Histoire de France : Le blues des pédagos


Histoire de France : Le blues des pédagos

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J’veux bien que les profs d’Histoire se disent historiens, ou que les profs de Lettres se croient écrivains : après tout, toutes les prétentions sont dans la nature. Mais lorsque, vent debout, ils s’insurgent contre la probable nomination de Pierre Nora (et de Jean-Pierre Azéma) en un binôme de réfection des programmes du collège Najat, au prétexte que ce serait là un coup de force non démocratique, alors qu’ils sont les premiers à avoir violé le premier principe républicain : choisir les meilleurs, toujours, partout.

Parce que l’élitisme républicain n’est pas un vain mot. Au système aristocratique qui garantissait les places en fonction de la « naissance », la République a substitué une méritocratie qui récompense les meilleurs.
Ou qui devrait. Mais voilà : la République est tombée peu à peu dans le chaudron de sorcières de la démocratie. Au lieu de s’appuyer sur les élites (Condorcet, Robespierre, Hugo, Clémenceau ou De Gaulle), elle se soucie désormais de donner la parole à ce qui se produit de plus bas, et même au plus bas du bas. En-deçà même du principe de majorité, qui végète au niveau zéro.

La République s’est toujours appuyée sur des élites — ou, si vous préférez, sur une avant-garde intellectuelle et politique. Les Lumières ne luisent pas pour tout le monde – et si j’en crois les programmes à venir, elles ne luiront plus que de façon optionnelle. Si l’on avait absolument respecté la démocratie, comme le souhaitent tant de prétentieux désireux de s’abriter derrière le grand parapluie de la majorité imbécile, on en serait encore à décapiter les truands (et les innocents) à la hache place de Grève. C’est tout à l’honneur du couple Mitterrand / Badinter (et des députés de droite qui comme Chirac ont voté l’abolition sans se soucier des desiderata de leur électorat, pendant que d’autres, comme Barre, persistaient à regarder l’histoire dans le rétro) de ne pas avoir choisi la voie du referendum pour mettre la guillotine au chômage. Le peuple, dont tant de crétins notoires ont la bouche pleine, ne pense pas forcément bien. Parfois même il ne pense pas du tout.

Quant à cette histoire de « roman national »… S’il n’a pas inventé l’expression, qui a été popularisée par Pierre Nora (le même qui, au grand dam de nos historio-histrio-hystéro-pédagos, sera peut-être chargé de rapetasser les programmes de M’dam’ Najat), c’est à Ernest Lavisse que l’on doit le concept, qui a existé avant d’être nommé.
Lavisse après la guerre de 1870 a eu l’idée d’aller voir outre-Rhin comment Bismarck avait fait enseigner l’Histoire à ses soldats et à leurs enfants. Le Chancelier de fer avait une idée précise de ce qu’il attendait de ses enseignants : il avait une ou plusieurs guerres à préparer, et nous qui, paraît-il, sommes entrés dans la Troisième guerre mondiale ferions peut-être bien de nous inquiéter de savoir ce qu’il faut apprendre à nos mômes pour résister au prochain envahisseur. De retour en France, Lavisse a eu assez de pouvoir pour modifier l’enseignement national et profiter des lois Ferry pour préparer, lui aussi, la reconquête de l’Alsace-Lorraine. D’où les jolis manuels colorés — qui sévissaient encore dans mon enfance. Au moins, nous savions que Charlemagne avait inventé l’école…

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L’Histoire est un instrument politique bien avant d’être une science — d’ailleurs, nos pseudo-z-historiens, comme dirait M’dam’ Najat, se conduisent en politiques avant d’être historiens, ils ont leur propre agenda grand ouvert devant eux — la reddition de la France et de l’Europe à l’Islam civilisateur. Si ! Ils en sont à affirmer que Charles Martel a limité, le salaud, « l’apport de la culture islamique à l’Europe ». Si !
Alors, entendons-nous. Loin de moi l’idée de prétendre qu’il faut enseigner des fictions — même si j’ai appris une bonne part de l’Histoire du XVIIème siècle à travers Dumas. Ce que l’on entend par « roman national », c’est la capacité à mettre en récit (mais un seul de ces imbéciles est-il capable de « raconter » l’Histoire de façon à ce que les gosses se sentent concernés ?) les faits significatifs. Au primaire, c’est un moyen de glisser doucement du merveilleux des contes au factuel de l’Histoire — en gardant la rhétorique du conte, dans un premier temps. C’est juste une question de subtilité et de talent dans l’expression — deux qualités dont nos intellocrates sont abondamment dépourvus.

L’Histoire n’est pas celle de Bossuet, qui dans le Discours de l’Histoire universelle (1681) nous refaisait en boucle le coup d’Adam et Eve : pour les croyants le temps n’existe pas, et la notion même de progrès était encore dans les cartons. Mon Histoire est celle fondée définitivement par Voltaire (mince, encore lui ! Lui encore ! Lui partout !) avec les Nouvelles considérations sur l’Histoire (1744), Le Siècle de Louis XIV (1751) et surtout l’Essai sur les mœurs (1756), qui tente de dire les peuples en profondeur. Tout se joue dans cette jonction compliquée, cette crise de la conscience européenne, comme disait Hazard, qui a duré une quarantaine d’années à la fin du règne du Roi-Soleil. Voltaire a engendré Michelet, qui a engendré tous les autres. Que sont, à côté de ces géants, Laurence de cock ou François Durpaire ? Durpaire, par exemple, a prédit en 2014 « la fin de l’école » — alors que si je croyais à l’application des consignes de M’dam’ Najat, la date effective de l’apocalypse serait septembre 2016. Mais Durpaire, tout agrégé d’Histoire qu’il soit, est d ‘abord docteur es sciences de l’éducation, ce qui le disqualifie pour tenir tout discours cohérent sur l’École.

Les Français ont avec l’Histoire une relation passionnée, mais pas toujours raisonnable. Loràn Deutsch ne fait pas de l’Histoire, mais ils lui ont fait un triomphe — les mêmes sans doute qui auraient voté pour la peine de mort (sauf celle du roi, qui chagrine encore notre spécialiste du métro…). Quant à Max Gallo, il fait au mieux de la vulgarisation — du latin vulgus, le peuple dans ce qu’il a de plus bas.
Mais Pierre Nora a fait de l’Histoire, tout comme Jean-Pierre Azéma qui devrait lui donner un coup de main pour détricoter l’œuvre au noir des pédagos. C’est sans doute ce qui chagrine les zhistoriens convoqués par Michel Lussault, l’homme qui pense qu’en coupant les têtes des héritiers on fait la courte échelle aux déshérités : sans doute auraient-ils, les uns et les autres, voté pour le maintien de la veuve à Deibler.

Allez, rassurons-nous : cette réforme n’arrivera jamais en phase d’exécution. Les commissions qui se mettent en place sur l’Histoire et le latin-grec doivent rendre leur copies en octobre. Les éditeurs n’auront donc pas le temps de fabriquer des manuels conformes aux nouveaux programmes, et rien ne dit que les Conseils généraux, s’ils paraissaient, choisiraient d’investir dans des livres fabriqués à la va-vite que les profs récuseraient majoritairement. M’dam’ Najat aurait dû se renseigner avant : le mammouth est un animal qui se déplace lentement — d’aucuns le prétendent même enlisé dans les glaces. Mais bon, elle ne peut pas à la fois être ministre de l’Éducation et connaître l’École.

*Photo : wikicommons.



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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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