, je me dis que Marlène Schiappa pourrait peut-être faire l’affaire… Vous me direz : « elle n’a jamais tué personne, il ne faut quand même pas tout confondre ». Oui, mais mettez-vous à ma place, si je ne trouve pas quelque chose, elle pourrait me faire un procès pour discrimination sexiste. Et puis, au fond, on sent un potentiel chez elle: tentation de confusion des pouvoirs entre exécutif et judiciaire, intervention d’un membre du gouvernement dans une procédure judiciaire privée, utilisation du CSA pour briser la carrière d’humoristes et de journalistes qui n’ont pas eu l’heur de lui plaire, utilisation de l’argument d’autorité ministérielle, avec papier à en-tête de la République, pour répondre à un philosophe dont les idées ne lui plaisent pas, vote de diverses lois liberticides sous prétexte de lutte contre le sexisme…

Certes, ce n’est pas du niveau de Vichinsky, tout ça, mais enfin, on sent, comment dire ? Une intention, une tournure d’esprit, un potentiel… Et ce n’est tout de même pas sa faute si on vit encore dans un état de droit ! Alors, je propose de la classer dans ma catégorie « meilleur espoir féminin ».



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