Enseigner l’histoire, c’est combattre l’antisémitisme


Enseigner l’histoire, c’est combattre l’antisémitisme

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Après l’assassinat de quatre juifs par Amedy Coulibaly le 9 janvier porte de Vincennes, nous publions cet article refusé par Libération en octobre 2014.

La rédaction

Si nous étions taquins, nous pourrions moquer Libération qui semble découvrir, ces jours-ci, et notamment aujourd’hui, que les juifs de France ont peur. Mais il faut les comprendre, à Libération : jusque-là, il  y avait juste eu la mort d’Ilan Halimi, les assassinats dans l’école juive perpétrés par Merah, la tuerie de Nemmouche et les multiples actes antisémites depuis quinze ans que les acteurs de terrain n’ont cessé de dénoncer sans que jamais le journal ne daigne prendre conscience de la réalité de la situation.

Ah mais non ! Vous diront-ils. Regardez ! Nous avons, entre autres, organisé, en octobre 2014, avec l’American Jewish Commitee et Fondapol, en collaboration avec Le Figaro, un colloque à Sciences Po et même que vous étiez convié ! Oui, c’est vrai, j’étais convié mais n’avais pu m’y rendre. Néanmoins, Libération et le Figaro devaient donner une suite à ce colloque, ouvrant leurs colonnes à des textes des participants. On me demanda alors une libre opinion pour Libération, avec, pour consigne, de faire un état des lieux de ce qui se passait sur le terrain, de faire apparaître une éventuelle évolution et enfin, de proposer des solutions. Je m’exécutais donc. Mais Libération ne voulait pas nommer les choses, alors le texte fut refusé. « Trop violent » me dit-on alors[1. Je tiens à disposition les échanges mail pour qui douterait de la réalité de la chose.]. Libération n’avait encore rien vu… ni compris.

Il est assis, la tête baissée, dans le bureau du Chef d’établissement. Il tente de nier, répondant difficilement aux questions. « Non, c’est pas moi », puis il finit par avouer à demi-mot. « Mais y a pas que moi ! L’autre il arrête pas de dire que s’il voit un juif il le tue !» ; « Donc, reprend le Principal du collège, tu confirmes ce que le professeur a entendu en classe, tu as bien dit « quand ce sera la fin du monde, les juifs seront exterminés » ? « Y a pas que moi…  » articule péniblement le gamin de 13 ans, incapable d’expliquer ni sa phrase ni les raisons de celle-ci. Cette scène s’est déroulée début octobre, dans un collège de Seine-Saint-Denis.  Elle frappe par la violence des propos mais elle témoigne aussi de la réactivité de l’administration de cet établissement scolaire, ce qui n’est pas toujours le cas.

Il serait néanmoins faux d’affirmer que des jeunes n’ont que cela à la bouche et ne rêvent que d’en découdre, tant ces discours peuvent apparaître comme sporadiques et ponctuels. Toutefois, tout professeur d’histoire, sait que, chaque année, il peut être amené à répondre à des assertions, des contestations, des interrogations faussement naïves qui sont autant de manifestations antisémites car il serait aussi erroné de penser qu’elles ne sont que propos d’adolescents en perte de repères. Quand cela fait plus de quinze ans que les établissements scolaires de certains territoires affrontent ce type de discours, quand les assassins de Toulouse et de Bruxelles sont passés par nos collèges, ce n’est ni ponctuel ni sporadique, cela ressemble à un fait culturel.

Non, les classes de banlieue ne sont pas à feu et à sang dès qu’il est question du nazisme, de la Shoah ou du Proche-Orient, mais chacun sait que ces cours peuvent être difficiles, que le professeur doit être prêt à lutter pied à pied, à ne rien laisser passer, à rappeler aux élèves ce que l’on peut dire et ce qui tombe sous le coup de la loi. Ces rappels à la loi sont nécessaires car l’école est parfois le seul lieu qui leur permet de s’extraire d’un discours qui peut être dominant autour d’eux, laissant accroire qu’il est la norme. Mais cet antisémitisme ne sera pas combattu efficacement par des leçons de morale qui ne convaincront pas un antisémite convaincu ; ni par un catéchisme antiraciste avec lequel les élèves sont tous d’accord. La loi fixe les limites et elle doit être appliquée. En revanche, les élèves qui tiennent ces propos ne sont pas tous, loin de là, des idéologues, des Merah en puissance et, avec ceux-ci, il faut faire un travail de fond. Leur antisémitisme repose d’abord sur l’ignorance et les confusions alimentées entre autres par internet et les réseaux sociaux où tout le monde est spécialiste de tout, mais aussi, parfois, par un sentiment d’exclusion, de jalousie, face au poids qu’ils pensent que l’école donne à la Shoah.

Or, ce n’est pas à l’école, mais dans la société que la Shoah est omniprésente, pouvant entraîner un sentiment de trop-plein dont ont dernièrement témoigné les fans d’un ex-humoriste. Mais ce problème n’est pas lié à un défaut de mémoire ; on ne cesse de se souvenir, mais sans vraiment connaître. Ce qui fait défaut, c’est l’histoire. Le cours d’histoire doit faire apparaître clairement la portée universelle de la Shoah, sans faire dans le victimaire et le dolorisme, mais en lui donnant toute sa dimension politique. Il s’agit bel et bien, ce qui paraîtra surprenant à certains, de disqualifier le nazisme, sa vision complotiste et obsidionale du monde, de faire comprendre aux élèves que l’idéologie nazie enfermait l’être humain, quel qu’il fut, dans une vision utilitariste basée sur une conception biologico-raciale de l’humanité. C’est pour cela que furent assassinés des dizaines de milliers d’Allemands considérés comme porteurs de vie qui, alors, « ne méritent pas d’être vécues ». Disqualifier le nazisme, c’est disqualifier l’antisémitisme qui s’inscrit pleinement dans cette vision du monde, mais cela n’exonère pas d’expliquer d’où vient la haine antijuive. L’antisémitisme actuel ne tombe pas du ciel, c’est une très vieille histoire et il faut la raconter.

*Photo : wikicommons.



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Iannis Roder, professeur d’histoire-géographie, enseigne depuis 2000 en Seine-Saint-Denis.

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