Un professeur d’histoire a-t-il pour vocation de faire aimer la France ou bien de préserver ses élèves d’un patriotisme suspect et contraire à l’esprit critique? A-t-il pour mission de raviver les braises de l’épopée nationale ou celle d’en déconstruire la mythologie? La question semble binaire. Comme si la transmission de l’amour de son pays et la recherche de la vérité historique s’excluaient nécessairement. Pourtant, c’est en ces termes qu’elle a été posée par deux professeurs d’Histoire-géographie d’un collège de Trappes. Et facilement tranchée.
Feu sur Lorant Deutsch !
Interrogés par RMC le 13 octobre dernier, Nicolas Kaczmarek et Marie-Cécile Maday considèrent en effet que « l’Histoire n’a pas pour but de faire aimer la France, qu’elle est une science qui permet de comprendre le passé par une étude critique et dépassionnée. » A l’origine de l’interview, la publication d’une tribune intitulée Lorant Deutsch devant nos élèves? Ce sera sans nous! dans laquelle les deux collègues ont expliqué pourquoi ils n’accompagneront pas leurs élèves de quatrième à une rencontre avec le comédien féru d’histoire monarchique organisée par l’académie. Si l’anecdote parait insignifiante, l’argumentation est beaucoup plus symptomatique. Pour ces enseignants, « la venue de M.Deutsch à Trappes n’est que la conséquence de l’idée selon laquelle les élèves des quartiers populaires, d’ascendance immigrée récente, ne seraient pas assez attachés à la République. L’urgence serait de leur faire aimer la France et le seul moyen serait de les divertir et de les émouvoir dans une Histoire de France présentée sous la forme d’un roman national. » Émotion, vade retro! Arrière, passion! Au goulag, le panache français! L’enseignement prioritaire ne pourrait souffrir la moindre dose de narration exaltée car celle-ci offenserait l’intelligence des élèves qui n’auraient soif que de la plus stricte objectivité historique. « Nous travaillerons activement à ce que la représentation n’ait pas lieu! » ont d’ailleurs menacé les enseignants manifestement animés d’une implacable rigueur intellectuelle, gage pour leurs élèves d’une meilleure compréhension du monde et réussite scolaire.
Leur ennemi ? Le roman national
Rien que de très louable, en apparence. Pourtant, bien des passions et des idéologies peuvent se tapir derrière une austère déontologie, se dissimuler derrière un implacable rigorisme. Accusé de rendre l’Histoire « spectaculaire », Lorant Deutsch n’est peut-être pas simplement victime du syndrome Bogdanov -mépris qu’ont les savants pour toute tentative de vulgarisation.
Plus profondément, il paie probablement ici son enthousiasme royaliste, une forme de nostalgie d’un âge pré-révolutionnaire. « Il est assez marqué sur le fait qu’il faille aimer la France à travers ses grands personnages, ses rois. Nous, c’est aux antipodes de ce que l’on fait avec les élèves. Nous ne sommes pas là pour glorifier les rois ou pour faire aimer la France à nos élèves. »
Hélas, on ne les croit que trop bien. L’analyse marxiste de certains enseignants ne se contente pas de diviser le monde entre oppresseurs et opprimés. Elle suspecte toute forme de grandeur, déconstruit l’héroïsme, asphyxie le souffle de l’Histoire, déboulonne les grandes aventures humaines, surtout celles antérieures à l’avènement de la République. Il est tout de même remarquable que beaucoup de ceux qui incriminent le passé du monde sont censés l’enseigner. Mais pour justifier leur idéologie, rien de tel que de l’enrober d’austérité et d’invoquer à tout bout de champ l’esprit critique par lequel on somme nos élèves de démythifier des mythes qu’ils n’ont pas même eu le temps d’entrevoir.
Leur ennemi? le roman national. Leurs cibles? « les images d’Épinal qu’habituellement on épargne aux autres élèves de France ». Mais de quelle imagerie est-il question au juste? De quelle France imaginaire et glorieuse les petits collégiens de Trappes ont-ils été abreuvés et doivent-ils être désintoxiqués de toute urgence? où les a-t-on catéchisés à grands coups « nationalisme rétrograde »? A la télévision, chez eux?
L’esprit critique avant les bases
Sûrement pas à l’école, en tout cas. A peine les enfants ont-ils eu le temps de découvrir Roland à Roncevaux ou Bayard à Marignan qu’on les a désenivrés à grand coup de déconstruction et d’esprit critique. Sur le blog Herodote.net consacré à l’Histoire, Nicolas Kacsmarek, disciple du sociologue Emmannuel Todd dont il préfacé un ouvrage, écrit: « Les élèves ne recherchent pas dans mes cours des héros auxquels s’identifier et je ne constate chez eux nulle envie de se réincarner en Vercingétorix ou Napoléon. » On le croit assez. Surtout lorsque Alésia se résume à une entreprise de propagande. « Jamais je n’ai senti un attachement particulier aux « Grands Hommes », poursuit-il. Surtout quand on leur enseigne qu’ils sont tous des tyrans.
« Je peux bien passer des heures devant mes collégiens à chanter les louanges de la France éternelle sans susciter chez eux la moindre envie de mourir pour la patrie. Leur apprentissage de la citoyenneté se construit davantage dans leur expérience quotidienne d’enfants face aux adultes, aux camarades, à la télévision ou à internet que dans l’étude de chapitres d’histoire ou même dans des cours d’éducation morale et civique. »
Il n’est plus franchement question d’envoyer la jeunesse mourir pour sauver la patrie ou préserver les frontières de France. On en est plutôt loin, et notre professeur semble en retard d’une ou deux guerres. A moins au contraire qu’il ne soit en plein champ de bataille, celle qui cherche dans l’ombre à déconstruire sans relâche l’idée toujours suspecte de nation. Avec comme dégât collatéral le sacrifice de l’innocence rêveuse de collégiens qu’il faut s’empresser de dégriser du vieux parfum romanesque de l’Histoire. A onze ans, y a-t-il pourtant chose plus importante que de savoir que Romulus et Rémus ont été allaités par une louve, que Vercingétorix s’est bien battu et que Roland a sonné de l’olifant juste avant de mourir?
Déconstruire ce qui n’a pas été érigé est une absurdité. Les enfants ont soif de mythes, de souffle et de grandeur, surtout au moment où une bannière autrement plus menaçante que le drapeau tricolore flotte au-dessus des consciences adolescentes. Qui toujours préfèrent l’héroïsme au marxisme étriqué.
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