Remarquable longévité, à l’heure où PPDA fait des adieux déchirants et pousse des plaintes de martyr, et au moment où la sinécure romaine s’éloigne définitivement de Georges-Marc Benamou, celui-là même que Nicolas Sarkozy chargea, avec Jean-David Levitte, d’instruire le dossier France Monde.
La méthode globale
Que savons-nous de France Monde, cette holding constituée des participations de l’Etat dans Radio France Internationale (100%), TV5 Monde (66,61%) et France 24 (50%), les parts restantes étant partagées entre quelques personnes privées et des chaînes partenaires ? Peu de chose, et pourtant l’essentiel : le nom de sa directrice générale, Christine Ockrent.
Elle réunit en une personne tous les caractères de la brillante « globalisation », qui, après avoir considéré la nature provinciale de l’information française, entreprit de la projeter dans le monde réel. Formée à cette rude école, Christine Ockrent appliqua la fameuse méthode américaine, qu’on se gardera bien d’assimiler à celle dont se réclamait Aldo Maccione dans ses calamiteuses entreprises de séduction du beau sexe. Non, l’info selon NBC ou CBS News, c’était du sérieux, du solide, du factuel ! Il fallait, pour la servir, des individus bien mieux éduqués que la moyenne des aimables journalistes français… Ici commence l’ »histoire d’O ».
Quand Christine rencontre Amir
Son irruption sur la scène médiatique française se fit sur le mode tout à la fois sensationnel et polémique, en 1979. Au mois de mars, son entretien avec l’ultime Premier ministre du shah d’Iran, Amir Abbas Hoveyda, lui valut la reconnaissance de ses pairs et des accusations d’impair. D’aucuns trouvèrent que, par le ton dont elle usait, elle semblait plus accabler l’infortuné personnage que lui poser des questions. Cela aurait pu être mis au crédit de la jeune journaliste, démontrant par son agressivité un mépris professionnel des puissants. Hélas ! à ce moment précis de son existence, Amir Hoveyda n’était plus rien dans la hiérarchie sociale iranienne ; le Shah avait fui, et le doux Imam Khomeini s’apprêtait à étendre à tout le pays les principes d’amour et de tolérance qu’il avait longuement mûris dans sa résidence de Neauphles-le-Château, une commune des Yvelines où Marguerite Duras possédait une maison…
Enfin, pour tout dire, Hoveyda était emprisonné, et ses juges improvisés, d’inquiétants barbus, lui réclamaient des comptes, en usant de formules qui laissaient mal augurer de son intégrité physique… Au reste, dix jours plus tard, cet homme raffiné, libéral, hostile à la tyrannie, francophile et francophone (deux qualités qui ne lui furent d’aucune utilité), condamné à mort, fut exécuté. La révolution khomeiniste n’a pas contredit feu Reza Pahlavi, auquel on prête cette réponse à un journaliste venu de Suède, qui lui demandait pourquoi il ne s’engageait pas plus franchement dans la voie de la démocratie : « Je deviendrai volontiers social-démocrate lorsque mon pays sera peuplé de Suédois. » Il connaissait bien son clergé sinon son peuple, l’autocrate !
Cri-cri Marlène
Dès 1982, Christine Ockrent connut, à la présentation du journal de 20 heures, à Antenne 2, une gloire sans pareille. Les téléspectateurs envoûtés sacrifièrent au culte de leur nouvelle idole au sourire carnassier. La presse célébra le timbre élégant de sa voix, ses inflexions impérieuses, sa diction froide et nette. On vantait son magnétisme à la Dietrich, doublé d’une audace que les moins aimables appelèrent mépris. Il semblait qu’avant elle, ne s’étaient succédé à son poste que des amateurs, des hommes d’appareil, des fonctionnaires : bref, des Français. Avec elle, la méthode américaine du direct entrait dans les foyers. Elle inaugurait « l’American way of live » : elle partait faire son marché sur la planète, en ramenait des drames, des comédies et des témoins, puis elle autorisait le tout à paraître devant elle et en présence de quelques millions de téléspectateurs.
Le chagrin d’une Belge
Longtemps, elle fascina. Puis les Français s’aperçurent qu’ils pouvaient se passer d’elle ; ses patrons également. Elle ne s’éloigna guère et revint vite. Elle apprécia d’avoir acquis, d’une chaîne à l’autre, la réputation d’une « grande professionnelle », mais goûta fort peu les rumeurs relatives à ses émoluments. Dans son sillage résonnait la chanson de Châteauvallon : Puissance et gloire… Elle interpréta même une parodie hilarante de ce jeu qu’on appelle les chaises musicales : arrivée dans les bagages de Lagardère, elle repartit dans la caravane Bouygues, après la conquête de TF1 par ce dernier, en 1987. Elle en rit encore !
Cependant, elle connut des revers retentissants dans la presse écrite. La simple charité nous invite à passer rapidement sur la brève existence de L’Européen (1998-1999), placé sous sa direction, financé par The European et, dans une moindre mesure, par Le Monde, alors gouverné par l’influent Jean-Marie Colombani. Européenne convaincue, née en Belgique, elle se consola de cet échec en acceptant de diriger la rédaction de l’Express. Mais la chose n’évolua pas bien : elle fut virée ! Quelques années plus tard, elle publiait une biographie de Françoise Giroud, la co-fondatrice du magazine, dont quelques pages plutôt vachardes indignèrent le fan-club de « notre mère en journalisme ». Critique redouté qui avait alors claqué la porte de l’Express pour l’Observateur, Angelo Rinaldi lava l’affront dans quelques lignes assassines. Estimant que les déplaisantes « révélations » du livre (notamment sur la rupture entre Giroud et Servan-Schreiber) traduisaient un « parti-pris de dénigrement », il recommanda de jeter à la corbeille « ce parfait manuel de trahison ». La douche glacée ! (Christine Ockrent ayant obtenu un droit de réponse, Rinaldi claqua aussitôt la porte de l’hebdomadaire.) Bref, à l’exception des gratuits (elle conseilla le quotidien Métro, dont les pages chiffonnées et salies jonchent tristement les rames et les couloirs), la presse lui aura été cause de bien du chagrin !
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